2.4.2.2. La ‘Categorical Hypothesis’

Dans son article de 1982, Ward propose une autre hypothèse d’interprétation, qu’il dit inspirée de Hoffman (1980). Il parle de l’attention comme d’une quantité de ressources pouvant être distribuées entre les niveaux. Aussi, les cibles situées au même niveau que dans l’item précédent seraient particulièrement faciles à traiter parce qu’une plus grande quantité de ressources serait encore attachée au niveau le plus pertinent. Une sorte de système de vases communiquants est décrit, l’augmentation des ressources attentionnelles à un niveau se faisant au détriment de celles allouées à l’autre niveau. La ‘Categorical Hypothesis’ propose ainsi un maintien à disposition de certains mécanismes spécifiques à la catégorie de traitements définie par le niveau d’analyse. Il reste alors à préciser la nature de ce qui est ainsi renforcé par les ressources supplémentaires.

Robertson et ses collègues (1993) pensent que l’empreinte attentionnelle (‘attentional print’) impliquerait des canaux spécialisés dans le traitement de certaines fréquences spatiales, car c’est ce qui distinguerait selon eux, fondamentalement, les deux niveaux d’analyse. Un canal de traitement spécialisé dans certaines fréquences de hauteur déterminante pour le niveau de la cible dans l’item précédent conserverait un poids plus fort après son utilisation (Robertson, 1996). Cela revient à dire que des mécanismes sensoriels participent aux effets de répétition de niveau. Des travaux en potentiels évoqués ont apporté des éléments en faveur de cette participation en montrant que les changements de niveau ont des corrélats électrophysiologiques occipito-temporaux précoces (Han, He, & Woods, 2000).

Cependant, plusieurs travaux suggèrent aussi que le maintien de cet aspect sensoriel n’est pas indispensable à l’effet de répétition de niveau, tout comme, nous l’avons vu, l’efficacité d’un biais induit par la proportion de cibles vers l’un ou l’autre niveau demeure, même si les deux niveaux doivent être analysés à partir des mêmes fréquences spatiales (Lamb & Yund, 1993). La suppression des fréquences spatiales basses n’affecte pas systématiquement l’effet de changement de niveau. Certes, Robertson (1996) observe une diminution de cet effet avec la suppression de fréquences spatiales basses, mais Lamb et Yund (1996) observent au contraire son maintien lorsque les formes globale et locales s’appuient sur de mêmes fréquence spatiales. Ces auteurs montrent que la suppression des fréquences spatiales basses réduit l’avantage temporel pour le traitement du niveau global, sans pour autant supprimer l’effet bénéfique de la répétition de niveau. Les fréquences spatiales ne seraient donc pas à la base essentielle de la sélection attentionnelle des niveaux participant aux effets de changement de niveau. Pour proposer une explication à la différence de résultats chez Robertson (1996) et chez Lamb et Yund (1996), Hübner (2000) fait remarquer que, dans les expériences de Robertson, la fréquence spatiale n’est pas le seul aspect variant d’un item à l’autre : le contraste et la luminosité varient également, alors que ces aspects sont mieux contrôlés dans l’expérience de Lamb et Yund (1996). Hübner (2000) réplique le résultat de Lamb et Yund, en utilisant une technique différente pour réduire les fréquences spatiales basses (au lieu de jouer sur les contrastes, il filtre les stimuli en ne laissant passer que les hautes fréquences spatiales). Lamb et Yund (2000) ont par ailleurs encore répliqué leur effet dans des expériences plus récentes, toujours en l’absence de fréquences spatiales basses.

Selon eux, le bénéfice apporté par la répétition de niveau reposerait sur un cas particulier d’amorçage, qui ne serait pas uniquement perceptif et impliquerait sur le maintien de mécanismes appropriés au niveau concerné (‘Categorical Hypothesis’). Les mécanismes en question seraient de plus haut niveau que la différence entre des canaux sensoriels spécialisés pour certaines fréquences spatiales. Pour reprendre les termes de Hübner (2000, p. 468), « il s’agirait d’une forme d’amorçage de type abstrait dans lequel les niveaux seraient représentés comme des catégories ». Etant donné qu’ils impliqueraient une certaine capacité d’abstraction à propos des niveaux de traitement, Hübner et Volberg (2005) considèrent que les effets de répétition de niveau relèvent du même domaine de recherche que les travaux sur le changement de tâche (‘task-set shifting’) (voir aussi Hübner, Futterer, & Steinhauser, 2001).

Etant donné qu’un stimulus hiérarchisé n’est pas simplement un ensemble de dessins de différentes tailles dispersés dans l’espace, mais qu’il existe une relation spatiale hiérarchique entre les éléments, cet aspect de structure pourrait être conceptualisé. La façon dont les traits de cet objet ont été traités lors de la précédente sélection attentionnelle dépendrait du niveau de cet objet dans la hiérarchie de la scène complexe, et la représentation associée à ce traitement spécifique laisserait une trace, maintenue jusqu’au stimulus suivant. Cela semble compatible avec le fait que la spécificité des régions cérébrales impliquées selon les niveaux ne s’explique pas uniquement par la différence entre les fréquence spatiales traitées, mais aussi par une orientation particulière de l’attention vers un niveau de la hiérarchie, défini en terme de structure. Cette orientation attentionnelle particulière, définie par la relation spatiale entre les informations organisées en hiérarchie (aspect non strictement sensoriel et attaché à un niveau de traitement relativement élevé) se maintiendrait entre les items. Dans une expérience audacieuse, Large et McMullen (2006) ont récemment montré que le traitement du dessin d’un objet à un niveau de catégorie conceptuelle plus ou moins élevé (e. g., nécessité de traiter un dessin d’oiseau, comme un animal ou un oiseau) peut être facilité selon la compatibilité de la hauteur de ce niveau avec le niveau de traitement d’un stimulus hiérarchisé présenté immédiatement avant. Ils montrent notamment que le traitement d’un stimulus hiérarchisé au niveau local peut amorcer favorablement la catégorisation d’un dessin à un niveau subordonné de la hiérarchie conceptuelle, niveau pour lequel le traitement de détails est primordial. En utilisant des stimuli hiérarchisés de tailles variées, ils montrent que cet effet n’est pas seulement imputable à un préajustement adapté de la taille d’une fenêtre attentionnelle. Ce dernier exemple illustre à quel point ce qui est maintenu du traitement d’un stimulus hiérarchisé à un autre relève du mode d’appréhension de l’information visuelle en termes de relations spatiales (i. e., opposition grouping/parsing, groupement/analyse des détails), dans ses dimensions hiérarchiques. Cette recherche souligne aussi la pertinence de l’étude des traitements global/local pour comprendre la reconnaissance d’objets : en favorisant l’extraction des informations visuelles les plus pertinentes, l’amorçage par un mode de traitement global est ainsi bénéfique à la discrimination d’objets au niveau de base, alors que l’amorçage par le mode de traitement local est bénéfique à celle d’objets au niveau subordonné.