2.3. Arguments pour les composantes attentionnelles et les influences de haut niveau dans l’avantage du global

2.3.1. Effet de la nature de la tâche

L’un des moyens les plus directs de moduler les aspects attentionnels du traitement des stimuli hiérarchisés consiste à faire varier les demandes de la tâche. Rappelons que dans les tâches dites d’attention divisée, la cible peut apparaître en tant que forme globale ou en tant que détail sans que le niveau soit prédictible. L’attention est alors supposée se diviser entre les niveaux, ou passer rapidement de l’un à l’autre. En revanche, dans les tâches d’attention focalisée, l’attention est délibérément concentrée sur un niveau selon la consigne et ce niveau change entre les blocs de l’expérience. L’un des niveaux est ainsi sélectionné, et ceci pendant toute l’épreuve.

Les expériences de Paquet et ses collègues (1987 ; Paquet & Merickle, 1988) montrent que lorsque l’attention est dirigée sur un certain niveau d’un objet cible, cela détermine quel niveau d’information est en même temps le plus difficile à ignorer dans un autre stimulus concurrent présenté à côté. L’induction d’un état attentif particulier pour sélectionner un mode d’analyse est donc un phénomène puissant, qui peut déterminer non seulement le mode de traitement d’un stimulus cible, mais aussi celui de son environnement. L’efficacité de la consigne de sélection d’un niveau est également évidente dans les travaux de Han et de ses collègues : Han, Humphreys et Chen (1999a) ont fait apparaître l’une des petites figures locales en rouge pour augmenter sa saillance dans le stimulus hiérarchisé. Lorsque la cible peut apparaître à l’un ou l’autre niveau, une accélération des réponses au niveau local est alors observée, ainsi qu’un ralentissement des réponses au niveau global et une réduction de l’interférence du niveau global sur le niveau local. L’effet de pop-out local est donc très fort : s’il est très saillant, un élément local attire et retient l’attention au point de renverser l’avantage d’un niveau sur l’autre. Toutefois, Han et al. (1999a) ont montré que, malgré leur intensité, ces effets ne sont plus observés si la tâche requiert de se concentrer au niveau global (attention focalisée) : la présence de la petite figure rouge a alors très peu d’effet. Cela montre l’efficacité d’un contrôle attentionnel top-down (i.e., focalisation de l’attention à un seul niveau), capable de faire barrage à l’effet de pop-out local : l’effet de la saillance visuelle d’une figure locale serait donc modulable par un contrôle attentionnel.

Dans les deux paradigmes, l’avantage temporel pour le traitement du niveau global peut être étudié, de façon très directe dans les tâches d’attention divisée en évaluant l’impact du facteur niveau dans l’ensemble de l’épreuve, et en comparant les performances entre les blocs dans les tâches d’attention focalisée. Quant à l’effet d’interférence, autre composante de l’avantage du niveau global, il est mesuré directement dans l’épreuve d’attention focalisée en comparant les performances entre les conditions contrôle (une seule des deux cibles est présente dans le stimulus) et piège (la cible concurrente est présente au niveau devant être ignoré). Cet effet est par contre mesuré de manière plus indirecte dans les épreuves d’attention divisée : une seule des cibles à discriminer est présente dans le stimulus à un certain niveau, mais le distracteur situé à l’autre niveau est visuellement similaire ou non à cette cible ou à la cible concurrente (e.g., Lamb & Robertson, 1989). Dans certains cas, la même cible est présente aux deux niveaux et l’influence positive de la redondance est évaluée.

D’une manière générale, l’avantage du niveau global est un phénomène plus fréquemment observé à partir d’épreuves avec attention focalisée. La façon plus directe dont l’effet d’interférence est mesuré dans ce paradigme explique en partie pourquoi l’avantage du niveau global est plus couramment relevée dans de telles expériences. Cet argument ne peut cependant être évoqué pour l’autre composante de l’avantage du niveau global (l’avantage temporel des réponses données au niveau global), car cette composante est mesurée aussi directement dans les deux paradigmes.

Plusieurs études pourraient illustrer la relative difficulté à relever l’avantage du niveau global dans les épreuves d’attention divisée. Par exemple, les travaux en potentiels évoqués ayant utilisé de telles tâches pour tester l’apparition du premier signe de traitement différencié des niveaux global et local (l’onde N250) ont la plupart du temps échoué à montrer une apparition plus précoce de cet indice pour le traitement global, ce qui aurait pourtant témoigner d’un avantage lié à ce niveau. Seuls Deruelle et Neville (1994) ont observé un déclenchement plus rapide de cette onde négative en cas de traitement global plutôt que de traitement local, alors que ce phénomène n’apparaît pas dans les expériences d’attention divisée de Johannes, Wieringa, Matzke et Münte (1996), Heinze et Münte (1993), Heinze, Johannes, Münte et Mangun (1994). Plus récemment, d’autres observations ont confirmé qu’il faut utiliser des tâches d’attention focalisée, rendant apparemment possible une sélection plus précoce du niveau, pour que la négativité d’une onde s’accentue en cas de traitement global (plutôt que local) dès 190 ms, et que cette modulation disparaisse avec la suppression des fréquences spatiales basses (Han, Yund, & Woods, 2003).

Des études conduites auprès de patients autistes confirment encore l’importance de la différence de paradigme à l’égard de l’avantage du niveau global : alors qu’il est difficile d’observer cet avantage chez ces patients avec des épreuves d’attention divisée (e.g., Rinehart, Bradshaw, Moss, Brereton, & Tonge, 2000), ils répondent plus rapidement au niveau global qu’au niveau local lorsque la consigne requiert explicitement la sélection d’un niveau (Plaisted, Swettenham, & Rees, 1999). Cette nuance est importante, car elle montre qu’ils ne sont pas incapables de traiter le niveau global, ni de diriger volontairement l’attention sur lui comme cela a parfois été supposé, mais qu’ils ont une préférence spontanée à traiter les détails.

Il a été proposé que la nécessité d’effectuer de fréquents passages de l’attention d’un niveau à l’autre pouvait être à l’origine du faible avantage du niveau global dans les tâches d’attention divisée : ce mécanisme supplémentaire de commutation entre niveaux viendrait obscurcir l’avantage du niveau global. Bien que cette idée soit intéressante, le mécanisme précis à la source de cet affaiblissement reste cependant un peu flou. Il est vrai que les réponses comportementales sont généralement plus rapides dans les tâches d’attention focalisée que dans les tâches d’attention divisée et la nécessité de désengager fréquemment l’attention pour passer d’un niveau de traitement à l’autre pourrait être responsable de ce retard général (Lux, Thimm, Marshall, & Fink, 2006), venant peut-être masquer l’avantage du niveau global.

Etant donné que, par définition, la différence majeure entre les épreuves d’attention focalisée et d’attention divisée est de nature attentionnelle, la sensibilité de l’avantage du niveau global à cette différence de tâche témoigne du rôle de composantes attentionnelles dans ce phénomène. Même si certains auteurs comme Han et Jiang (2006) estiment que les régions dont l’activation est latéralisée selon le niveau traité sont grossièrement les mêmes dans les deux types d’épreuves, après avoir dressé le bilan de plusieurs études en imagerie cérébrale et en potentiels évoqués, nous avons vu que les mécanismes attentionnels et leurs supports neuroanatomiques sont en fait différents dans le détail. Notamment, Fink et ses collègues (1997a) ont montré que maintenir l’attention à un niveau augmente l’activation dans le gyrus lingual droit (niveau global) et le cortex occipital inférieur gauche (niveau local), apparemment sous le contrôle d’un réseau attentionnel basé sur des aires temporo-pariétales bilatérales et la région préfrontale dorso-latérale droite, alors que la gestion de fréquents changements de niveaux implique le cortex pariétal médian gauche et l’aire motrice supplémentaire gauche. Même au sein de la région temporo-pariétale dont l’implication est souvent évoquée dans les deux paradigmes, Weissman et Woldorff (2005) ont montré que l’asymétrie hémisphérique selon le déploiement de la préparation attentionnelle au niveau global ou local se situerait dans le sillon intra-pariétal, alors que l’asymétrie hémisphérique pour l’identification des éléments à l’un et l’autre niveaux se manifeste ensuite (après la présentation des stimuli) à la jonction du gyrus temporal supérieur et du lobe pariétal inférieur. Dès lors, les différences entre les deux tâches semblent majeures concernant l’attention, et l’inégale facilité à observer l’avantage du niveau global dans l’un ou l’autre paradigmes contribuerait à le décrire comme fortement dépendant de composantes attentionnelles.