2.1.3.1. Précocité du parallélisme des traitements global et local

Des arguments neuropsychologiques viennent appuyer la thèse d’une prise en charge des traitements global et local par des régions cérébrales distinctes, susceptibles de fonctionner en parallèle. Notamment, en cas de lésion centrée sur la partie postérieure du gyrus temporal supérieur gauche, les patients répondent à l’information globale nettement plus tôt qu’à l’information locale, alors que l’inverse est observé chez des patients atteints de lésions dans une région analogue dans l’hémisphère droit (HD). Ces observations ont été faites à partir de tâches de dessins où il s’agit de reproduire des stimuli hiérarchisés (Delis, Robertson, & Efron, 1986), ou bien la figure de Rey Osterreith. Comme ces troubles ne sont pas liés à une baisse de l’acuité visuelle, il semble que deux systèmes de traitement visuels accordent un poids différent aux niveaux global et local, sans toutefois traiter l’un d’eux de manière exclusive (Robertson & Lamb, 1991). Des travaux recueillant des temps de réponse et conduits un an après l’accident de patients atteints de petites lésions focales et unilatérales des aires pariétales postérieures ont conforté cette configuration de résultats, les atteintes cérébrales postérieures droites ralentissant surtout le traitement global et les atteintes gauches ralentissant le traitement local (Lamb, Robertson, & Knight, 1989, 1990 ; Robertson, Lamb, & Knight, 1988) : ces éléments concordent avec une possibilité de prise en charge en parallèle des deux niveaux d’analyse visuelle.

Des travaux en potentiels évoqués plaident en faveur de la précocité du parallélisme de cette prise en charge des informations selon leur niveau. Heinze et Münte (1993) ont décrit une onde négative postérieure (N250) mesurée entre 250 et 350 ms après le stimulus et dont la distribution topographique varie selon le niveau où la cible apparaît dans une tâche d’attention divisée. Ils existe donc des corrélats électrophysiologiques de la différence entre les traitements à l’un et l’autre niveaux ; ils seraient sous-tendus par des systèmes séparés qui n’interagiraient pas, au moins à cette étape, puisque le N250 n’est pas modifié en cas d’interférence venant du niveau où la cible n’est pas située. Notons toutefois que cette absence de modulation de l’onde par l’interférence pourrait venir du paradigme utilisé : il s’agit d’épreuves d’attention divisée demandant une discrimination entre deux cibles et la concurrence ne peut venir de l’autre cible puisque les deux cibles ne sont jamais présentes dans le même stimulus. Cette concurrence ne vient donc que de la présence, à l’autre niveau, de dessins assez similaires, ce qui peut expliquer leur faible influence. Toujours avec le paradigme d’attention divisée, Deruelle et Neville (1994, cités par Proverbio et al. 1998) ont quant à eux observé que l’onde N250 se déclenche plus précocement lorsque la cible est située au niveau global plutôt qu’au niveau local. Cela confirme, d’une autre manière, la distinction entre les deux traitements et témoigne d’une origine perceptive relativement tardive de l’avantage du niveau global. Des données plus récentes en potentiels évoqués, utilisant cette fois des tâches d’attention focalisée, montrent que la focalisation sur un niveau plutôt qu’un autre se traduit par la modulation d’une onde beaucoup plus précoce (P1) entre 80 et 100 premières millisecondes après l’apparition du stimulus (Evans, Shedden, Hevenor, & Hahn, 2000), onde dont le générateur a été situé dans les aires extra-striées impliquées dans le traitement visuel précoce (Mangun & Hillyard, 1995, cité par Evans et al., 2000). Han, He et Woods (2000) ont enfin confirmé que le premier corrélat électrophysiologique de la différence entre traitements global et local se manifeste au niveau visuel dans les 110 premières millisecondes de traitement, cette fois dans une expérience d’attention divisée. Des données en imagerie cérébrale concluent également à cette différentiation précoce du traitement de l’information selon le niveau, en décrivant des activations cérébrales distinctes, notamment pour leur latéralisation hémisphérique, dans les aires visuelles extra-striées (Fink, Halligan, Marshall, Frith, Frackowiak, & Dolan, 1996 ; Fink, Marshall, Halligan, Frith, Frackowiak, & Dolan, 1997a).

Par ailleurs, un ensemble de données montre que l’avantage du niveau global n’est pas sensible à l’hétérogénéité de la forme des différents éléments au niveau local (Luna & Montoro, 2006 ; Miller, 1981 ; Navon, 2003 ; Yassky, 1991, cité par Navon, 2003). Cette absence de sensibilité du traitement global à une caractéristique physique de l’information de niveau local témoignerait aussi de l’indépendance du déroulement des traitements à l’un et l’autre niveaux.