3.3.1.3. Etudes en imagerie cérébrale et en potentiels évoqués

Une série d’expériences en TEP a permis à Fink et son équipe de décrire une corrélation entre une augmentation de l’activation dans des régions de l’HG et l’identification d’éléments au niveau local, alors qu’une augmentation de l’activation dans des régions de l’HD correspond à l’identification de la forme globale de stimuli hiérarchisés. Il ont obtenu cette asymétrie classique des activations hémisphériques latéralisées dans une épreuve d’attention focalisée. Plus précisément, la sélection volontaire du niveau global s’accompagne d’une activation significative du gyrus lingual droit, alors que la sélection du niveau local s’accompagne d’une activation du cortex occipital inférieur gauche (Fink & al., 1996 ; 1997b). Toutefois, il ne s’agit pas là des seules régions impliquées dans cette situation expérimentale : le maintien de l’attention à un niveau particulier s’accompagne, dans leurs expériences, de l’activation d’un réseau impliquant la région temporo-pariétale de manière bilatérale et des régions frontales droites (cortex orbito-frontal droit, cortex pré-frontal dorso-latéral droit), quel que soit le niveau sélectionné.

La précision importante apportée par ces travaux en TEP est que l’asymétrie hémisphérique pour les traitements global/local peut se manifester dans des régions corticales sous-tendant des traitements visuels d’assez bas niveau. La focalisation attentionnelle sur un niveau d’analyse modifie donc certains traitements visuels précoces, et ceci de façon différenciée selon le niveau (cortex visuel extra-strié). Cela concorde avec de récentes données en psychophysique (manipulation de configurations RF – ‘Radial Frequency’) montrant que les informations globale et locale peuvent être détectées très vite de manière indépendante dans le système visuel humain (Bell, Badcock, Wilson, & Wilkinson, 2007). Comme les travaux réalisés en TEP, plusieurs recherches conduites en IRMf à partir d’expériences avec attention focalisée à des niveaux distincts montrent une asymétrie hémisphérique pour les traitements global/local dans des régions sous-tendant des traitements visuels précoces. Des activations plus marquées pour le traitement global plutôt que local ont ainsi été observées dans le cortex occipital médian droit et une augmentation des activations dans le cortex occipital inférieur gauche est induite par le traitement local, avec des stimuli présentés de façon centrale (Han, Weaver, Murray, Kang, Yund, & Woods, 2002).

Cette précocité de la latéralisation dans le décours temporel des traitements visuels est également confortée par des données en potentiels évoqués. Alors que Heinze et Münte (1993) relevaient des indices électrophysiologiques de la latéralisation pour les traitements global/local à partir d’électrodes situées au niveau de l’aire temporale postérieure, cette latéralisation a aussi été observée dans des aires cérébrales sous-tendant des traitements visuels de niveau encore plus élémentaire. La localisation de l’origine des ondes mesurées n’est certes pas très précise avec cette technique, mais il s’avère que des corrélats électrophysiologiques d’une différence entre niveaux global et local sont relevés non seulement pour des ondes négatives relativement tardives correspondant à la région occipito-temporale (Proverbio et al., 1998), mais aussi pour l’onde P1, plus précoce (entre 80 et 120 ms après la stimulation sensorielle), dans les régions extra-striées (Evans, Shedden, Hevenor, & Hahn, 2000), avec une latéralisation différente selon le niveau indépendamment des fréquences spatiales en présence (Grabowska & Nowicka, 1996).

Pour des régions cérébrales un peu plus antérieures, mais impliquant tout de même les lobes occipitaux, d’autres auteurs avaient précédemment montré, avec la même technique, des activations latéralisées de façon opposée selon le niveau sélectionné. Martinez, Moses, Frank, Buxton, Wong et Stiles (1997) ont en effet réalisé des expériences d’attention focalisée à un niveau sur des stimuli hiérarchisés présentés de façon centrale, en CVG ou en CVD. Ils ont choisi de concentrer leurs investigations sur le rôle de régions occipito-temporales (incluant les gyri fusiformes et le cortex temporal inférieur), connues pour leur implication dans la reconnaissance de formes, d’objets et de visages. Ils ont observé, dans ces régions, des activations cérébrales qui reproduisent l’asymétrie hémisphérique classique en fonction du niveau sélectionné : si l’attention est focalisée au niveau local, elles sont significativement atténuées dans l’HD, alors que les activations dans l’HG, présentes pour la focalisation sur l’un comme sur l’autre niveau, ont tout de même tendance à être plus fortes pour la focalisation au niveau local.

La latéralisation hémisphérique pour les traitements global et local dans ces régions incluant les lobes temporaux pourrait être assez spécifique à l’homme. Notons qu’une étude en TEP chez des macaques a montré des activations différenciées pour la discrimination de cibles à l’un ou l’autre niveau. Toutefois, cette différence ne se traduit pas par l’opposition gauche-droite des activations, mais par une opposition sur l’axe antérieur-postérieur du cortex temporal inférieur : le traitement global se caractérise par des activations dans la partie postérieure du cortex temporal inférieur, alors que le traitement local s’accompagne d’activations dans la partie antérieure de cette même région (Tanaka, Onoe, Tsukada, & Fujita, 2001). De plus, pour la partie antérieure du cortex temporal inférieur, une certaine latéralisation gauche-droite des activations est relevée selon le niveau d’analyse, mais elle est opposée à celle observée chez l’homme : l’HD, et non le gauche, est en effet plus activé pour le traitement local que pour le traitement global. Ainsi, la dominance de l’HG décrite pour le traitement visuel local chez l’homme ne s’applique pas au macaque.

Pour revenir aux activations accompagnant, chez l’homme, les traitements global/local, les techniques d’imagerie cérébrale montrent que toutes ne sont pas latéralisées, tout comme l’observation de patients l’avait déjà montré en neuropsychologie. Martinez et al. (1997) ont notamment relevé des activations en régions occipito-pariétale, (près du sillon intra-pariétal), qui contrairement aux activations occipito-temporales, celles-ci ne diffèrent pas entre les hémisphères en fonction du niveau d’analyse sélectionné : elles sont plus fortes dans l’HD que dans l’HG quel que soit le niveau. Tout en participant au traitement visuel global/ local, certaines régions sous-tendent apparemment des traitements d’assez haut niveau, qui ne sont plus latéralisés en fonction du niveau d’analyse choisi, mais pourraient l’être simplement parce qu’il s’agit de traitements visuo-spatiaux pour lesquels l’HD est de manière générale souvent fortement impliqué.

Il reste donc à expliquer les liens entretenus par de telles régions, avec celles dont la latéralisation diffère selon le niveau traité. C’est par exemple ce que proposent de faire Fink et ses collègues, en coordonnant leurs résultats aux idées développées par Robertson et Lamb (1991). Ils écrivent que les processus visuels précoces qui subissent, dans le cortex extra-strié, une modulation latéralisée selon le niveau de traitement, sont vraissemblablement soumis à l’influence d’un système attentionnel impliquant essentiellement des aires temporo-pariétales. Des données en potentiels évoqués corroborent cette contribution du cortex temporo-pariétal au mécanisme attentionnel régulant, de manière descendante, la distribution de ressources et leur maintien pour le traitement des aspects global et local (Yamaguchi, Yamagata, & Kobayashi, 2000). L’observation d’une asymétrie hémisphérique pour le traitement visuel précoce des niveaux global/local n’implique donc pas nécessairement que les régions cérébrales qui les sous-tendent soient fondamentalement structurées pour ne traiter, selon l’hémisphère, que l’un ou l’autre aspect de manière exclusive (comme le prédit la version forte de la théorie structurelle – ‘structural theory’). Elles peuvent plus simplement présenter tendance, selon l’hémisphère, à traiter l’information d’une manière plutôt que d’une autre, particulièrement sous l’impulsion de processus de haut niveau. Ces derniers joueraient un rôle majeur, surtout si la tâche impose de fortes demandes (nécessité de catégoriser ou comparer des stimuli, nécessité de gérer des conflits d’informations ou des réponses concurrentes). Ils exerceraient leur influence en privilégiant les traitements les plus performants, réalisables par des régions cérébrales latéralisées présentant des degrés de compétence différents pour le traitement de chaque niveau et responsables de mécanismes visuels élémentaires. Cette proposition consiste à dire que l’attention peut moduler l’implication de régions cérébrales dont la latéralisation est associée à des compétences plus ou moins développées (mais pas inexistantes) pour le traitement visuel de formes globales ou de détails (‘allocation theory’). Cette dernière approche a pu être exprimée dans les termes du modèle de la vision de haut niveau proposé par Kosslyn et Koenig (1992) : les régions occipito-temporales, assimilées au sous-système de pré-traitement, pourraient opérer différemment dans l’un et l’autre hémisphère, chacun ayant tendance à privilégier un certain type d’informations ascendantes, mais chacun également sensible à l’impulsion de facteurs descendants, de plus haut niveau, pouvant instaurer des biais poussant à traiter plutôt tel type d’information que tel autre (Brown & Kosslyn, 1992). Dans la partie qui suit, nous proposons justement de présenter les principales hypothèses d’explication de l’asymétrie hémisphérique pour les traitements global/local.