1.2.3. La théorie de Palmer et Rock (1994)

La théorie proposée par Palmer et Rock (1994a) propose que les unités primitives de l’organisation perceptive du champ visuel sont extraites à partir d’un principe unique, que la théorie de la forme n’aurait jamais véritablement décrit tout en la reconnaissant implicitement. Un couple de propriétés de relations seraient ainsi à l’origine des unités perceptives de base : l’uniformité et la connexion (i.e., principe d’UC : uniform connectedness). Les autres principes d’organisation ne participeraient au traitement que secondairement. Le principe d’UC postule qu’une région de couleur, luminance, mouvement et/ou texture homogène et exempte de discontinuité (connectedness) est perçue comme une unité de base. L’extraction d’une telle unité perceptive serait rapide car immédiatement basée sur l’information rétinienne. Une ségrégation de différentes régions s’opèrerait ainsi dans l’espace et un processus de séparation figure-fond permettrait ensuite aux régions identifiées comme figures de constituer des objets ou unités d’entrée pour les traitements visuels ultérieurs de plus haut niveau, soit 1/ une analyse en composantes plus élémentaires, soit 2/ un regroupement permettant de rapprocher différentes figures en s’appuyant cette fois sur une plus grande variété de principes (proximité, continuité pour l’alignement de points, fermeture…).

L’UC ne serait pas un processus de regroupement, car il n’opèrerait pas sur des éléments définis préalablement : il serait lui-même le processus isolant les premières unités. Deux mécanismes permettraient de repérer ces régions. L’un partirait de la similitude entre quelques pixels et étendrait la surface jusqu’à ce que la similitude disparaisse brusquement, définissant les frontières de la région. L’autre, que les auteurs soupçonnent d’être plus efficace, consisterait à détecter les bords, localisant les endroits où une différence brusque de luminance délimite les frontières : il s’agit d’un processus très différent de ceux imaginés par la théorie de la forme. Ce processus serait très efficace car il laisserait échapper de petits décalages dans les nuances de couleurs d’une unité perceptive et augmenterait ainsi les chances de repérer des objets dans l’environnement.

Les auteurs défendent la dominance de la connexion en tant que caractéristique fondant chaque unité primitive, en montrant que des points paraissent former une même unité s’ils sont reliés par un trait, même s’ils sont moins proches et/ou moins similaires entre eux qu’ils ne le sont avec d’autres points du contexte. D’après cette théorie, des points non connectés mais dont la disposition spatiale formerait une configuration seraient traités chacun comme des unités d’entrée, et ne seraient regroupés qu’ensuite en une configuration. Il n’y aurait donc pas de dominance perceptive de la forme si elle repose sur des segments disjoints. Dans un stimulus hiérarchisé tel que proposé par Navon, les unités d’entrée seraient donc au niveau local, surtout si la densité des éléments locaux est faible.

Palmer et Rock (1994a) prévoient tout de même un cas particulier pour lequel des éléments discrets seraient d’emblée perçus comme un ensemble : ils doivent pour cela se détacher du contexte par leur similarité. Par exemple, de petits traits ayant une même orientation formeront une unité perceptive d’entrée si la surface qu’ils constituent se distingue d’autres traits orientés différemment. Il s’agit ici encore du principe de l’UC, appliqué cette fois en raison de l’uniformité de texture. Dans ce cas, deux traitements précoces s’engageraient simultanément selon ce même principe : l’un dégagerait les segments comme unités perceptives à un niveau local, l’autre dégagerait parallèlement une unité plus large définie par l’uniformité de texture, tout au moins si les segments sont suffisamment proches. Les auteurs envisagent que l’extraction en parallèle de ces deux régions nichées l’une dans l’autre se fait selon un même principe, mais à des rythmes différents : l’extraction de la région de niveau global pourrait aboutir plus rapidement que celle des différents segments locaux dans de telles scènes visuelles hiérarchisées. Grâce à cette extension de leur théorie, ils peuvent rendre compte de l’effet de supériorité du traitement de l’information au niveau global plutôt qu’au niveau local, tout au moins si les éléments locaux du stimulus hiérarchisé sont proches les uns des autres.

Tout en inscrivant leur théorie dans la continuité de la théorie de la forme, les auteurs n’accordent pas de rôle précoce aux diverses caractéristiques de forme (à l’exception de l’uniformité et de la connexion) et donc aux configurations dans les traitements visuels les plus précoces (Palmer & Rock, 1994b). Leur propos est néanmoins intéressant concernant le traitement de régions hiérarchisées.