b / La délégation des actions de ‘Lyon, Métropole Innovante’ et de ‘Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise’

Malgré des ressources financières très importantes, la capacité d’action économique de la communauté urbaine demeure limitée. Les coopérations entre acteurs locaux animées par cette institution concernent d’abord des actions qui doivent s’intégrer dans les plans et schémas de développement de l’agglomération lyonnaise. Pour la programmation pluriannuelle du « développement économique » local, l’État et la Région mènent directement les négociations au sein desquelles la communauté urbaine de Lyon n’est qu’un acteur parmi d’autres 1176 . Surtout, les conventions que la communauté urbaine signe dans le cadre de ‘Lyon, Métropole Innovante’ et de ‘Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise’ relèvent ensuite bien davantage de la délégation de compétence que de la simple sous-traitance.

Les conventions que signe la communauté urbaine comportent toutes une close de résiliation. Pourtant, depuis la mise en place de ‘Lyon, Métropole Innovante’ et de ‘Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise’, aucune de ces conventions n’a jamais été rompue. En outre, ces conventions sont reconduites de manière quasi-automatique lorsqu’elles arrivent à échéance. Même un partenaire de ‘Lyon, Métropole Innovante’ tel que le PUL, pourtant fréquemment critiqué en interne à la structure intercommunale pour son manque d’investissement, voit ses subventions reconduites, voire augmentées 1177 . Certaines actions de ‘Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise’ entraînent en outre la création de nouvelles institutions telles que l’ENE. Il s’agit de structures financées par des institutions publiques mais pilotées par quelques chefs d’entreprise ou représentants des chefs d’entreprise locaux. L’action « ENE » de ‘Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise’ est ainsi pilotée par le directeur général du Medef Rhône. La présidence de cette association est par ailleurs confiée au président du Medef Rhône. La communauté urbaine est enfin absente de son conseil d’administration 1178 . Les agents de la DAEI ont donc une capacité d’action très large en matière de mise en œuvre de l’action économique visant à améliorer l’aménagement physique des zones d’activités de l’agglomération. En revanche, en matière de structuration et d’animation des réseaux d’« acteurs économiques » des secteurs d’activité de l’économie lyonnaise ainsi qu’en matière d’accompagnement des projets de création d’entreprises 1179 , ce sont avant tout les représentants des chefs d’entreprise locaux qui mettent en œuvre les politiques économiques intercommunales.

Il y a ainsi, paradoxalement, à la fois légitimation de l’existence de la communauté urbaine et limitation du champ de ses interventions directes. Les dispositifs étudiés conduisent avant tout la communauté urbaine à soutenir un capitalisme local globalement assez peu enclin à intégrer des processus de co-construction de l’action publique. La communauté urbaine devient un financeur très important mais sans avoir pour autant le contrôle de toutes les actions qu’elle lance. Les politiques économiques intercommunales se privatisent cette fois au sens où la participation des chefs d’entreprise, ou plutôt celle de leurs représentants, s’opère grâce à la délégation aux instances patronales de leur mise en œuvre. Les représentants des milieux économiques locaux ont la responsabilité de certains domaines d’action économique dans lesquels ils peuvent intervenir grâce à des financements publics notamment intercommunaux sans être contraints de négocier quotidiennement avec la communauté urbaine 1180 . Le partenariat public/privé se limite ainsi à la phase de formulation des actions des politiques économiques, même si certains acteurs soulignent que les milieux économiques disposent par la suite d’une marge de manœuvre limitée :

‘« Quand on a mis en place l’Espace Numérique Entreprise à Vaise, c’est une action de développement éco’ qui est née ici, qui a grossi ici et donc on a pensé que la mettre dans le panier de Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise, c’était une façon de lui ouvrir du champ, de lui donner de la crédibilité, de la labelliser. Le fait qu’elle soit présidée aujourd’hui par [Monsieur X], le patron du Medef, c’est pas sans conséquences pour nous, ça. Donc on peut dire que le Medef participe à la mise en œuvre de la politique de développement économique de l’agglo’.
- Dans les faits, quand il y a délégation, il y a une réelle liberté ?
- Oui… Enfin à la fois oui et à la fois non. À la fois oui, parce que l’ENE est un outil maintenant qui est sur un marché, donc ce n’est pas tout et n’importe quoi et c’est facile à caréner. À la fois non, parce que, encore aujourd’hui, l’ENE, c’est beaucoup d’argent public donc il ne viendrait pas à l’idée du Président de l’ENE d’aller imaginer des opérations et des actions sans que les collectivités locales qui financent une très très grande partie de cette affaire ne soient d’accord ! ».

Si le directeur du service économique aime ainsi suggérer que la communauté urbaine contrôle les actions qu’elle délègue, un exemple plus ancien que l’ENE permet au contraire de souligner toutes les difficultés liées à l’orientation des actions menées par ce type de structure pilotée au quotidien par les représentants des chefs d’entreprise locaux. C’est l’exemple de l’Aderly, sur lequel revient précisément un agent de la communauté urbaine dans la citation suivante :

‘« L’Aderly… Hum, comment dire… C’est un problème récurrent pour cette maison, même si ça ne se dit pas trop ouvertement évidemment ! [Rire] Enfin, l’Aderly a été créée avant que la communauté urbaine ne prenne la compétence économique, donc avant la DAEI, etc. Mais depuis la fin des années 90, c’est un problème récurrent ! La communauté urbaine ne peut pas trop reconnaître qu’elle a perdu le contrôle de cette institution, voire qu’elle ne l’a jamais eu [Rire]. Ça reviendrait à remettre en cause ses capacités de gestion et puis les gens qui travaillent à l’Aderly pourraient se sentir agressés. Mais en réalité, c’est là tout le problème de ce type de structures. Certes, il y a négociation des objectifs tous les trois ans au moment du renouvellement des subventions, mais tout le monde sait que ce renouvellement est automatique et les objectifs sont alors définis de manière tellement générale qu’il est impossible, après, d’évaluer s’ils ont été atteints ou non. Alors, après, tout ça, ça devient très politique… Puisque les conventions… (qui sont quand même censées être des contrats que chaque partie doit respecter)… n’ont en fait qu’un rôle symbolique… et un rôle financier quand même (puisque sans vote de convention, il n’y a pas de subvention [Rire]). La gestion d’une structure comme l’Aderly se fait par des détours, en prenant le temps… Dernièrement, c’est sûr que la communauté urbaine a essayé de récupérer un certain nombre de ses missions. C’est encore le moyen le plus sûr de contrôler ce qui se passe, n’est-ce pas ? [Rire] Mais rien n’est vraiment clair… Tout change à la fois doucement et sans orientation : ça va une fois dans le sens de la communauté urbaine, une fois dans le sens de l’Aderly… » 1181 .’

L’emprise croissante de la communauté urbaine sur les politiques économiques locales entraîne effectivement une mise à l’écart de l’Aderly et de la CCIL de certaines décisions concernant ce domaine d’action. En ce qui concerne l’Aderly, cette structure est contrainte à une position de retrait. Certaines des actions de ‘Lyon, Métropole Innovante’ et de ‘Grand Lyon, l’esprit d’entreprise’ qui concernent la promotion du territoire et l’accueil de nouvelles entreprises, relèvent en effet directement du cœur du champ des compétences qui sont confiées à l’Aderly au moment de sa création 1182 . La CCIL, quant à elle, se voit notamment écartée du domaine foncier 1183 , comme l’évoque le directeur du service économique de la CCIL dans l’extrait d’entretien suivant :

‘« Je vais tout le temps à la communauté urbaine pour toute une série de réunions. Mais je n’y vais plus pour les mêmes choses qu’avant. Sur le foncier, par exemple, je ne suis plus du tout consulté ! Alors, certes, les acteurs économiques sont invités à prendre part au SDE, au Conseil de Développement, etc. Mais pour certains dossiers importants, on ne les consulte plus. Je l’ai dit plusieurs fois, mais… C’est comme ça ! Ils nous invitent à certaines réunions, à beaucoup de réunions, mais pas à toutes ! » 1184 .’

Or, si l’outil foncier est moins mis en avant par les élus et les agents communautaires dans leurs définitions du contenu de l’action économique intercommunale, ce dernier demeure important lors de la mise en œuvre de cette dernière. Les actions de ‘Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise’ sont réparties en fonction des compétences de chacun des partenaires 1185 . En acceptant de se voir reconnaître une expertise tirée de leur expérience de direction d’entreprises 1186 , les chefs d’entreprise et leurs représentants renoncent néanmoins à certaines missions. Ils renoncent notamment à la production de données concernant l’économie locale qui sont pourtant utilisées pour définir la stratégie économique de la communauté urbaine sur le long terme (stratégie dans laquelle la maîtrise du foncier joue un rôle central) 1187 .

Il y a finalement, paradoxalement, à la fois centralisation et dépossession. La communauté urbaine concentre les capacités de financement et de production de données chiffrées concernant l’économie locale, mais elle délègue aussi une grande partie de la mise en œuvre de ses interventions économiques à l’ensemble des instances patronales 1188 . Malgré une association étroite des instances patronales qui leur accorde d’importantes marges de manœuvre au cours de la mise en œuvre de ‘Lyon, Métropole Innovante’ et de ‘Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise’, des tensions apparaissent entre partenaires de ces actions économiques. Par exemple entre la communauté urbaine, d’une part, et la CCIL et l’Aderly, d’autre part 1189 . La pierre d’achoppement centrale qui suscite ces tensions récurrentes est la définition de la « métropole » et donc la détermination de l’institution publique (ou des institutions publiques) de référence pour l’action économique à mettre en œuvre à cette échelle.

Notes
1176.

Telles que les négociations autour du Contrat d’Agglomération (volet du Contrat de plan État-Région) depuis 1999, ou du Schéma Régional de Développement Économique depuis 2005.

1177.

Notamment : Entretien avec l’enquêté n°44 : un agent de la communauté urbaine de Lyon rattaché à la DAEI, chargé de mission « plan technopole » de 1997 à 2000 et Entretien avec l’enquêté n°61 : un contractuel de la politique ‘Lyon, Métropole Innovante’ chargé de mission « réseaux de recherche ». « Grand Lyon. Pour une Métropole Technopolitaine », Plan d’actions technopole : compte rendu d’activité 1999/2000 et « Lyon, Métropole Innovante », Programme d’actions 2004, document daté du 17 mai 2004.

1178.

Le président du conseil d’administration est mandataire de la CGPME du Rhône, les deux membres du bureau sont mandataires de la Chambre de Métiers du Rhône et du Medef Rhône et les cinq administrateurs sont mandataires de la CGPME, du Medef Rhône, de la Chambre de Métiers et de la CCIL ( http://www.ene.fr ).

1179.

C’est alors plus particulièrement l’exemple de Novacités. Ces pépinières d’entreprises ont des ressources alimentées par les institutions publiques mais sont gérées par des membres des instances patronales, notamment issus de la CCIL.

1180.

Les ressources de l’ENE sont plus précisément notamment fournies par la région Rhône-Alpes (36%), par la communauté urbaine de Lyon (23%) et par la CCIL (15%). La région accepte donc d’être le premier financeur d’une action dite partenariale réunissant les partenaires officiels de ‘Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise’ dont elle ne fait pas partie. Néanmoins, la structure ainsi financée est, au quotidien, exclusivement pilotée par les instances patronales locales.

1181.

Discussion avec un agent de la communauté urbaine dont nous préférons maintenir l’anonymat.

1182.

Cf. BIARNEIX, L'Agence de Développement Économique pour la Région Lyonnaise, un instrument d'action publique au cœur d'un réseau, Mémoire .

1183.

Cf. en ce qui concerne le cas de la CCIL et de l’Aderly : Ibid., JOUVE, "Chambre de commerce et d'industrie et développement local : le cas de Lyon", op. cit., LINOSSIER, La territorialisation de la régulation économique dans l'agglomération lyonnaise (1950-2005). Politiques, acteurs, territoires, op. cit., pp.409 et suivantes et François PERRETON, Analyse d'une action économique stratégique d'une collectivité locale: le plan technopole de la DAEI, Mémoire de maîtrise d'aménagement, Lyon, Université Lumière Lyon II / Institut d'Urbanisme de Lyon, septembre 2004, pp.91 et 93. L’émergence des communautés urbaines a également entraîné une mise à l’écart des CCI à Marseille et, dans une moindre mesure néanmoins, à Nantes (cf. PINSON, "Projets de ville et gouvernance urbaine. Pluralisation des espaces politiques et recomposition d'une capacité d'action collective dans les villes européennes", op. cit., p.633).

1184.

Entretiens avec l’enquêté n°9 : un agent de la CCIL, directeur du service économique.

1185.

« Document stratégique de référence. Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise », Document de la communauté urbaine, novembre 2005.

1186.

Voir Partie I.

1187.

Jusqu’en 1997, voire jusqu’en 1998, l’Aderly produit de très nombreux bilans concernant l’économie locale. À partir des années 2000, c’est l’OPALE qui réalise l’intégralité de ces bilans. Ce changement apparaît notamment clairement en comparant les données utilisées dans le premier chapitre de ce travail pour présenter les principales caractéristiques de l’économie lyonnaise et celles utilisées dans une autre thèse soutenue en 2000 (cf. RANDLES, Cities in evolutionary perspective : diversity, reflexivity, scale and the making of economic society in Manchester and Lyon, op. cit.). Sally RANDLES note d’ailleurs dans ce dernier travail que, dès la fin des années 1990, « le pouvoir est bien davantage concentré à Lyon qu’à Manchester » (pp.119/120).

1188.

Au sein de ces instances, la CCIL et l’Aderly voient donc leur rôle historiquement central revu à la baisse quand la Chambre de Métiers, le Medef et la CGPME voient le leur revu à la hausse.

1189.

Entretien avec l’enquêté n°51 : un agent de la CCIL et Entretien et discussion avec l’enquêté n°53 : un agent de la CCIL et Entretien avec l’enquêté n°55 : un ancien agent de la communauté urbaine de Lyon rattaché à la DAEI responsable de ‘Lyon, Métropole Innovante’, désormais chargé de mission de l’Aderly. Cf. BIARNEIX, L'Agence de Développement Économique pour la Région Lyonnaise, un instrument d'action publique au cœur d'un réseau, op. cit.