3. Discussion

Equilibre de la saillance de l’information visuelle entre les niveaux global et local

L’élaboration de notre matériel était guidée par le souhait de construire des stimuli hiérarchisés pour lesquels l’identification des cibles ne demande pas plus de temps pour l’information visuelle située au niveau local qu’au niveau global, ce qui est considéré comme un critère d’équilibre de la difficulté de traitement entre les deux niveaux par Lamb et Robertson (1989) ou encore Yovel, Yovel et Levy (2001). Nous pensions que cet équilibre de la saillance de l’information entre les niveaux était souhaitable pour permettre ensuite d’interpréter plus directement d’éventuels effets de dominance hémisphérique en lien avec les traitements global et local. La plus grande facilité de discrimination des cibles au niveau global, observée dans la plupart des expériences relatées dans la littérature sur le sujet, pourrait en effet produire un ‘effet plancher’ rendant la tâche aussi facile pour chaque hémisphère lorsque la cible est au niveau global, et un ‘effet plafond’ la rendant aussi ardue pour les deux hémisphères au niveau local, ce qui réduirait les chances de recueillir des indices de dominance hémisphérique pour le traitement de chaque niveau (Yovel, & al., 2001). Equilibrer cette difficulté nous paraissait également une précaution importante, compte tenu des travaux de Mevorach et ses collègues (2006). Nous avons vu qu’ils montrent que des structures du lobe pariétal gauche peuvent être particulièrement recrutées pour contrer le biais poussant à sélectionner l’information située au niveau le plus saillant, même si la cible ne se trouve pas à ce niveau. Cette implication de l’HG sous-tendrait un processus de contrôle attentionnel descendant et pourrait masquer les effets d’asymétrie hémisphérique liés à la prise en charge différenciée des niveaux. Il semble donc pertinent de tenter d’éviter un tel biais en construisant des stimuli aussi équilibrés que possible.

Pour cela, nous avons modifié les rapports de taille entre les informations aux niveaux global et local de stimuli précédemment utilisés dans l’équipe pour une autre expérience (Bedoin, & al., 2006 ; Lamoury, 2002). Comme dans les Expériences 1a et 1b, il s’agissait d’une épreuve réalisée avec le paradigme d’attention divisée entre les niveaux, avec une présentation en champ visuel divisé, et les objets dessinés aux niveaux global et local étaient les mêmes que ceux de l’Expérience 1b. Cette expérience avait permis d’obtenir, auprès d’un groupe de 24 jeunes adultes, des temps de discrimination de cibles significativement plus courts au niveau global qu’au niveau local, F1(1, 23) = 17.18, p = .0004, comme il est assez classique de l’observer (Navon, 1977). Dans les Expériences 1a et 1b de notre thèse, nous avons réduit la taille du stimulus global (4° X 3.8° ici, au lieu de 5.5° X 5.5° dans l’expérience précédente), mais cette taille d’ensemble reste, dans les deux cas, dans un ordre de grandeur pour lequel un avantage du niveau global apparaît généralement (< 7°, Kinchla & Wolf, 1979 ; Lamb & Robertson, 1989). Nous avons surtout réduit la densité des éléments au niveau local, en augmentant leur taille (0.4° X 0.35° ici, au lieu de 0.35° X 0.35° dans l’expérience précédente) et en augmentant aussi de 2/3 l’espace qui les sépare. Nous avons vu que la diminution de la densité (Enns & Kingstone, 1995 ; Han & Humphreys, 1999 ; Huberle & Karnath, 2006 ; LaGasse, 1993 ; Martin, 1979) est un moyen efficace pour augmenter la saillance des informations au niveau local, sans doute aussi parce que l’opération de groupement devient alors difficile pour dégager la configuration de niveau global. Nous avons vu, dans la partie 1.2. du Chapitre 1, que l’attention pouvait être attirée par des configurations issues de groupements réalisés spontanément à partir de propriété relationnelles présentes entre les éléments : un tel groupement est ici possible sur la base de la similarité des formes (critère qui n’est d’ailleurs pas le plus précocement pris en compte, Han, Humphreys, & Chen, 1999b) et l’absence de connectivité n’est pas un obstacle infranchissable, à condition que la distance entre les éléments ne soit pas trop grande. La diminution de la densité dans nos Expériences 1a et 1b rend ces groupements moins faciles, ce qui compenserait l’avantage que la grande forme tire normalement du seul niveau de la hiérarchie qu’elle représente.

Dans les Expériences 1a et 1b, cette précaution semble avoir suffi pour équilibrer la difficulté de discrimination de cibles entre les niveaux, puisque les temps de réponse et les taux d’erreurs ne diffèrent pas entre les niveaux global et local, que ce soit dans l’analyse générale ou dans les analyses conduites séparément sur chaque expérience.