2.4.3.2. Supports neuro-anatomiques du processus de changement de niveau

Historiquement, les premiers éléments concernant les supports neuro-anatomiques des effets de changement de niveau nous viennent de la description des déficits de quelques patients en neuropsychologie. Robertson, Lamb et Knight (1988) ont observé que seuls les patients avec des lésions centrées sur l’aire 39 du lobule pariétal inférieur gauche ne sont pas affectés par la manipulation de la proportion des cibles à un certain niveau, alors que les patients souffrant d’une lésion de la jonction temporo-pariétale ou du lobe frontal droit ou gauche le sont de manière normale. La région pariétale inférieure gauche a donc été initialement reliée au contrôle de la distribution de l’attention entre les niveaux. Cependant, l’analyse précise des données item par item a révélé que les patients atteints de lésions dans cette aire souffrent surtout d’une tendance à ne pas garder de trace du niveau de traitement préalablement sélectionné, puisqu’ils sont insensibles au changement de niveau (Rafal & Robertson, 1995). Le rôle du lobule pariétal inférieur gauche a donc avant tout été décrit comme celui d’assurer le maintien de l’empreinte attentionnelle à un certain niveau de traitement.

Comme nous l’avons déjà décrit, des données en TEP ont ensuite permis d’observer une relation entre la fréquence des alternances entre niveaux des stimuli hiérarchisés imposée par une expérience d’attention divisée, et des activations latéralisées à gauche, dans l’aire motrice supplémentaire et dans le cortex pariétal médian (Fink, & al., 1997a). S’il impose un changement de niveau, le traitement d’un stimulus hiérarchisé s’accompagne aussi d’une augmentation de l’amplitude de l’onde P290 recueillies par les électrodes correspondant au lobe pariétal gauche (Schatz & Erlandson, 2003). Dès lors, il semble que le cortex pariétal soit aussi impliqué dans le changement de niveau lui-même (le processus de switching). Il reste bien sûr possible que les régions impliquées, dans leurs détails, ne soient pas exactement les mêmes (il s’agit ici du cortex pariétal médian).

Toujours pour ce qui est de la région pariétale, une étude en Imagerie par Resonnance Magnétique fonctionnelle (IRMf) a confirmé son implication majeure en cas de changement de niveau de traitement d’un stimulus hiérarchisé à l’autre (Wilkinson et al., 2001). Ces auteurs montrent que, en particulier lorsque le changement de niveau est rendu plus difficile par un grand nombre de répétitions préalables à un autre niveau, des activations sont relevées dans l’aire motrice correspondant à la main, mais aussi dans le cortex pariétal inférieur, de façon bilatérale. Le fait que ces activations pariétales se manifestent particulièrement si le changement de niveau est difficile conduit les auteurs à supposer leurs rapports avec la nécessité d’inhiber les mécanismes mis en valeur par le contexte préalable. Cette inhibition peut être conçue comme un mécanisme différent de celui de maintien de la trace et de celui de passage entre niveaux ; décrit comme un mécanisme d’inhibition, il permet au système de se mettre en rupture avec une attente forte et de se désengager d’un mode de traitement devenu inapproprié. Alors que le rôle de régions pariétales dans le maintien de la trace et dans le changement de niveau lui-même a été relaté pour l’HG, le caractère bilatéral des activations relevées par Wilkinson et al. (2001) suggère que des régions pariétales situées dans l’HD pourraient être particulièrement impliquées dans le mécanisme d’inhibition des mécanismes non pertinents.

En bref, il apparaît que l’implication de régions pariétales a été successivement interprétée comme liée à un mécanisme préalable au changement de niveau (le maintien d’une trace des traitement antérieurs, Rafal & Robertson, 1995), puis à la gestion du changement de niveau lui-même, en tant que passage (Fink, & al., 1997a) et enfin à un mécanisme inhibiteur conditionnant la réalisation de ce changement. Il n’existe pas de synthèse sur le sujet et les données sont bien sûr encore trop rares pour conclure, mais il semble que, à l’image du switch entre tâches, le switch entre les niveaux de stimuli hiérarchisés soit un processus complexe, décomposable en plusieurs mécanismes, dont les supports neuro-anatomiques sont en partie distincts.

À l’appui de cette perspective, nous pouvons évoquer des études neuropsychologiques montrant que le changement de niveau d’analyse d’un item à l’autre peut être altéré de manières différentes selon le type de démence des patients, ce qui concorde avec une description composite du processus de changement de niveau. Le switch d’un niveau à l’autre est un processus particulièrement vulnérable à certaines démences. Filoteo et ses collègues. (1992) observent notamment un accroissement de l’effet négatif du changement de niveau chez des patients atteints de démence de type Alzheimer (DTA). L’attention des patients resterait trop fortement engagée dans le mode de traitement préalable, mais il pourrait aussi s’agir d’une difficulté à inhiber des mécanismes inappropriés pour s’en désengager. Salvin, Mattingley, Bradshaw et Storey (2002) confirment que les patients atteints de DTA se caractérisent par un surcoût important dû à la nécessité de changer de niveau d’analyse. Bien que moindre par rapport à celui des patients avec DTA, le coût dû au switch s’accentue aussi avec le vieillissement normal : il est déjà plus important chez les personnes de 40-60 ans que dans un groupe de 20-40 ans, et ce coût devient vraiment très marqué dans un groupe de 61 à 80 ans (Georgiou-Karistianis, Tang, Mehmedbegovic, Farrow, Bradshaw, & Sheppard, 2006). Au contraire, les patients atteints d’une maladie de Parkinson sont moins influencés que les sujets contrôles par la nécessité de changer de niveau d’analyse : ils se distinguent donc par une anomalie du changement de niveau, mais celle-ci a une forme particulière (Filoteo, Delis, Demadura, Salmon, Roman, & Shults, 1994 ; Filoteo, & al., 1995). Ces patients semblent insuffisamment maintenir l’attention au niveau venant d’être traité, phénomène que certains relient à une difficulté de maintien de l’information en mémoire de travail et à un déficit du circuit fronto-striatal probablement impliqué dans cette forme de maintien de la focalisation attentionnelle (Pollux, 2004). Une anomalie de même type a été observée aussi chez certains patients schizophrènes avec symptômes positifs, et donnant lieu à un phénomène d’over-switching (Diab, 2005). Enfin, les patients souffrant d’une maladie de Huntington présentent quant à eux des effets de changement de niveau comparables à ceux des sujets contrôles, et il apparaît donc que ces formes de démences ne perturbent pas uniformément le processus de changement de niveau (Filoteo, & al., 1995).