3. Discussion

En premier lieu, dans cette expérience comme dans toutes les autres, un avantage significatif pour le traitement des lettres par rapport à celui des dessins d’objets est observé chez les jeunes adultes, tant sur l’exactitude des réponses que sur leur rapidité. La familiarité du matériel alphabétique est sans doute responsable de cet avantage, très constant à travers nos expériences. L’Expérience 2c apporte sur ce point un élément supplémentaire : les facteurs catégorie et champ interagissent, essentiellement parce qu’il existe un avantage de l’HG seulement pour les lettres : il semble donc bien que ces dernières aient été traitées en tant qu’éléments d’une catégorie linguistique, pour laquelle l’HG présente une dominance.

Dans l’Expérience 2c, l’effet de la catégorie interagit aussi avec celui du niveau : pour les dessins, il existe un avantage du niveau global, alors que les lettres tendent à être traitées plus rapidement au niveau local qu’au niveau global. Cette interaction, présente dans cette seule expérience, ne correspond pas à un effet extrêmement robuste, mais s’il devait se vérifier dans le cas d’enfants et apparaître de manière progressive pendant les années d’apprentissage de la lecture, il serait possible de l’interpréter non seulement comme un effet de familiarité croissante du matériel alphabétique, mais aussi comme le développement d’une compétence particulière à traiter les lettres au niveau local dans des stimuli visuels complexes. La mise en place d’un bon niveau d’expertise en lecture de mot écrit, dont les détails sont justement des lettres, pourrait s’accompagner de l’établissement d’une compétence pour un mécanisme aussi précis.

De même, bien que les Expériences 1c et 2c ne soient pas destinées à tester cette question, il apparaît que l’augmentation du nombre de répétitions avant un changement de niveau ralentit significativement le traitement de la cible. Etant donné que, dans l’Expérience 2c contrairement à l’Expérience 1c, le changement de niveau est étudié en l’absence d’un biais possible dû à un changement concomitant sur le plan de la sélection de la réponse, ce résultat peut plus directement être interprété comme un effet relatif au processus de changement de niveau.

Plus directement en lien avec notre hypothèse, les effets d’asymétrie hémisphérique relevés dans l’Expérience 2c apparaissent comme plus directement liées au niveau sur lequel se situe la cible, plutôt qu’à la catégorie de son contenu, conformément à notre prédiction. Les résultats de l’Expérience 1c allaient déjà dans ce sens, mais de manière moins directe. En effet, alors que l’interaction Champ X Niveau X Catégorie était significative pour les expériences présentant les lettres et les dessins dans des blocs séparés (Expériences 1a et 1b), cette interaction n’était plus significative dans l’Expérience 1c. Cependant, dans l’Expérience 1c, nous n’avions pas relevé d’interaction Niveau X Champ, qui est un indice plus direct de l’importance accordée au critère niveau, plutôt que catégorie, pour guider l’engagement des hémisphères. Or, dans l’Expérience 2c qui présente un mélange de lettres et de dessins d’objets hiérarchisés, cette interaction Niveau X Champ est significative, alors que l’interaction Catégorie X Niveau X Champ ne l’est pas. Cela montre plus clairement que les indices d’asymétries hémisphériques observés dans cette expérience sont relatifs aux niveaux n’analyse et que cela n’est pas influencé par la catégorie du stimulus.

Par ailleurs, il apparaît que le fait d’avoir pris la précaution de ne pas introduire de difficulté supplémentaire pour le traitement des items expérimentaux, en faisant en sorte que la réponse soit la même que pour l’item précédent, s’accompagne de la disparition de deux effets inattendus dans l’Expériences 1c et qui étaient susceptibles d’obscurcir la visibilité de phénomènes d’asymétrie hémisphérique liés aux deux dimensions qui nous intéressent : le niveau d’analyse (global ou local) et la catégorie du contenu du stimulus hiérarchisé (lettre ou dessin d’objet). Conformément à nos attentes, malgré la disparition de ces deux effets, la dominance hémisphérique pour le traitement du niveau local reste déterminée seulement par la compétence de mécanismes latéralisés selon le niveau (et non selon la catégorie) qu’ils traitent le mieux, ce qui réduit l’impact des interprétations alternatives à notre Hypothèse 1b.

Le premier effet était un avantage général du niveau local dans l’Expérience 1c, assez surprenant puisqu’il était absent pour le même type de matériel dans les Expériences 1a et 1b. Cet effet disparaît dans l’Expérience 2c. Cela souligne le fait que les phénomènes d’avantage pour un niveau d’analyse sont très vulnérables non seulement aux caractéristiques physiques des stimuli (Amirkhiabani & Lovegrove, 1999 ; Blanca & Luna, 2002 ; Grice, Canham, & Boroughs, 1983 ; Kinchla & Wolfe, 1979 ; LaGasse, 1993 ; Lamb & Robertson, 1989 ; Luna, Marcos-Ruiz, & Merino, 1995 ; Martin, 1979), mais aussi aux demandes attentionnelles de la tâche (Han, Humphreys, & Chen, 1999 ; Han, Yund, & Woods, 2003 ; Paquet, & al., 1987 ; Paquet & Merickle, 1988 ; Plaisted, Swettenham, & Rees, 1999 ; Rinehart, Bradshaw, Moss, Brereton, & Tonge, 2000). Au final, dans l’Expérience 2c comme dans les autres expériences, nous retrouvons une situation dans laquelle l’équilibre de la difficulté d’extraction de l’information à l’un et l’autre niveaux est observé. Contrairement aux résultats de l’Expérience 1c, il est donc ici possible de dire que l’absence de modulation exercée par les catégories sur la dominance hémisphérique pour les niveaux n’est pas due au seul fait que la difficulté posée par le niveau local n’ait pas été suffisante pour inciter la mise en place d’un processus attentionnel, destiné à compenser la vulnérabilité de l’information locale. Cela élimine donc une des interprétations concurrentes à celle évoquée par notre Hypothèse 1b.

Le deuxième effet dont la présence dans l’Expérience 1c n’était pas attendue et qui disparaît dans l’Expérience 2c est un avantage général pour les stimuli plus directement adressés à l’HG. Cet avantage hémisphérique gauche pourrait être lié à la complexité de la tâche, en particulier à cause des fortes demandes attentionnelles pour des mécanismes tardifs de sélection de réponse et de programmation motrice dans l’Expérience 1c, ainsi qu’au fait que ces derniers mécanismes impliquent fortement des structures de l’HG (Mars, Piekema, Coles, Hulstiln, & Toni, sous presse ; Rushworth, Krams, & Passingham, 2001 ; Schulter, Krams, Rushworth, & Passingham, 2001 ; Spironelli, Tagliabue, & Angrilli, 2006). La disparition de l’avantage général de l’HG dans l’Expérience 2c s’explique peut-être par la seule diminution de ces difficultés et par la réduction de l’implication de tels mécanismes attentionnels latéralisés, comme d’autres auteurs l’ont montré pour d’autres mécanismes (Mevorach, Humphreys, Shalev, 2006). La plus grande facilité de l’épreuve 2c est en tout cas attestée par le fait qu’elle suscite des temps de réponse plus courts (776 ms en moyenne, dans l’Expérience 1c, mais seulement 735 ms dans l’Expérience 2c), ainsi que des erreurs plus rares (5.35% en moyenne dans l’Expérience 1c, mais seulement 3.78% dans l’Expérience 2c). L’important pour nous ici est de constater qu’il y a dans cette expérience un avantage de l’HG au niveau local quelle que soit la catégorie, sans que cela s’explique par le seul fait d’un avantage général de l’HG dans l’ensemble de l’épreuve, et cela permet d’écarter la deuxième interprétation concurrente de notre Hypothèse 1b.