1.3.3. Une indépendance très relative des traitements global et configural

En dehors de l’étude de pathologies, les travaux de Luna et Montoro (2006) auprès de jeunes adultes sains montrent aussi que le mode de traitement global et le traitement configural constituent deux aspects du traitement d’une totalité en partie indépendants : seule la perturbation d’une composante des traitements configuraux, encore une fois le traitement de relations spatiales fines, peut faire disparaître l’effet de supériorité du niveau global. Ces auteurs montrent en effet une détérioration de l’effet de supériorité du niveau global lorsque la configuration devient difficile à extraire à cause de l’irrégularité de la taille des éléments ou de l’hétérogénéité des distances les séparant. Dans de tels stimuli, les relations spatiales sont affectées et l’effet de supériorité du niveau global diminue. Han & Humphreys (1999a) montrent aussi qu’en empêchant de grouper les éléments sur la base de leur proximité et en ne permettant ce groupement que sur la base de la similarité de forme, l’avantage du niveau global disparaît.

Par contre, Luna et Motoro (2006) montrent que l’ajout d’une hétérogénéité supplémentaire avec la diversification des couleurs des éléments n’accroît pas la détérioration du traitement global, ce qui met en avant le rôle fondamental des relations spatiales dans le traitement du niveau global, par opposition à la similarité de nature des éléments. Cela concorde avec la définition que Pomerantz (1983) donne des stimuli hiérarchisés, conçus comme des configurations de type P (pour lesquelles seules les relations spatiales entre les éléments sont pertinentes) et non de type N (pour lesquelles l’emplacement et la nature des éléments déterminent l’identification de la forme globale). Miller, dès 1981, avait déjà montré que lorsque l’attention est focalisée sur le niveau global, le traitement des cibles à ce niveau n’est pas influencé par le fait que les éléments locaux consistent en une répétition d’une seule et même lettre, ou en un mélange de plusieurs lettres. La persistance des effets de dominance du niveau global malgré l’hétérogénéité des éléments locaux a également été confirmée par Yassky (1991, citée par Navon, 2003). Enfin, Navon (2003) a réalisé plusieurs expériences montrant que l’hétérogénéité des formes des éléments avait un faible impact sur l’avantage du niveau global. Les études conduites sur le poids relatif des groupements selon la proximité ou la similarité sur l’avantage du niveau global conduites par l’équipe de Han et Humphreys (1999) indiquent également le caractère plus crucial du groupement selon la proximité pour le traitement du niveau global. Des données en potentiels évoqués concordent aussi avec cette différence, montrant que le groupement selon la proximité se traduit par des manifestations au niveau du cortex primaire dès 100-120 ms de stimulation visuelle, les indices électrophysiologiques de groupement selon la similarité se manifestant plus tardivement.

En bref, l’avantage du niveau global résiste à certains facteurs relatifs aux configurations et s’exprime indépendamment de difficultés à réaliser le groupement basé sur la similarité de couleur ou de forme, mais le groupement basé sur les relations spatiales doit pouvoir se réaliser dans de bonnes conditions pour que l’avantage du niveau global se produise. Même si l’avantage du niveau global ne se réduit pas à la perception d’une surface dotée d’une texture parfaitement unitaire (Navon, 2003), une trop grande difficulté à traiter les relations spatiales entre éléments entrave gravement le traitement du niveau global. Bien que la possibilité de réaliser un traitement sur un mode global ne soit pas totalement assimilable à la capacité à traiter une configuration (Kimchi, 1994), sa vulnérabilité à la difficulté du traitement des relations spatiales fines souligne le lien entre certains aspects des traitements de configurations et ce mode de traitement. Aussi, même si la distinction entre deux aspects des traitements d’une totalité semble pertinente, il est difficile de faire abstraction de tout traitement configural lorsqu’on s’intéresse à l’opposition entre traitements visuels global et local. C’est pourquoi le chapitre que nous avons proposé sur le traitement des propriétés configurales nous semblait apporter des éléments importants, même si le questionnement central de notre thèse concerne plus précisément la distinction entre les modes de traitement définis par le niveau de hiérarchie sélectionné.

Nous avons vu que le traitement d’un stimulus hiérarchisé implique généralement, au niveau local comme au niveau global, un traitement configural débouchant sur la détection ou la discrimination de forme(s). Dans le cas où la complexité configurale des formes serait équilibrée entre niveaux global et local, la différence essentielle entre le traitement des petites et grande formes pourrait être une question de hiérarchie. Il serait alors possible de décrire deux modes de traitement visuel distincts, adaptés à la prise en charge des niveaux. Il conviendra de préciser en quoi ils se distinguent. Une quantité importante de recherches a contribué à répondre à ce questionnement. S’agit-il vraiment de deux modes de traitement différents, ou bien la différence entre les deux s’explique-t-elle plus simplement par une différence de taille de fenêtre attentionnelle, sans que la nature du traitement diffère vraiment ? Quels sont les rapports entre les deux traitements : dépendent-ils l’un de l’autre, sont-ils effectués selon une séquence stricte ? Les caractéristiques d’un traitement de mode global ou local sont-elles seulement déterminées par la place des formes dans la hiérarchie de l’objet, ou sont-elles modulables par des influences de plus haut niveau ? Si le traitement de chaque niveau correspond à des modes de traitement différents, comment se fait le passage entre les deux ?