3.3.3.6. Vers l’hypothèse d’une modulation de l’asymétrie hémisphérique par la catégorie des stimuli

Alors que l’influence de diverses modifications physiques des éléments visuels supportant les informations aux niveaux global et local de stimuli hiérarchisés a été abondamment étudiée, peu de travaux portent sur le contenu de ces éléments en termes sémantiques. Il est vrai que, dans une perspective considérant les deux modes de traitement comme essentiellement conditionnés par le contenu de l’information en fréquences spatiales, des questions relatives à des niveaux d’information plus élaborés ne se posent pas. Toutefois, comme nous l’avons vu, les travaux récents montrent que l’implication de certaines aires cérébrales sous-tendant des mécanismes visuels relativement précoces peut être modifiée, notamment quant à sa latéralisation, à cause de facteurs de haut niveau, relatifs par exemple aux demandes de la tâche et qui exercent leur influence à travers des mécanismes attentionnels. Dès lors, il n’est pas exclu que le fait d’avoir à traiter une série d’items contenant des informations d’une certaine catégorie (il s’agit en général de la catégorie lettres, qui relève du domaine de l’orthographe, dans les stimuli hiérarchisés) mette aussi le participant dans des dispositions de traitement particulières, susceptibles de jouer un rôle dans la réalisation des mécanismes de traitement global/local. Nous avons évoqué dans la partie 2.3.5.1. des travaux montrant que les performances dans des tâches d’appariement de dessins selon des critères physiques (forme, orientation, taille) pouvaient être modifiées par le fait que les objets comparés appartiennent ou non à la même catégorie sémantique (Boucart & Humphreys, 1992, 1994 , 1997  ; Murray & Jones, 2002). Même s’ils ne sont pas requis par la tâche, des traitements basés sur l’organisation catégorielle des connaissances peuvent donc intervenir, si rapidement qu’ils influent sur le traitement de simples caractéristiques physiques. L’idée de l’intervention de certains processus de haut niveau déterminés par les connaissances sémantiques sur les traitements visuels global/local est aussi cohérente avec le fait que le traitement de chaque niveau est influencé par la familiarité des éléments. En particulier, la présence d’objets familiers au niveau local peut annuler l’avantage du niveau global : l’identification d’objets familiers se produit si rapidement qu’elle peut biaiser l’attention vers un certain niveau d’analyse (Poirel & Mellet, 2006).

Sans parler d’une préparation volontaire dont les mécanismes seraient délibérément contrôlés, il est possible d’imaginer que le système cognitif du participant puisse se prédisposer à traiter au mieux l’information globale et local en tenant compte aussi de cet aspect de contenu. Il nous semble que poser cette question ne paraît pas complètement hors de propos, dans le contexte des travaux que nous venons d’évoquer. Ceux-ci montrent que l’asymétrie hémisphérique liée au traitement des niveaux global et local peut être modulée par des influences de haut niveau, relatives aux demandes attentionnelles de la tâche. En fonction des caractéristiques de la tâche qui permet ou non la pré-sélection d’un niveau (i. e., tâches d’attention focalisée versus divisée). Nous avons vu que les critères d’engagement des hémisphères peuvent varier : dans des situations d’attention divisée, un système de contrôle pourrait laisser chaque hémisphère accorder un privilège au mécanisme sur lequel il est le plus (traiter l’aspect global ou local) mais il peut au contraire contraindre chacun à engager aussi les mécanismes pour lesquels ils sont moins compétents, notamment dans les tâches d’attention focalisée ou en cas de présentation latéralisée. Parmi les critères pouvant être à l’origine d’une modulation de haut niveau exercée sur l’engagement plus ou moins fort de certains mécanismes visuels plus élémentaires, l’appartenance des éléments d’information à la catégorie des lettres ou à celle des dessins d’objets pourrait jouer un rôle.

Pour avoir un indice de l’influence potentielle des catégories sur le déroulement des traitements de stimuli visuels complexes, il faut que l’identification des éléments de ces catégories se distingue par exemple par des dominances hémisphériques opposées. Ce pourrait être le cas de la catégorie des lettres, qui relève du domaine verbal et pourrait à ce titre surtout impliquer des régions cérébrales de l’HG, et de la catégorie des dessins d’objets dont le traitement pourrait au contraire surtout engager des régions de l’HD.

Tout comme le fait de connaître à l’avance le niveau auquel l’information pertinente apparaîtra semble modifier l’intensité relative de l’engagement de certains mécanismes de traitement global et local de l’information visuelle, supportés par des régions cérébrales latéralisées différemment, le fait de connaître à l’avance la catégorie des éléments à identifier pourrait aussi modifier l’engagement de régions cérébrales latéralisées différemment selon leur compétence pour telle ou telle catégorie. Au final, tout comme la comparaison entre les résultats d’épreuves d’attention divisée et d’attention focalisée s’accompagne de différences quant à l’asymétrie hémisphérique liée aux traitements des niveaux, la comparaison entre le traitement de listes de lettres hiérarchisées et de dessins d’objets hiérarchisés pourrait aussi témoigner de modulations de l’asymétrie hémisphérique liée au traitement de ces niveaux.

Cette hypothèse ne s’appuie pas seulement sur le raisonnement que nous venons de développer pour montrer comment elle s’inscrit dans les recherches actuelles concernant l’asymétrie hémisphérique pour les traitements visuels global/local. Elle paraît également compatible avec quelques données, encore rares, sur le sujet, que nous présentons maintenant.