2.1.4.1. Arguments contre le décalage temporel de la disponibilité des informations globale et locale

Pour se démarquer des interprétations perceptives de la dominance du niveau global, ce courant d’interprétation écarte tout d’abord l’idée d’un décalage à l’issue des traitements perceptifs global et local. Boer et Keuss (1982) se sont ainsi appuyés sur une analyse précise des rapports entre vitesse et exactitude de réponse dans différentes conditions pour dire que l’avantage du niveau global n’apparaît qu’après l’étape de détection des traits. Ils concluent à la disponibilité simultanée des informations issues de l’un et l’autre niveaux et à une origine plus tardive et attentionnelle de l’avantage du niveau global.

Pour écarter l’idée de décalage temporel des informations issues de canaux spécialisés selon le niveau, Miller (1981) présente quant à lui un résultat surprenant. Dans une expérience où la lettre cible peut apparaître à l’un ou l’autre niveau de manière non prévisible (épreuve d’attention divisée), l’information locale influence les temps de réponses, même lorsque l’information au niveau global est suffisante pour fournir la réponse. Il observe en effet de meilleures performances lorsque la cible est située aux deux niveaux que lorsqu’elle est seulement présente au niveau global. Pour lui, cela témoigne du fait que l’information sur les lettres locales est disponible pour les mécanismes de réponse d’une manière non décalée par rapport à l’information globale. Sa seconde conclusion concerne les processus de décision. Il écarte l’idée selon laquelle les deux niveaux seraient traités par des processus de décision en compétition, entre lesquels celui qui détiendrait une information suffisante déterminerait à lui seul la réponse. Il imagine plutôt un processus de décision unique intégrant l’information issue des deux niveaux. Dans ce cas, la cohérence entre les deux sources d’information ne pourrait qu’accélérer la réponse, ce qui permettrait d’expliquer pourquoi des informations cohérentes aux deux niveaux permettent des réponses plus rapides que la présence de la cible au seul niveau global. Selon lui, l’avantage du niveau global est un phénomène d’origine assez tardive et impliquerait le processus de décision.

La recherche de l’origine de l’avantage du niveau global dans des processus de haut niveau trouve aussi un argument original dans des données comparant l’avantage relatif des niveaux entre différents primates. Ces études s’appuient sur la grande similarité du système visuel des humains et des autres primates : il n’y aurait pas de différence majeure entre les primates pour ce qui est des voies visuelles primaires et secondaires (De Valois, & De Valois, cités par De Lillo, Spinozzi, Truppa, & Naylor, 2005 ; Deruelle & Fagot, 1997). Pourtant, alors qu’il est classique d’observer une plus grande rapidité et une meilleure exactitude de réponse au niveau global chez les humains, les singes (capucins, babouins) traitent plus vite et plus précisément les cibles locales (De Lillo, & al., 2005 ; Deruelle & Fagot, 1997). Ils sont aussi davantage perturbés que de jeunes enfants par l’augmentation de l’espacement entre les éléments locaux qui gêne le groupement et donc le traitement global (De Lillo, & al., 2005). Chez les capucins, cet avantage du niveau local demeure même si la taille des stimuli augmente et si la densité au niveau local est importante (Spinozzi, De Lillo, & Salvi, 2006). Les chimpanzés ont, quant à eux, un profil de réponse intermédiaire sans véritable avantage pour un niveau (Fagot & Tomonaga, 1999). Cela montre pour le moins que l’avantage du niveau global n’est pas universel dans le monde des primates et, étant donnée la similarité des systèmes visuels de bas niveaux, les différences observées entre espèces seraient vraisemblablement liées à des mécanismes visuels de haut niveau, plutôt qu’à des caractéristiques du système sensoriel périphérique.