Effet de répétition de niveau et dominance hémisphérique

Dans les Expériences 1a et 1b, nous avions pris soin d’éviter la confusion entre changement de niveau d’analyse et changement de champ visuel d’un item à l’autre, en faisant en sorte que l’item n - 1 précédant un switch soit toujours présenté du même côté que l’item n. Cette précaution était également importante pour permettre d’étudier une éventuelle dominance hémisphérique pour l’opération de désélection du mode de traitement préalable avant un changement de niveau. Plusieurs indices dans l’analyse des données suggèrent que l’HD est particulièrement performant pour gérer la difficulté engendrée par l’augmentation du nombre de répétitions de niveaux avant un switch.

Tout d’abord, dans l’analyse générale sur les pourcentages d’erreurs, l’interaction entre les facteurs répétitions et champ met sur la piste d’une asymétrie hémisphérique pour la gestion de cette difficulté. Cette interaction s’explique par un ralentissement significatif des réponses, lié à l’augmentation des répétitions seulement dans le cas où les items n – 1 et n sont présentés en CVD-HG. La difficulté induite par le contexte des nombreuses répétitions semble donc surtout poser un problème lorsque l’information est plus directement adressée à l’HG que lorsqu’elle est adressée à l’HD, ce qui pourrait traduire une meilleure efficacité de certaines structures de l’HD pour réaliser l’opération de désélection, conformément à notre Hypothèse 2b.

Cet effet est suffisamment fort pour atteindre le seuil de significativité dans l’analyse globale portant sur les deux expériences, mais il s’avère qu’il est essentiellement dû à l’interaction Répétition X Champ significative dans l’expérience sur les dessins d’objets (Expérience 1b), avec, là encore, un effet négatif significatif de l’augmentation des répétitions dans le seul cas des stimuli présentés en CVD-HG. Dans cette expérience sur les dessins d’objets, la configuration des résultats sur les temps de réponse est similaire à celle des résultats sur les erreurs : bien que les réponses soient plus lentes si le switch suit 4 plutôt que 2 répétitions quel que soit l’hémichamp de présentation, l’effet est très significatif en CVD-HG, mais atteint tout juste le seuil de significativité de .05 en CVG-HD. C’est aussi surtout dans cette expérience que la condition la plus difficile (i.e., 4 répétitions avant le changement de niveau) tend fortement à être traitée de manière plus exacte si les stimuli sont présentés en CVG-HD plutôt qu’en CVD-HG. Malheureusement, cet effet n’atteint pas tout à fait le seuil de significativité dans cette expérience.

Il est surprenant que l’effet de répétition diffère selon le champ visuel seulement dans l’épreuve sur les dessins d’objets. Nous pouvons voir dans cette différence un autre type d’influence que peut exercer la catégorie du matériel sur les effets d’asymétrie hémisphérique. Remarquons tout de même que, même si l’interaction Répétition X Champ n’est pas significative dans l’épreuve sur les lettres, la configuration des résultats sur les latences rappelle l’effet observé dans l’expérience sur les dessins d’objets : l’augmentation du nombre de répétitions ne ralentit significativement le traitement que dans le CVD-HG et pas dans le CVG-HD. Sur ce point, les données ne sont donc pas contradictoires entre les Expériences 1a et 1b. Il reste que la catégorie du matériel semble instaurer, ici aussi, une certaine modulation sur les asymétries hémisphériques observées, mais si celle-ci doit se confirmer dans les expériences ultérieures, nous n’avons pas pour l’instant d’interprétation à proposer.

Enfin, un résultat surprenant est aussi apparu à propos des effets de répétition, avec l’interaction Répétition X Niveau : l’augmentation des répétitions avant un changement produit une augmentation des erreurs seulement s’il s’agit de désélectionner le niveau local pour passer au niveau global. Si le mécanisme de désélection consiste à inhiber un mode de traitement devenu inapproprié, ce résultat pourrait traduire le fait que l’inhibition du mode de traitement local est plus difficile, ou demande plus de ressources, que l’inhibition du mode de traitement global. Etant donné que la difficulté de traitement de l’information a été équilibrée entre les niveaux, cela n’est vraisemblablement pas lié à une difficulté plus grande pour inhiber l’analyse de détails qui seraient perceptivement plus saillants. Si ce phénomène n’est pas un simple artéfact des expériences, il suggère une interprétation en termes attentionnels et nous vérifierons dans les expériences suivantes si les mécanismes attentionnels consistant à inhiber un mode d’analyse plutôt qu’un autre présentent des degrés de difficultés différents. Cela suggèrerait alors que des mécanismes d’inhibition distincts pourraient être mobilisés selon le niveau à inhiber.

En résumé, dans leur ensemble, les Expériences 1a et 1b apportent quelques arguments en faveur d’une asymétrie hémisphérique pour la prise en charge d’une difficulté liée à la nécessité de changer de mode d’analyse d’un objet hiérarchisé dans un contexte ayant préalablement encouragé le maintien de l’attention sur un autre niveau d’analyse. L’HD semble à la fois moins perturbé par le renforcement de la difficulté engendrée par un tel contexte, et tend à être plus habile à gérer ce type de difficulté lorsqu’elle est élevée. Dans les travaux étudiant plutôt le passage lui-même d’un niveau à l’autre, ou le maintien de l’engagement à un certain niveau, les structures cérébrales évoquées comme support sont généralement situées dans le lobe pariétal gauche. Les quelques éléments que nous avons rassemblés ici vont au contraire dans le sens d’une compétence particulière de l’HD, et cette particularité pourrait témoigner du fait que cette compétence corresponde à une opération spécifique. Comme nous l’avons expliqué, il pourrait bien s’agir d’une désélection, permettant d’abandonner un mode de traitement en l’inhibant, avant la commutation vers un mode de traitement plus adapté.