3.3.3.5. Limites liées à l’intervention de mécanismes attentionnels latéralisés

Une autre source possible de difficulté à observer une latéralisation hémisphérique parfaitement liée aux seuls niveaux d’analyse vient peut-être aussi du fait que le traitement de stimuli hiérarchisés implique aussi plusieurs mécanismes non directement liés à la spécialisation pour des niveaux d’analyse, mais qui seraient eux-mêmes fortement latéralisés et masqueraient le phénomène de latéralisation hémisphérique lié aux niveaux d’analyse. Deux recherches récentes font ce type de proposition.

A partir d’une expérience avec attention focalisée à un niveau pré-spécifié, conduite en IRMf, Lux et ses collègues (2004) ont avant tout observé une augmentation de l’activité neuronale dans le cortex occipital postérieur gauche pour le traitement local (en particulier lorsque le stimulus est placé dans les conditions les plus difficiles pour être ainsi traité, c’est-à-dire en CVG), et une augmentation de l’activité neuronale dans le cortex occipital postérieur droit pour le traitement global (là aussi lorsque le stimulus est présenté dans le champ visuel le moins favorable, ici à droite). En outre, ils relatent que le traitement local s’accompagne d’une activation du cortex cingulaire antérieur droit, uniquement lorsque l’attention est focalisée au niveau local. Ils attribuent cette activation à un mécanisme attentionnel qui tenterait de supprimer l’effet de précédence du traitement global. L’intervention d’un tel mécanisme, sous-tendu par des régions cérébrales situées dans l’HD, pourrait contribuer à masquer l’avantage de l’HG pour le traitement local dans certaines expériences, en particulier lorsque la tâche requiert la focalisation sur un certain niveau pendant toute l’épreuve.

Mevorach, Humphreys et Shalev (2006) suggèrent eux aussi que la difficulté à mesurer une asymétrie hémisphérique claire, en lien avec la différence de niveaux vient du fait que la situation expérimentale impose parfois d’autres processus attentionnels, pour lesquels il existe aussi une spécialisation hémisphérique, qui vient masquer l’asymétrie hémisphérique associée à l’opposition des niveaux. Ils évoquent en particulier un mécanisme de contrôle de l’attention sous-tendu par le lobe pariétal inférieur gauche. Or, un contrôle précis de l’attention peut être nécessaire aussi bien dans les tâches d’attention divisée que d’attention focalisée. Il s’impose fortement dans le premier type d’expériences s’il faut fréquemment commuter l’attention d’un niveau à l’autre entre des stimuli successifs. Dans les épreuves d’attention focalisée, la nécessité d’inhiber une information située au niveau devant être ignoré requerrait également un contrôle attentionnel important, en particulier lorsque cette information non pertinente est visuellement plus saillante que celle devant être traitée.

Certaines observations neuropsychologiques peuvent appuyer cette idée (Lamb, & al., 1990 ; Robertson, Lamb, & Knight, 1988). Des lésions du gyrus temporal supérieur gauche s’accompagnent de difficultés à identifier des formes au niveau local, ce qui va dans le sens de l’hypothèse d’un biais hémisphérique pour le traitement perceptif de ce niveau, mais des lésions pariétales inférieures gauches se traduisent plutôt par des difficultés dans les tâches imposant de fréquents passages d’un niveau à l’autre. À partir de données en TEP recueillies auprès de sujets sains Fink et ses collègues (1997a) montrent aussi une augmentation de l’activation en région pariétale gauche avec l’augmentation du nombre de passages entre les niveaux. Le lobe pariétal inférieur gauche jouerait donc un rôle fondamental dans le contrôle du passage de l’attention d’un niveau à l’autre. Aussi, une dominance générale de l’HG pourrait apparaître dans les épreuves d’attention divisée, à cause de contraintes inhérentes à la tâche, et celle-ci pourrait masquer la manifestation de l’asymétrie hémisphérique plus directement liée aux niveaux.

Pour expliquer les difficultés à observer l’asymétrie hémisphérique liée aux niveaux dans les épreuves d’attention focalisée, Mevorach et ses collègues (2006) défendent l’idée selon laquelle des mécanismes de contrôle attentionnel sous-tendus par l’HG seraient particulièrement impliqués lorsque l’information située au niveau devant être ignoré est visuellement plus saillante que celle devant faire l’objet d’une focalisation. Ils observent pour cela les performances de patients atteints de lésions pariétales gauches, et montrent qu’ils présentent effectivement des difficultés à ignorer l’information située au niveau ne devant pas être sélectionné, dans les cas où le rapport de taille entre la lettre globale et les éléments locaux est défavorable au niveau pertinent, que celui-ci soit global ou local. Ils montrent que les patients atteints de lésions pariétales gauches ne présentent pas de difficulté spécifique pour le traitement local, mais plutôt une difficulté à contrôler la focalisation de l’attention sur un niveau que les caractéristiques physiques des stimuli rendent peu saillant. Encore une fois, un mécanisme attentionnel latéralisé, impliqué à cause des demandes générales de la tâche, pourrait masquer des effets d’asymétrie hémisphérique liés aux niveaux eux-mêmes, en particulier ici dans les tâches d’attention focalisée.