3. Traitement des niveaux global et local chez l’adulte et spécialisation hémisphérique

L’idée selon laquelle les deux hémisphères cérébraux diffèrent quant aux fonctions psychologiques qu’ils assurent est ancienne. Pourtant, la façon dont cette asymétrie est conçue a évolué. Bien que cette conception semble remonter à la Grèce antique, ce sont des observations cliniques du XIXème siècle, celles de Broca, Dax et Wernicke, qui lui ont conféré une place importante pour l’étude des fonctions cérébrales. Ces premières données ont essentiellement contribué à reconnaître un rôle crucial de l’HG dans la production et la compréhension du langage. Elles sont aussi à l’origine de l’idée d’une dominance générale de l’HG, l’HD étant supposé n’assurer alors qu’un rôle secondaire.

A la même époque, Jackson (1874) a décrit des patients souffrant d’une « perte ou d’un déficit pour le souvenir des personnes, des objets, des endroits », associée à des détériorations de l’HD. Ces travaux remettent en question la notion de dominance générale de l’HG et tracent la voie d’une conception basée sur l’idée de spécialisations hémisphériques pour certains mécanismes cognitifs et donc l’idée de complémentarité des hémisphères cérébraux.

Du point de vue anatomique, Jackson a remarqué un développement plus précoce du lobe frontal gauche que du lobe frontal droit, les lobes postérieurs se développant quant à eux plus tôt dans l’HD que dans l’HG. Selon ses observations, les fonctions psychologiques latéralisées dans l’HG seraient essentiellement associées au lobe frontal, qui justement se développe plus tôt dans l’HG, alors que les fonctions perceptives qu’il attribuait à l’HD seraient associées à des régions cérébrales plus postérieures, elles aussi en place plus précocement dans cet hémisphère. Par suite, il a considéré que la partie importante de l’HG était le lobe antérieur, alors que la partie importante de l’HD était le lobe postérieur (Jackson, 1874). Cet ensemble d’observations a donné lieu à la conception très générale selon laquelle l’HG contrôlerait le langage, alors que l’HD serait responsable de la perception visuo-spatiale. Cette distinction fondamentale a ensuite été confortée par des arguments tel que celui de Posner (1990, cité par Siéroff et Auclair, 2002), qui fait remarquer la plus grande facilité à effectuer en même temps des tâches visuo-spatiales et verbales, plutôt que deux tâches relevant d’une seule de ces grandes fonctions.

Bien que cela reste vrai dans les grandes lignes, il s’agit d’une vision trop simplifiée, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, certaines structures de l’HD sont aussi capables de participer à certains aspects de traitements langagiers et l’HG est, quant à lui, impliqué dans certains traitements visuo-spatiaux assez sophistiqués. De plus, s’il est vrai que le caractère surtout verbal ou spatial des informations est déterminant pour l’implication de mécanismes cérébraux latéralisées pour le langage, d’une part, pour les traitements visuo-spatiaux, d’autre part, il semble que l’implication de ces mécanismes latéralisés dépende aussi fortement de deux paramètres : 1/ le fait que le traitement engagé nécessite de l’attention semble important dans la mise en jeu de mécanismes latéralisés pour le langage ou pour l’espace ; 2/ en dépit du contenu manifestement linguistique ou spatial du matériel, le fait que la tâche demande explicitement (ou oriente vers) l’aspect spatial ou linguistique des stimuli est souvent déterminant pour faire apparaître des effets de dominance hémisphérique liée au contenu du matériel.

Dans la présentation, non exhaustive, que nous proposons autour de la question des dominances hémisphériques dans les domaines verbal et spatial, nous nous efforcerons de faire ressortir ces derniers points, tant pour les études chez l’adulte (dans la partie qui suit) que chez l’enfant (partie 4 du chapitre 2).