2.1.5.4. Exemples de théories combinant les composantes perceptives et attentionnelles des traitements global/local

Certains chercheurs ont tenté de dépasser le débat concernant la nature perceptive versus attentionnelle de la différence entre le traitement des niveaux global et local. Nous choissons d’illustrer cette tendance par des exemples de théories particulièrement marquantes.

Sans revenir en détails sur les observations neuropsychologiques de Robertson et de ses collègues, leur travail aboutit à la description d’un premier modèle articulant des mécanismes sensoriels et attentionnels pour les traitements global et local (Robertson & Lamb, 1991), dont la contribution peut être spécifiquement détériorée par des lésions cérébrales distinctes. Ils ont mis au point une épreuve de discrimination de cible pouvant apparaître à l’un ou l’autre niveau de manière non prédictible et ont équilibré la saillance entre les niveaux : les performances des sujets contrôles ne présentaient donc pas d’avantage temporel de la réponse au niveau global. Cette précaution a permis de faire ressortir d’une part une détérioration des performances pour les cibles locales en cas de lésions du gyrus temporal supérieur gauche et, d’autre part, un avantage pour le niveau local en cas de lésion temporo-pariétal droite. Par contre, nous avons vu que ces lésions n’apparaissent pas fondamentales pour distribuer de manière optimum l’attention entre les niveaux, en fonction des contraintes du contexte. En revanche, des patients atteints de lésions de la partie latérale du lobe pariétal sont, comme les sujets contrôles, aussi rapides pour le traitement de l’un et l’autre niveau, mais sont insensibles à la proportion de cibles à chaque niveau. Les parties latérales du lobe pariétal pourraient donc jouer un rôle spécifique dans le contrôle de la distribution de l’attention entre les niveaux. Les niveaux global et local feraient donc l’objet de traitements perceptifs initialement indépendants et impliquant des régions corticales latéralisées, mais un processus de contrôle attentionnel, selon eux non latéralisé, pourrait modifier la distribution des ressources entre les canaux plus ou moins impliqués dans chaque traitement. Par ailleurs, Robertson et Lamb (1991) isolent encore un autre mécanisme, qu’ils relient à l’intégrité du gyrus temporal supérieur (dans l’un et l’autre hémisphère) : une opération de coordination entre les propriétés globales et locales qui, nous l’avons vu dans la partie 2.1.5.1., garantit les effets d’interaction (effet négatif de l’interférence et effet positif de la redondance). Cette opération pourrait être rapprochée de celle que Hübner décrit comme une intégration des informations sur l’identité des informations et leur niveau respectif.

Plus récemment, Hübner et Volberg (2005) présentent une théorie originale sur les opérations impliquées dans le traitement de stimuli hiérarchisés. Elle prendra aussi un sens particulier par rapport à la question des différences hémisphériques parfois observées pour le traitement des niveaux et sera pour cela à nouveau évoquée dans la partie 3. de ce chapitre. Selon ces auteurs, lors des processus visuels précoces, l’information serait traitée en parallèle à chaque niveau, à des rythmes différents et vulnérables à de nombreux facteurs physiques. A ce stade, l’identité des éléments à l’un et l’autre niveaux serait représentée indépendamment des niveaux auxquels ils sont attachés. La représentation de l’association correcte entre l’identité des éléments et leur niveau serait le fruit d’un processus d’intégration tardif (‘binding’) et attentionnel. Pour ce processus, l’hémisphère droit (HD) serait plus performant pour relier le niveau global et l’identité de la grande forme, alors que l’hémisphère gauche (HG) serait plus efficace pour relier le niveau local à l’identité des petits éléments (Volberg & Hübner, 2006). Selon Hübner et Volberg (2005), l’asymétrie hémisphérique pour le traitement des deux niveaux ne viendrait pas d’étapes de traitement sensoriel précoce, mais seulement de cette asymétrie hémisphérique pour l’intégration tardive. Ils défendent leur hypothèse à partir de résultats d’expériences d’identification de lettres à un niveau spécifié à l’avance et dans lesquelles les temps de présentation varient (Hübner & Volberg, 2005). Les erreurs consistant à évoquer l’identité d’une lettre située au niveau qui doit être inhibé s’avèrent plus nombreuses lorsque la durée de présentation est trop brève pour permettre l’exécution correcte de cette intégration. Ils montrent aussi que l’asymétrie hémisphérique se manifeste surtout dans les épreuves d’attention focalisée et dans les épreuves d’attention divisée manipulant des lettres visuellement proches, c’est-à-dire seulement dans des situations rendant indispensable l’intégration identité des lettres / niveau (Hübner, Volberg, & Studer, in press). En bref, ces auteurs ne disent pas que l’intervention de l’attention se limite à cette opération d’intégration, mais ils établissent tout de même dans leur modèle du traitement des stimuli hiérarchisés une distinction claire entre les composantes sensorielles du traitement de l’information à chaque niveau et une composante attentionnelle d’intégration plus tardive.

Enfin, les idées développées par Miller au début des années 80’ ont évolué et aboutissent elles aussi à une conception combinant des aspects sensoriels et des aspects de plus haut niveau (relevant de processus attentionnels et/ou décisionnels). Après avoir proposé une explication de l’avantage du global strictement basée sur des aspects attentionnels (Miller, 1981), dans un article co-signé avec Navon ce chercheur propose ensuite l’hypothèse selon laquelle l’avantage du global reposerait au moins en partie sur une activation préférentielle des réponses à partir d’une information globale plutôt que locale (Miller & Navon, 2002). Ces auteurs ont testé cette hypothèse en observant une mesure électrophysiologique de la préparation à une réponse manuelle spécifique à une main, activité cérébrale enregistrée au niveau des cortex moteurs gauche et droit. Ils ont conclu que l’avantage du niveau global a une origine très précoce et perceptive, mais que cet avantage est amplifié par des processus reliés à la réponse. En cela, leur proposition est un exemple d’explication des différences entre traitements global et local par la combinaison de composantes sensorielles et de plus haut niveau.