1.1. Structuralisme et perception analytique

1.1.1. La perception visuelle comme ‘piecemeal affair’

Le structuralisme, représenté notamment par Titchener (1909) et Wundt (1874), trouve ses origines dans l’empirisme britannique. La perspective atomiste et l’importance accordée aux mécanismes associationnistes sont centrales dans leur description de la perception, dont les unités de base seraient de multiples sensations élémentaires indépendantes, à partir desquelles une totalité organisée pourrait être secondairement construite grâce à des règles d’association apprises par expérience.

Les idées structuralistes sont cohérentes avec certaines conceptions plus récentes, considérant la perception comme analytique avant tout. Pour Neisser (1967, cité par Treisman, 1988) par exemple, les différentes parties d’une scène visuelle seraient d’abord perçues, avant que des procédures de reconnaissance de configurations ne s’engagent.

Une telle description de la perception visuelle, strictement dirigée par l’extraction de composantes vers la structure générale, est parfois justifiée en évoquant une restriction de l’espace sur lequel l’organisation perceptive pourrait s’effectuer. Par exemple, Hochberg (1981, cité par Pomerantz, 2004) considère que la fenêtre dans laquelle une organisation perceptive est immédiatement possible est si étroite, que la perception reposerait plus souvent sur une construction (i.e., a piecemeal affair) que sur une organisation globale spontanée. Il évoque certains phénomènes cohérents avec une telle conception. Par exemple, la possibilité de percevoir des figures même lorsque celles-ci sont géométriquement impossibles (e.g Figure 1) suggère que l’organisation visuelle s’effectue à partir des détails, sans tentative d’intégration spontanée dans une grande forme globale, ce qui empêche dans cet exemple de découvrir immédiatement l’incohérence de la configuration.

Figure 1. Exemple d’une figure impossible

(l’illustration est issue de Pomerantz, 2004)

Les contours d’un tel objet impossible seraient interprétés à partir de l’accumulation des parties, sans organisation spécifique au niveau de la totalité (Pomerantz, 2004). La justification de l’aspect ‘morcelé’ de la perception précoce par les limites de la fenêtre disponible pour une intégration spontanée des traits est cohérente avec le fait qu’une propriété relative à une totalité, comme la symétrie entre deux parenthèses ( ), est détectée seulement localement, dans les régions très proches de l’axe de symétrie vertical : même si la proportion des deux éléments est respectée par l’agrandissement, leur présentation à 10° plutôt qu’à 2° l’un de l’autre fait pratiquement disparaître leur regroupement perceptif sur la base de leur symétrie (Pomerantz, 2004). Toutefois, d’autres illusions suggèrent quand même que la fenêtre dans laquelle l’organisation perceptive prend rapidement place est assez large : le triangle virtuel de Kanisza (voir Figure 2), perçu même si les trois éléments qui induisent cette illusion sont éloignés, constitue ainsi un contre-argument à la théorie de l’organisation parcellaire, en montrant qu’une figure globale peut parfois s’imposer rapidement et avec force.

Figure 2. Triangle virtuel de Kanisza

(l’illustration est issue de Pomerantz, 2004)