1.2.7. Préemption de la totalité sur les traits

A partir d’expériences plus clairement centrées sur la notion de configuration, dès 1977, Pomerantz, Sager et Stoever ont observé que la discrimination de deux stimuli qui diffèrent seulement par l’orientation d’un de leurs traits (une diagonale orientée différemment dans le dessin d’une flèche et dans celui d’un triangle) est réalisée plus rapidement que la discrimination des deux diagonales présentées séparément, montrant que la différence entre les deux configurations est traitée plus rapidement que la différence entre ses traits isolés. Des effets similaires se produisent pour l’orientation de deux coins. Par contre, cet effet de la configuration n’est observé que s’il s’agit d’une véritable forme et non de traits assemblés mais disposés au hasard. Les auteurs estiment que le contexte constitué par une forme aide la perception des composantes, dont il devient difficile de postuler un traitement indépendant préalable.

L’idée de préemption de la forme sur les traits va plus loin : lorsqu’ils contribuent à l’organisation interne d’une forme, les traits qui la composent ne seraient accessibles qu’avec difficulté de manière isolée. Certains travaux décrivent une dominance de la forme si importante qu’elle ne peut être perçue que sur le mode du tout-ou-rien, avec une difficulté à diriger l’attention sélective sur des parties (Pomerantz & Pristach, 1989). Pour ces auteurs, ce phénomène ne s’explique pas directement par la supériorité de la forme générale de l’objet sur les traits, mais plus simplement par la supériorité des caractéristiques de relations entre les segments : de simples proto-objets, faisceaux de traits groupés parce qu’ils entretiennent des relations, pourraient donc déjà avoir un tel rôle.

Rensink et Enns (1995) se font les avocats de cette préemption de la totalité sur les traits, à l’issue d’un ensemble d’épreuves de recherche visuelle réalisées avec des stimuli de Müller-Lyer. La cible est un segment délimité de chaque côté par des ailettes qui pointent vers l’extérieur, parmi des distracteurs constitués d’un segment avec des ailettes pointant vers l’intérieur. La cible à détecter se distingue par sa forme, mais elle se distingue aussi par la longueur du segment, ou par la longueur de l’ensemble du stimulus, ou par les deux. Les résultats montrent que les performances ne sont influencées que par la variation de la longueur totale du stimulus et pas par la variation de la longueur du segment central. Cela suggère que les cibles sont détectées sur la base des configurations plutôt que des segments, pourtant faciles à traiter en présentation isolée. Lorsqu’elles sont prises dans une configuration, les composantes ne seraient donc pas toujours accessibles à la recherche visuelle rapide et elles subiraient une préemption, car une rapide opération de groupement de bas niveau les lierait lors d’une étape plus élémentaire que celle accessible à la recherche visuelle. Cette idée est conforme à la théorie de la Gestalt, selon laquelle les inter-relations entre les composantes déterminent la structure perceptive de la forme (Hoffman, 1996). Toutes les relations spatiales ne seraient donc pas nécessairement prises en charge par des niveaux de traitements attentionnels secondaires, séparés de niveaux pré-attentionnels dévolus au traitement des composantes comme le décrit Treisman (1988), et certaines structures seraient accessibles rapidement.

Ces effets sont répliqués dans des expériences présentant des stimuli de Müller-Lyer dont les segments ne sont pas connectés : ils sont constitués de lignes virtuelles entre des points non reliés, ou de segments de luminance variée. Il semble donc que la forme accessible rapidement dans ces expériences, si précoce et irrépressible qu’elle exerce une préemption sur les composantes, n’ait néanmoins pas émergé à partir du principe d’UC décrit par Palmer et Rock (1994a). La forme pourrait ainsi imposer de fortes contraintes aux traitements visuels précoces à partir d’autres critères que l’uniformité de couleur ou de luminance, ou de connexion. La dominance perceptive induite par la présence de diverses propriétés de relations a été évoquée en 1.2.4.