3.3.3.2. Difficultés liées à la présentation en champ visuel divisé

La position des stimuli semble assez déterminante pour l’obtention d’effets d’asymétrie hémisphérique selon le niveau. Yovel, Yovel, et Levy (2001) ont réalisé une méta-analyse sur les travaux tentant de montrer cette asymétrie en utilisant la méthode de présentation en champ visuel divisé. Il en ressort que la proportion d’études ne parvenant pas à mettre en évidence cet effet est plus importante que celle qui y parviennent.

Les études en imagerie cérébrale ou relevant des potentiels évoqués qui ont relaté les asymétries hémisphériques les plus nettes ont généralement présenté des stimuli centrés (Fink, & al., 1996 ; Han, & al., 2000 ; Heinze, & al., 1998 ; Martinez, & al., 1997 ; Yamaguchi, & al., 2000) ou simultanés dans les deux champs (Boles & Karner, 1996 ; Evans, & al., 2000). De même, à partir de données comportementales, des effets d’asymétrie hémisphérique ont été obtenus à partir d’expériences présentant deux stimuli simultanément de chaque côté : le participant voit ainsi un premier couple (un stimulus hiérarchisé à gauche, l’autre à droite), rapidement remplacé par un autre couple, et il doit détecter un changement (au niveau global ou au niveau local, à gauche ou à droite) (Bedson & Turnbull, 2002). Avec ce paradigme de détection du changement, l’asymétrie hémisphérique classiquement décrite pour les niveaux global et local a été confirmée avec des mesures de performances.

Il est par contre plus difficile d’obtenir de tels effets à partir d’une présentation unilatérale, que ce soit avec la technique des potentiels évoqués (voir cependant Han, & al., 1999a ; Proverbio, Minniti, & Zani, 1998) ou avec des expériences recueillant des données comportementales (Blanca & Alarcon, 2002 ; Boles & Karner, 1996 ; Martin, 1979 ; Van Kleeck, 1989). En comparant des expériences faisant varier la position des stimuli, Han et ses collègues (2002) ont directement traité cette question et montré que le relevé d’une asymétrie hémisphérique liée au niveau d’analyse, dans le cortex occipital, est plus facile à partir de stimuli présentés de façon centrale.

Pour expliquer cela, Han et ses collègues (2002) font l’hypothèse que, lorsque le stimulus hiérarchisé est centré, les deux hémisphères tentent de le traiter et une compétition s’installe, puisque les deux ont simultanément accès à l’information. Aussi, davantage de ressources seraient accordées à un niveau particulier dans chaque hémisphère. Le traitement de l’ensemble serait alors optimisé, puisque chaque hémisphère serait incité à prendre particulièrement en charge le niveau d’analyse pour lequel il est le plus performant. Une asymétrie hémisphérique nette se dégagerait alors à travers les activations cérébrales enregistrées. Par contre, si le stimulus est présenté dans un seul champ visuel, l’hémisphère controlatéral recevrait prioritairement l’information et tendrait à traiter spontanément les deux niveaux, même celui pour lequel il n’est pas très performant (pour compenser l’impossibilité de l’autre hémisphère de prendre en charge ce niveau immédiatement) et la spécialisation hémisphérique s’exprimerait alors moins nettement. Chaque hémisphère aurait en effet une certaine capacité à traiter les deux niveaux, avec seulement des efficacités différentes (Van Kleeck, 1989).

Pour compléter cette interprétation, nous évoquerons finalement une étude réalisée en IRMf, destinée elle aussi à préciser pourquoi la présentation en champ visuel divisé ne permet pas d’observer systématiquement l’asymétrie hémisphérique déterminée par le niveau d’analyse sélectionné. Lux et ses collègues (2004) utilisent une tâche d’attention focalisée à des niveaux différents selon le bloc et ne recueillent pas (dans les régions occipitales) d’activations différenciées selon le niveau sélectionné. Une analyse plus fine révèle que ces effets se manifestent tout de même, mais seulement pour les stimuli présentés dans l’hémichamp le moins favorable au traitement direct du niveau sélectionné. Les auteurs relèvent en effet une augmentation de l’activité neuronale dans le cortex occipital postérieur gauche pour le traitement local de stimuli présentés en CVG-HD, et une activation du cortex occipital postérieur droit pour le traitement global de stimuli présentés en CVD-HG. Obtenues dans ces seules conditions de traitement particulièrement difficile à cause de la position du stimulus, ces activations latéralisées selon le niveau d’analyse pourraient être, selon les auteurs, le fruit d’un rehaussement de l’information par un processus top-down destiné à compenser la dégradation de l’information par le transfert calleux. Aussi, dans le cas où le niveau à traiter n’est pas adressé directement à l’hémisphère le plus compétent pour ce niveau, à cause de l’emplacement du stimulus, le traitement pourrait souffrir d’un certain déficit, mais aussi bénéficier d’un rehaussement de l’activation de l’hémisphère le plus compétent pour le niveau, ce qui est susceptible de compenser le déficit. En conséquence, l’asymétrie des spécialisations hémisphériques pour les traitements global et local pourrait être masquée et apparaître difficilement dans l’analyse des données des expériences en champ visuel divisé.

Pour nuancer, il faut signaler que le recueil de données comportementales à partir de la technique de présentation en champ visuel divisé a parfois permis d’observer l’asymétrie hémisphérique liée aux traitements des niveaux global/local, à condition d’utiliser des temps de présentation rapides (Blanca, Zalabardo, Garcia-Criado, & Siles, 1994). Ces auteurs utilisaient le paradigme d’attention divisée. Au contraire, Evert et Kmen (2003) ont utilisé des expériences d’attention focalisée, avec des durées de présentations de 27, 40-53, 67, 80 ou 147 ms pour des stimuli, eux aussi, unilatéraux. Les durées de présentations intermédiaires sont les plus propres à faire apparaître l’asymétrie hémisphérique selon le niveau sélectionné..

Enfin, les limites de la technique de présentation en champ visuel divisé n’expliquent pas toutes les difficultés à observer des indices d’une asymétrie hémisphérique liée aux traitements global/local. Certaines recherches, conduites avec d’autres techniques, ont également échoué à montrer cet effet, que ce soient les potentiels évoqués (Han, Fan, Chen, & Zhuo, 1997 ; Han, He, & Woods, 2000 ; Johannes, Wieringa, Matzke, & Münte, 1996 ; pour une revue, voir Volberg & Hübner, 2004) ou l’imagerie cérébrale. Citons par exemple Heinze et ses collègues (1998) avec les potentiels évoqués et la TEP et Sasaki et ses collègues (2001) en IRMf, qui n’ont pas toujours réussi à répliquer l’asymétrie hémisphérique au niveau du cortex occipital selon le niveau d’analyse, bien que les stimuli visuels soient centrés. De même, certaines études neuropsychologiques ne sont pas parvenues à montrer des effets témoignant d’une asymétrie de la spécialisation hémisphérique pour le traitement des niveaux global et local (Polster & Rapcsak, 1994 ; Schatz, Craft, Koby, & DeBaun, 2004). Notons que, dans le cas du travail de Polster et Rapcsak (1994), l’asymétrie hémisphérique pour le traitement des niveaux n’est absente que dans les situations d’attention focalisée.

En dehors des limites imposées par la présentation en champ visuel divisé, d’autres contraintes contribuent donc vraisemblablement à rendre difficile la mise en évidence de l’asymétrie hémisphérique pour les traitements global/local, et certaines sont sans doute liées aux demandes attentionnelles imposées par les tâches.