3. Discussion

Comme dans les expériences précédentes, l’analyse des résultats de l’Expérience 3 fait ressortir un avantage général pour les lettres par rapport aux dessins d’objets, à la fois sur les temps de réponse et les taux d’erreurs, ce qui est cohérent avec l’effet général de la catégorie observé dans l’ensemble des expériences sur les adultes.

Les données sont également favorables l’Hypothèse 1, car l’interaction Niveau X Champ X Catégorie attendue est significative sur les temps de réponse. Elle reflète un effet différent du champ visuel selon la catégorie pour le traitement au niveau local. Pour ce niveau, un avantage de l’HG est observé pour les lettres, mais pas pour les dessins d’objets, résultat observé aussi sur l’exactitude des réponses. Or, c’est plus précisément pour le traitement de ce niveau que nous attendions une modulation de l’asymétrie hémisphérique par les catégories, sous l’influence d’un processus de haut niveau destiné à compenser le traitement potentiellement plus difficile de l’information locale. Il est intéressant de remarquer la robustesse de cet effet, dont nous avions aussi relevé des indices dans les expériences précédentes : il se manifeste ici dans une situation pour laquelle tous les stimuli expérimentaux n’impliquent pas forcément un changement de niveau par rapport à l’item précédent (conditions MNR et MN). Le maintien de l’effet dans ces conditions différentes, et dans une expérience où lettres et dessins sont testés de manière intra-individuelle, conforte un peu plus ce résultat. Encore une fois, il semble que la dominance hémisphérique pour les traitements global et local ne soit pas exclusivement déterminée par des caractéristiques des traitements visuels de bas niveau, ni par la seule différence de latéralisation hémisphérique de mécanismes compétents pour traiter l’un plutôt que l’autre niveau.

Les résultats de cette expérience montrent aussi l’influence du contexte des modes de traitement préalablement utilisés sur l’exactitude et les temps de traitement des stimuli hiérarchisés. L’analyse détaillée de l’effet de ce facteur nous apprend plusieurs choses.

Tout d’abord, l’effet général de ce facteur contexte ne s’explique pas par la différence entre les deux conditions faisant varier la nécessité d’un changement de réponse : lorsque seul un changement de réponse s’impose (condition MN), cela n’est pas significativement pénalisant (comparé avec la condition MNR) pour les variables dépendantes étudiées. Nous remarquons d’ailleurs que l’effet de ce changement de réponse n’est pas plus pénalisant dans un hémichamp visuel que dans l’autre, et nous ne recueillons donc pas d’indice d’une supériorité de l’HG pour la prise en charge de ce type de changement dans cette expérience.

En revanche, l’effet général du facteur contexte s’explique au moins en partie par le coût dû au changement de niveau, car nous répliquons l’effet classique du switch, avec des réponses plus lentes et moins précises lorsqu’une alternance est requise entre les niveaux pour les items n-1 et n (condition 2 répétitions) que lorsqu’il n’y a pas d’alternance (condition MNR), ces deux conditions étant par ailleurs comparables parce qu’elles n’impliquent pas de changement de réponse. Les données montrent que ce changement de niveau a un effet plus négatif sur les performances que le changement de réponse. Il est difficile d’étudier les supports neuroanatomiques précis des mécanismes cognitifs impliqués dans le processus de changement de niveau à partir d’un paradigme de présentation en champ visuel divisé. Une étude en imagerie cérébrale apporte cependant des arguments pour un rôle crucial de l’HG pour ces alternances, avec un accroissement des activations cérébrales dans l’aire motrice supplémentaire gauche et dans le cortex temporal médian gauche lorsque le nombre de changements de niveaux augmente dans la tâche (Fink, & al., 1997a). De même, l’alternance s’accompagne de la modulation d’une onde positive à 290 ms, qui correspondrait aux régions temporales postérieures gauches et pariétales gauches (Schatz & Erlandson, 2003). Dans notre expérience, un effet négatif du changement de niveau, évalué en comparant les conditions MNR et 2 répétitions avant un changement, est présent dans les deux hémichamps visuels. Toutefois, un aspect des résultats va dans le sens des éléments de la littérature que nous venons d’évoquer : l’avantage de l’HG est plus marqué dans la condition impliquant une alternance entre niveaux (condition 2 répétition) que dans les conditions sans changement de niveau (l’avantage de l’HG est tout juste significatif pour la condition MNR et n’est pas présent pour la condition MN). Cela concorde donc avec les données de Fink et ses collègues (1997a) et de Schatz et Erlandson (2003), qui évoquent une compétence particulière de structures de l’HG pour le processus général de changement de niveau.

Pour ce qui est finalement de l’effet de l’augmentation du nombre de répétitions avant un changement, nous relevons, comme dans nos expériences précédentes et dans celle de Wilkinson et ses collègues (2001), son influence négative sur les performances, tant pour l’exactitude que pour la vitesse de réponse, conformément à l’Hypothèse 2a. De plus, alors que l’effet de changement de niveau (conditions MNR versus 2 répétitions avant un changement) se manifeste dans l’un comme dans l’autre hémichamp visuel, le fait d’avoir été préalablement fortement engagé dans un mode de traitement devenu inapproprié (conditions 4 répétitions avant un changement versus 2 répétitions avant un changement) n’exerce un effet négatif de façon significative que dans le CVD-HG sur les temps de réponse comme sur les taux d’erreurs. Dans l’ensemble, ces données vont donc dans le sens de l’Hypothèse 2b et contribuent à défendre l’idée d’une compétence particulière de l’HD pour une opération de désélection permettant d’inhiber le mode de traitement devenu incorrect.

Enfin, un autre argument, inattendu, vient appuyer la pertinence d’une distinction entre le processus général de changement de niveau et l’opération de désélection. Nous avons proposé d’étudier cette dernière opération en évaluant l’effet de l’augmentation des répétitions (4 plutôt que 2) dans le contexte précédant le switch. Or, il se trouve que les facteurs catégorie et contexte interagissent sur les latences et cela s’explique par le fait que l’effet du changement de niveau (différence entre conditions MNR et 2 répétitions avant un switch) est significatif uniquement sur les dessins d’objet, alors que l’effet du nombre de répétitions avant ce changement (différence entre 2 répétitions et 4 répétitions avant un switch) est quant à lui significatif sur les deux catégories. Le fait qu’un facteur, ici la catégorie, exerce un effet différent dans l’un et l’autre cas plaide en faveur d’une certaine distinction entre les opérations mentales évaluées, ce qui est cohérent avec notre Hypothèse générale 2 décrivant le processus de changement de niveau comme complexe et impliquant diverses opérations.