1.1.2. La théorie de l’intégration des traits de Treisman

La primauté de la perception des composantes transparaît dans la théorie de l’intégration des traits de Treisman : la vision précoce consisterait à extraire de l’image des traits, alors représentés sur des plans distincts (feature maps), en concordance avec la spécialisation des aires corticales impliquées en vision. C’est pourquoi la recherche visuelle d’une cible à partir du critère d’un trait unique sur lequel repose sa différence avec des distracteurs (e.g., la cible Q parmi des O) est facilement réalisée, grâce à un phénomène de ‘pop-out’: la cible est perçue immédiatement, sans effort et automatiquement, avec une même facilité quelle que soit la quantité de distracteurs. La détection immédiate de la cible est alors réalisée de manière pré-attentionnelle, grâce à un mécanisme de traitement en parallèle. De même, dans une scène visuelle, une rupture au niveau d’une dimension unique telle que la couleur ou la luminance permettrait de délimiter automatiquement une forme (e.g., une vache brune sur le fond vert du pré), parce que l’extraction d’aucune relation entre traits n’est nécessaire. Par contre, si la distinction de la cible nécessite la prise en compte d’une conjonction de traits relevant de dimensions différentes (e.g., détecter une barre horizontale verte parmi des barres horizontales rouges et des barres verticales vertes), sa détection devient plus difficile et prend d’autant plus de temps que le nombre de distracteurs augmente. Selon la théorie de l’intégration des traits, il s’impose alors de prendre en compte des relations entre traits pour les intégrer (binding), ce qui impliquerait des opérations coûteuses en temps et en énergie, réalisées en un second temps et impliquant des ressources attentionnelles (Treisman, 1988). L’attention spatiale serait donc nécessaire pour assembler les divers éléments de base de l’objet (Treisman & Gelade, 1980). Lorsque l’attention n’est pas disponible parce qu’elle est dirigée sur une autre tâche concernant des stimuli en périphérie, des conjonctions illusoires peuvent se produire entre les traits de deux objets présentés rapidement de façon centrale, avec par exemple l’illusion d’avoir vu une croix bleue alors qu’une croix rouge et un T bleu étaient présentés (Treisman & Schmidt, 1982). Ces phénomènes de conjonction illusoire constituent un argument important pour la conception analytique de la perception (Printzmetal, 1995). Ils se produisent surtout à partir de la similarité de couleur. Une combinaison correcte des différents traits serait donc une étape de traitement attentionnelle et secondaire au codage séparé des traits. Comme le champ visuel ne serait pas représenté sous forme d’objets dans le traitement pré-attentionnel, mais comme une collection de traits, l’attention ne serait pas dirigée par des objets (object-based attention), mais sélectionnerait plutôt des régions de l’espace (space-based attention) pour permettre seulement ensuite la construction mentale des objets. Avant cet assemblage, le monde visuel se limiterait à une ‘soupe’ d’attributs sans organisation spatiale (Rousselet, 2003).