Suite à la mise en place de la réforme de la « gouvernance économique métropolitaine », le « développement économique » qui doit assurer le rayonnement international de Lyon devient, concrètement, l’affaire d’une poignée d’élus, d’agents et de représentants des chefs d’entreprise locaux 1430 . À Lyon, la « gouvernance » est non seulement patronale mais aussi institutionnelle. Avec ‘Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise’ et ‘Lyon, Métropole Innovante’, nous assistons ainsi à un renforcement d’un mode de gouvernement privé des actions économiques intercommunales désormais en grande partie mises en œuvre par les représentants des chefs d’entreprise locaux. Ces actions demeurent qualifiées de « publiques ». L’emploi commun de l’expression « politique publique » est alors trompeur, à moins que l’adjectif « publique » ne fasse écho à la sphère publique par simple opposition à la sphère privée individuelle.
Dans ce contexte, de nombreux et d’importants faux-semblants entourent les capacités d’action des partenaires de ces dispositifs. La communauté urbaine est toute puissante en termes financier ainsi qu’en termes d’expertise mais elle délègue la mise en œuvre de nombreuses actions. Les représentants des chefs d’entreprise locaux héritent alors de marges de manœuvre importantes. L’existence des dispositifs partenariaux de la communauté urbaine accroît néanmoins la concurrence entre ces instances patronales en termes de capacité à représenter les chefs d’entreprise locaux. La montée en puissance des agents et des élus communautaires profite ainsi à des représentants des chefs d’entreprise locaux pris dans des enjeux complexes de représentation. Cette réforme est, en outre, orchestrée par des élus et des agents intercommunaux qui entendent défendre leurs intérêts professionnels. L’institutionnalisation d’une action économique intercommunale entraîne ainsi l’institutionnalisation d’un service économique intercommunal. Au sein du gouvernement privé de l’action économique intercommunale qu’ils mettent en place depuis les années 1970, les acteurs publics ont toute leur place.
Le processus de transformation des rôles des partenaires de ‘Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise’ et du ‘Pack’ est antérieur à ces dispositifs. Dans ce contexte, la réforme de la « gouvernance économique métropolitaine » est avant tout un outil qui permet à ces partenaires de participer à la construction et à la stabilisation de leurs rôles.
L’observation des types d’engagement des milieux économiques dans ‘Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise’ et le ‘Pack’ révèle l’importance des stratégies des différentes instances patronales visant à accroître chacune sa légitimité aux yeux des chefs d’entreprise locaux. Ces derniers, profondément concurrents sur les marchés privés dans lesquels s’intègrent leurs entreprises, sont aussi structurés en mondes qui s’opposent tout en cherchant et en parvenant, jusqu’à ce jour, à s’allier. La structure de la représentation des chefs d’entreprise est néanmoins mouvante. Le Medef Rhône et la CCIL la dominent encore, mais la CGPME et, indirectement, les cercles de chefs d’entreprise y ont également leur place. Les représentants des chefs d’entreprise locaux interviennent finalement dans l’action économique locale en s’affichant aux côtés de la communauté urbaine mais en s’investissant dans des actions qu’ils pilotent eux-mêmes directement.
Les agents communautaires responsables du « développement économique », notamment les agents de la DAEI, se définissent désormais comme des « développeurs économiques » animateurs de réseaux de chefs d’entreprise en faisant leur le rôle que s’attribuent déjà les agents de la CCIL. Ils constituent en outre un groupe aux caractéristiques bien spécifiques parmi les classes moyennes de la fonction publique territoriale. Souvent contractuels ils sont amenés à changer d’employeur et à travailler alternativement dans des structures publiques et dans des structures semi-publiques, voire privées. L’emprise croissante de ce groupe d’agents sur les politiques économiques locales, qu’ils fondent avant tout sur la proximité de leurs modes de pensée avec ceux des chefs d’entreprise (ou, en d’autres termes, sur la libéralisation de leurs modes de pensée), est ainsi nette et sans faille.
Les élus responsables du « développement économique », enfin, voient eux-aussi leurs rôles et leurs modes de légitimation se transformer en partie. Nous avons notamment identifié des élus au profil singulier (puisqu’ils sont aussi chefs d’entreprise) qui parviennent à s’assurer une place et un rôle importants dans les actions mises en oeuvre. La légitimité de ces élus apparaît alors davantage tirée de leurs trajectoires individuelles, que des résultats électoraux. Elle est notamment fondée sur des compétences économiques qu’ils convertissent en compétences politiques : non seulement sur leurs relations avec les chefs d’entreprise, mais aussi sur leur expérience directe de la direction d’entreprises et du marché économique.
Les résultats de cette enquête sont ainsi finalement plus proches des thèses monistes que des thèses pluralistes (cf. MILLS, L'élite du pouvoir, op. cit.).