2.1.5.3. Modulation attentionnelle de traitements perceptifs visuels de bas niveau

La perspective consistant à envisager les composantes à la fois sensorielles et attentionnelles des traitements global et local présente aussi une cohérence avec les données sur les supports neuro-anatomiques de ces traitements.

De nombreuses études neuropsychologiques publiées à la fin des années 80’ et au début des années 90’, notamment par Robertson et ses collègues, ont tout d’abord mis en avant la place centrale de la région temporo-pariétale dans le traitement différencié des deux niveaux. Des lésions temporo-pariétales droites se traduisent en effet par un déficit sélectif du traitement des informations au niveau global, alors que des lésions dans des régions homologues de l’autre hémisphère perturbent plutôt le traitement des informations locales (Robertson et al., 1988 ; Robertson & Lamb, 1991). La question est alors de savoir si ces régions sous-tendent des systèmes perceptifs « passifs » ou des processus attentionnels. Pour le tester, Robertson et ses collègues (1988) ont comparé des patients atteints de lésions gauches, les uns dans le gyrus temporal supérieur, les autres dans la partie rostrale du lobe pariétal inférieur. La variation de la proportion de cibles situées à un certain niveau dans l’épreuve s’accompagne normalement d’une amélioration des performances pour ce niveau. Seuls les patients atteints de lésions pariétales inférieures ne présentent pas cet effet, ce qui témoignerait d’un déficit de leur capacité à répartir l’attention de manière optimale en fonction de la situation. En revanche, les lésions temporales supérieures ne s’accompagnent pas de ce déficit attentionnel, mais plutôt d’un déficit de traitement de l’information globale (lésions droites) ou locale (lésions gauches).

Dans l’ensemble, ces données ont abouti à décrire plusieurs mécanismes dans les traitements global et local : la région temporale supérieure aurait des dispositions à traiter et/ou à porter attention sur un niveau de façon spécifique selon l’hémisphère, alors que la région pariétale inférieure sous-tendrait la distribution des ressources attentionnelles, en se fondant par exemple sur des caractéristiques de la liste. Une analyse plus précise des données a permis de découvrir que les patients atteints de lésions pariétales inférieures sont surtout insensibles au fait que le niveau à traiter soit le même que dans l’item précédent : il ne tirent pas de bénéfice de cet effet de contexte. Le lobe pariétal inférieur serait donc surtout impliqué dans le maintien des ressources pour le mode de traitement dans lequel l’attention vient de s’investir (Rafal & Robertson, 1995), ce qui est encore une fois un mécanisme actif attentionnel. Plus récemment, Weissman et Woldroff (2005) ont pu dissocier, grâce à l’IRMf, des zones distinctes dans la région temporo-pariétale postérieure et constituant des supports neuronaux dissociés pour des mécanismes de préparation attentionnelle, d’une part, et d’identification d’information selon leur niveau, d’autre part. Ces auteurs montrent en effet que dans le sillon intra-pariétal les activations présentent une asymétrie hémisphérique en fonction du niveau vers lequel se porte la préparation attentionnelle, alors que l’asymétrie hémisphérique pour l’identification des éléments à l’un et l’autre niveaux se manifeste ensuite (après la présentation des stimuli) à la jonction du gyrus temporal supérieur et du lobe pariétal inférieur.

L’imagerie cérébrale a également permis de préciser que la modulation attentionnelle selon le niveau a une incidence aussi sur les aspects précoces des traitements visuels, car elle se traduit par des modifications de l’activation cérébrale dans des régions sous-tendant des traitements élémentaires du système visuel. Avec la technique des potentiels évoqués, des travaux montrent par exemple que la focalisation attentionnelle au niveau global ou local a des corrélats électrophysiologiques différenciés au niveau du cortex visuel extra-strié (Evans, Shedden, Hevenor, & Hahn, 2000). C’est aussi la conclusion à laquelle aboutissent Fink et ses collègues, en combinant les observations issues de deux expériences en TEP (Tomographie par Emission de Positons), l’une avec attention focalisée sur un niveau et l’autre avec le paradigme d’attention divisée (Fink, Halligan, Marshall, Frith, Frackowiak, & Dolan, 1996). Dans la tâche d’attention focalisée, ils ont tout d’abord relevé une activation dans les aires visuelles extra-striées, différenciée selon le niveau sélectionné : une activation du gyrus lingual droit pour la focalisation au niveau global et dans le cortex occipital inférieur gauche lors d’une focalisation au niveau local, cette dernière augmentation d’activation spécifiquement liée à la focalisation au niveau local étant confirmée en IRMf par Martinez, Moses, Frank, Buxton, Wong et Stiles (1997). La précocité de ces activations différenciées selon le niveau sélectionné est confirmée par des travaux en potentiels évoqués montrant qu’elles se manifestent dans le cortex visuel, à partir de 80 ms après l’apparition des stimuli (Jiang & Han, 2005).

Concernant l’origine de cette modulation, ces auteurs évoquent leurs résultats dans une tâche d’attention divisée. Ils notent que le nombre de stimuli traités successivement au même niveau est corrélé aux activations bilatérales de la région temporo-pariétale (Fink et al., 1997a), et aux activations de trois régions latéralisées à droites (cortex orbito-frontal, cortex préfrontal dorsolatéral et gyrus temporal médian). Cet ensemble constitue un système d’attention sélective fronto-pariétal (Corbetta, Miezin, Dobmeyer, Shulman,& Petersen, 2000) connu pour moduler l’activité corticale correspondant aux traitements sensoriels afin de favoriser les cibles au détriment des distracteurs (Desimone, 1998). Fink et ses collègues (1997a) concluent que le maintien de l’attention soutenue à un certain niveau, mesuré dans cette expérience à partir de la répétition de traitement à un même niveau, recrute un réseau impliquant les régions temporo-pariétales et préfrontales dorsolatérales. Cela est cohérent avec les données neuropsychologiques montrant l’implication de la région pariétale dans le contrôle de la distribution des ressources entre niveaux (Robertson et al., 1988 ; Robertson & Lamb, 1991). Cela concorde aussi avec les activation temporo-pariétales droites et temporales postérieures gauches lors du traitement d’un indice imposant de sélectionner le niveau global ou local, respectivement, pour traiter le stimulus suivant (Yamaguchi, Yamagata, & Kobayashi, 2000).

En combinant cette observation avec les résultats de l’expérience en attention focalisée, Fink et al. (1997a) estiment avoir démontré que les réponses neurosensorielles au niveau des aires visuelles extra-striées sont influencées par la focalisation attentionnelle au niveau global ou local, et que cette modulation est contrôlée par un système attentionnel impliquant des aires temporo-pariétales. Il peut paraître surprenant qu’ils n’aient pas aussi observé une activation temporo-pariétale dans la tâche d’attention focalisée, mais il semble que l’intervention du contrôle attentionnel en question soit plus facile à observer en présence de conflit ou de distracteurs (Weissman, Mangun, & Woldorff, 2002), ce qui est moins le cas dans leur expérience en attention focalisée qu’en attention divisée. Fink et ses collègues (1997a) proposent en tout cas une description intéressante de la séparation entre des aires cérébrales chargées du traitement du signal et les systèmes attentionnels, tout en contribuant à préciser l’articulation entre ces aspects.

Enfin, le lobe pariétal gauche a été associé à d’autres mécanismes attentionnels, intervenant dans certaines situations de traitement global et local. Fink et ses collègues (1997a) ont tout d’abord observé que l’activation de la région médiane de cette aire, de même que dans l’aire motrice supplémentaire gauche, co-varie avec l’augmentation du nombre de changements pour le niveau d’apparition des cibles à l’intérieur de l’expérience. La nécessité de commuter fréquemment le mode de traitement des stimuli hiérarchisés recruterait fortement un système attentionnel latéralisé à gauche en région frontale et responsable des fonctions exécutives. L’implication de la région médiane de l’aire pariétale gauche ne paraît pas surprenante non plus étant données ses connexions anatomiques avec l’aire motrice supplémentaire (Murray & Coulter, 1981). De plus, Fink et al. (1997a) font un rapprochement entre les activations de cette aire et une région voisine (le cortex pariétal supérieur) qui s’active dans des tâches impliquant un déplacement de l’attention (Corbetta, Shulman, Miezin, & Petersen, 1995). Même si le switch entre niveaux n’est pas directement assimilable au déplacement spatial de l’attention, les auteurs imaginent une certaine communauté entre les deux fonctions. Enfin, le lobe pariétal gauche semble sous-tendre encore un autre mécanisme attentionnel important pour les traitement global et local des stimuli visuels complexes : une détérioration de cette région cérébrale s’accompagnerait d’une difficulté à ignorer une information visuellement saillante située à un niveau de traitement qui ne doit pas être sélectionné (Mevorach, Humphreys, & Shalev, 2006). Ainsi, les travaux actuels en neurosciences cognitives mettent-ils l’accent sur les composantes sensorielles et une variété de composantes attentionnelles pouvant participer, selon les contraintes de la situation, aux traitements global et local de l’information visuelle complexe.