3.3.3.7 Vers nos hypothèses concernant l’influence des catégories la dominance hémisphérique pour le traitement global et local.

Tout d’abord, même si la plupart des expériences portant sur les traitements global/local est conduite à partir de lettres hiérarchisées, certaines utilisent plutôt des figures géométriques, parfois nommables, d’autres fois non. Il se trouve que certaines de ces expériences n’ont pas permis d’observer la dominance de l’HD pour le niveau global, ni celle de l’HG pour le niveau local. Il est difficile d’imputer cette absence d’asymétrie hémisphérique au seul choix de ce type de stimuli, car nous avons vu que plusieurs facteurs peuvent contribuer à réduire les chances d’observer cet effet (choix de la tâche, position des stimuli, durée de présentation…). Citons tout de même les travaux de Blanca et Alarcòn (2002), qui observent une même habileté de l’un et l’autre hémisphère pour traiter l’information locale et globale avec des stimuli hiérarchisés composés d’un grand carré, auquel il manque le côté droit ou le côté gauche, constitué de petits carrés auxquels il manque aussi soit le côté droit, soit le côté gauche. La tâche est de juger l’orientation du côté ouvert, soit au niveau global, soit au niveau local. La tâche et les stimuli sont donc ici avant tout caractérisés par leurs aspects visuo-spatiaux, et non verbaux. Il se peut que cela ait contribué à ne pas laisser apparaître d’indice d’une dominance de l’HG pour le traitement local. Pour prendre un second exemple, l’absence de différence hémisphérique selon le niveau d’analyse de stimuli hiérarchisés composés de carrés et de rectangles, dans une expérience présentée par Polich et Aguilar (1990), a aussi été interprétée par leurs auteurs comme un effet de la nature des stimuli. Ils montrent même un avantage général de l’HG pour les carrés et de l’HD pour les rectangles. Ils concluent que la forme générale du stimulus, plutôt que le seul mode de traitement ou les fréquences spatiales, est un déterminant majeur des différences hémisphériques pour les traitements visuels.

Concernant plus directement l’influence des catégories Lettre et Dessin d’Objet sur l’asymétrie hémisphérique pour les traitements global/local, il existe peu de données. Certes, Brown et Kosslyn (1995) se sont posés des questions à ce sujet, mais les expériences conduites ne proposaient pas, à proprement parler, des stimuli hiérarchisés, mais plutôt des dessins imbriqués, ce qui ne permet pas de parler d’une opposition global/local au sens strict du terme.

Les résultats les plus marquants viennent d’expériences réalisées en TEP. A la suite d’une étude portant sur les activations cérébrales accompagnant le traitement global ou local de lettres hiérarchisées (Fink et al., 1996), Fink et ses collègues ont étudié la même question avec de grands dessins d’objets, constitués de petits dessins d’autres objets, chez 10 hommes droitiers (Fink, Marshall, Halligan, Frith, Frackowiak, & Dolan, 1997b). Il s’agissait d’un mélange de figures géométriques et d’objets facilement identifiables par les participants, les unes et les autres étant faciles à nommer en anglais (carré, triangle, rectangle, losange, tasse, ancre marine, croissant de lune, cloche, étoile, valise, flèche). Comme dans les épreuves avec les lettres hiérarchisées, il s’agissait là aussi de focaliser l’attention sur un seul niveau pour chaque bloc de l’expérience et de nommer l’objet représenté à ce niveau ; la présentation de chaque stimulus est centrée. Nous avons déjà évoqué plus haut ces résultats, pour d’autres raisons, mais rappelons que, pour les lettres hiérarchisées, Fink et ses collègues ont montré des activations neuronales associées à des traitements visuels précoces : dans le cortex extra-strié droit pour la sélection du niveau global et dans le cortex occipital inférieur gauche pour la sélection du niveau local. Des activations relevées également dans le cortex temporo-pariétal suggèrent que cette région sous-tend des mécanismes de contrôle attentionnel, qui s’exercent sur les traitements perceptifs effectués dans le cortex extra-strié.

Dans l’expérience avec les dessins d’objets hiérarchisés, la sélection du niveau global se caractérise par des activations significativement plus fortes dans le gyrus lingual gauche que dans le gyrus lingual droit, alors que la sélection du niveau local se caractérise par une activité significativement plus élevée dans le cortex occipital inférieur droit que dans la région analogue de l’HG. En comparant les résultats des expériences sur les lettres et les dessins hiérarchisés, les auteurs confirment que le renversement des asymétries hémisphériques avec la catégorie Dessin d’Objet est significatif, aussi bien dans le cortex occipital inférieur que dans le gyrus lingual. De plus, dans l’expérience avec les dessins d’objets, l’asymétrie hémisphérique décrite pour l’ensemble du groupe est effective chez 7 participants sur 10, aucune activation significative dans le cortex strié et extra-strié n’ayant été enregistrée chez les 3 autres sujets.

Cette inversion de l’asymétrie hémisphérique liée à la catégorie du matériel s’est manifestée dans des structures cérébrales sous-tendant des traitements visuels précoces, ce qui confirme que la spécialisation de l’HG pour le traitement local et celle de l’HD pour le traitement global ne sont pas absolues, et que la hauteur des fréquences spatiales n’est pas le seul déterminant de la spécialisation hémisphérique pour le traitement des niveaux. L’identité entre les tâches proposées pour les deux expériences ne permet pas de lier l’absence d’asymétrie hémisphérique classique pour les niveaux global/local des objets hiérarchisés au seul choix d’une épreuve d’attention focalisée, peu propice, il est vrai, à l’observation de l’asymétrie hémisphérique classique.

A notre connaissance, une seule recherche a jusqu’ici tenté de répliquer ces effets de catégories. Bedson et Turnbull (2002) ont pour cela utilisé une situation expérimentale très différente : le paradigme de détection du changement, pour des stimuli présentés simultanément dans les champs visuels gauche et droit. La tâche demande d’indiquer si un changement est intervenu entre deux stimuli successifs séparés par un masque : en cas de changement, celui-ci peut intervenir entre les stimuli de gauche ou entre ceux de droite ; le changement concerner le niveau global ou le niveau local. Quatre expériences ont été réalisées : l’une avec des lettres hiérarchisées, une autre avec des figures géométriques hiérarchisées (ce qui n’est pas tout à fait la même chose que les dessins d’objets), une autre avec de grandes figures géométriques constituées de petites lettres, la dernière expérience proposant des grandes lettres constituées de petites figures géométriques. Contrairement à ce qui s’est produit dans les expériences de Fink et de ses collègues, l’analyse des données (sensibilité des participants évalués avec l’indice) montre dans toutes les expériences de Bedson et Turnbull une dominance de l’HD pour la détection du changement au niveau global. Ils ne répliquent donc pas l’effet de la catégorie sur l’asymétrie hémisphérique pour le traitement global, relevé par Fink et ses collègues. Pour ce qui est du niveau local, l’examen attentif de leurs résultats montre que, dans les deux expériences présentant des stimuli hiérarchisés dont les détails sont des lettres, un avantage de l’HG pour ce niveau est présent, alors que dans les deux expériences où le niveau local est constitué de dessins, aucun avantage hémisphérique n’apparaît : pour reprendre les termes des auteurs, le fait que les stimuli soient linguistiques ou non n’est pas anodin par rapport à l’asymétrie hémisphérique associée au traitement local de stimuli hiérarchisés. Aussi, sans pouvoir parler d’une véritable inversion de dominance hémisphérique dans la recherche de Bedson et Turnbull (2002), il est tout de même possible de dire à partir de leurs résultats, que le fait que les stimuli soient constitués de lettres ou de figures géométriques exerce une influence sur la dominance hémisphérique pour le traitement du niveau local.

Fink et ses collègues (1997b) ont, quant à eux, interprété les effets obtenus à partir de leurs données en TEP, dans une perspective dont nous avons essayé de montrer l’intérêt dans ce qui précède : le traitement des niveaux global et local n’est pas seulement déterminé par des mécanismes sensoriels et des traitements ascendants, mais aussi par des processus descendants, issus de plus hauts niveaux et impliquant vraisemblablement des structures situées en région temporo-pariétale. Pour ce qui est des traitements sous-tendus par cette dernière région, l’observation de dessins réalisés en copie par des patients atteints de lésions unilatérales dans cette région montre des configurations de résultats équivalentes pour des lettres et des dessins hiérarchisés : l’information sur la catégorie n’est donc pas déterminante pour l’asymétrie hémisphérique dans cette région. Les données de Fink et ses collègues (1997b) témoignent de l’influence des catégories sur la latéralisation des activations dans des régions sous-tendant des traitements de plus bas niveau. Ces auteurs pensent que la modulation des activations dans les aires extra-striées est produite par un mécanisme attentionnel de haut niveau, mais s’exprime par des changements de l’engagement de mécanismes latéralisés de plus bas niveau.

Leur raisonnement est centré sur le fait que le niveau local est a priori le plus difficile et demanderait plus de ressources au niveau perceptif. Aussi, Fink et ses collègues estiment que, d’un point de vue biologique, il n’est pas aberrant de penser qu’une bonne stratégie soit de faire en sorte que le traitement de ce niveau engage prioritairement les structures de l’hémisphère le plus compétent pour traiter le contenu de l’information. Par suite, si le niveau local est sélectionné, l’information contenue à ce niveau sera traitée en priorité par l’HG en cas de lettres hiérarchisées et par l’HD en cas de dessins hiérarchisés, l’HG étant plus compétent dans les traitements langagiers et l’HD étant fortement impliqué dans la reconnaissance d’objets (McCarthy & Warrington, 1990). En d’autres termes, les auteurs ne nient pas que des structures de l’HD soient plus compétentes pour le traitement d’informations situées au niveau global, et que des structures de l’HG le soient pour le traitement du niveau local. Toutefois, la catégorie des stimuli est, selon eux, un déterminant majeur des influences de haut niveau sur l’implication de structures latéralisées , et son impact sur la distribution des ressources est si fort qu’il est susceptible de renverser la dominance hémisphérique classique pour les niveaux (Fink, & al., 1999).

Les auteurs n’expliquent pas directement comment cette interprétation peut aussi rendre compte des effets observés pour le traitement global. Ils suggèrent seulement que l’hémisphère qui n’est pas particulièrement engagé dans le traitement local, parce qu’il n’est pas spécialisé pour traiter la catégorie d’information présente, reste relativement disponible pour le niveau global. Ainsi, dans le cas de lettres hiérarchisées, l’HD resterait suffisamment disponible pour s’impliquer fortement dans le traitement du niveau global (ce qui concorde avec les résultats de Fink, & al., 1996), mais dans le cas de dessins hiérarchisés, le niveau local serait prioritairement pris en charge par l’HD, et l’HG resterait le plus disponible pour traiter le niveau global, ce qui est cohérent avec l’augmentation des activations dans l’HG pour la focalisation au niveau global de dessins hiérarchisés (Fink, & al., 1997b).

Plusieurs aspects de l’interprétation de Fink et de ses collègues (1997b) suggèrent des prédictions. Tout d’abord, il serait bon de vérifier si le principe qu’ils énoncent (l’hémisphère spécialisé pour une catégorie donnée est celui auquel un processus top-down donnera priorité pour traiter le niveau local) reste vrai dans une épreuve avec attention divisée. Il n’y a pas de raison pour que le traitement local ne s’accompagne plus, dans ces conditions, d’une dominance de l’HD pour des dessins d’objets et d’une dominance de l’HG pour des lettres hiérarchisées, si ce qui est déterminant pour l’engagement de mécanismes latéralisés est surtout la catégorie des stimuli et la difficulté relative des niveaux plutôt que la seule dominance hémisphérique pour les modes de traitements global versus local. Si ce principe est vrai, alors, par exemple, le traitement local de dessins d’objets hiérarchisés devrait être pris en charge prioritairement par l’HD, que la cible soit finalement située au niveau global ou au niveau local. C’est ce que propose notre Hypothèse 1. Pour cela, nous réaliserons des expériences dans lesquelles le niveau d’apparition de la cible ne peut être prédit, l’une avec des lettres hiérarchisées, l’autre avec des dessins hiérarchisés.

Par ailleurs, dans l’interprétation proposée par ces auteurs, seul le renversement de l’asymétrie hémisphérique classique pour le niveau local en cas de dessin hiérarchisé est expliqué directement. Le fait qu’en cas de sélection du niveau global les activations soient plus fortes dans l’HD pour les lettres, mais dans l’HG pour les dessins d’objets n’est qu’une conséquence assez indirecte de la mobilisation de l’autre hémisphère pour des raisons liées à ses compétences pour le traitement d’une catégorie au niveau local. Aussi, dans notre tentative de réplication des effets observés par Fink et ses collègues, nous espérons surtout répliquer l’inversion de l’asymétrie hémisphérique classique pour le niveau local en cas de dessins hiérarchisés.

Enfin, en décrivant l’inversion de l’asymétrie hémisphérique pour le traitement local des dessins d’objets hiérarchisés comme le fruit d’un processus attentionnel descendant, consistant à moduler l’implication de mécanismes latéralisés selon leur compétence pour la catégorie du matériel, Fink et ses collègues décrivent cette influence comme un processus assez général, qui prédispose les mécanismes de l’un et l’autre hémisphères à s’engager plutôt dans tel ou tel niveau d’analyse. Le fait que cette influence se traduise par une modulation de la latéralisation des activations dans des régions cérébrales sous-tendant des traitements visuels précoces va aussi dans le sens d’une pré-disposition qui serait déterminée une fois pour toute dans l’expérience, et non pas seulement après que la catégorie du matériel ait été identifiée. Cela n’est pas clairement exprimé par les auteurs, mais nous proposons de nous intéresser à ce point dans l’une de nos hypothèses. S’il s’agit bien d’un effet issu d’un processus de contrôle de la distribution des ressources de traitement, alors il s’agit d’une prédisposition qui ne peut s’établir que si le participant connaît à l’avance la catégorie du stimulus hiérarchisé qu’il devra traiter. Autrement dit, si le principe décrit s’exprime grâce à une modulation attentionnelle de haut niveau telle que Fink et ses collègues le pensent, alors elle ne doit pas pouvoir s’exercer si la liste contient un mélange de lettres hiérarchisées et de dessins d’objets hiérarchisées, impropre à la mise en place d’un préajustement de l’engagement des structures cérébrales selon leurs compétences pour le traitement d’une certaine catégorie. Un résultat expérimental obtenu par d’autres chercheurs va dans le sens de cette hypothèse. En effet, aucune inversion de l’asymétrie hémisphérique n’a été constatée dans une épreuve proposant un mélange de stimuli hiérarchisés non-verbaux et de stimuli verbaux (Versace & Tiberghien,1988). Dans le cas ou aucune préparation attentionnelle appropriée à la catégorie des stimuli n’est possible, nous faisons l’hypothèse que, par défaut, l’engagement des mécanismes latéralisés est dirigé par une compétence plus grande de certaines structures de l’HG à traiter les détails et une compétence plus importante de l’HD à se charger de l’aspect global de l’information visuelle.