5. Discussion générale pour les expériences conduites chez les jeunes adultes

La question de la façon dont sont traités les stimuli visuels complexes est aujourd’hui abordée d’une façon qui tente d’articuler trois sources : 1/ le rôle de contraintes de bas niveau, imposées par les caractéristiques physiques des objets et celles des mécanismes visuels élémentaires, 2/ l’influence de mécanismes attentionnels latéralisés qui mettent en œuvre des modes d’analyse spécialisés pour des informations situées à un certain niveau de la hiérarchie de l’objet, et 3/ la mise en place de processus de haut niveau capables d’aiguiller l’implication de tel ou tel mécanisme spécialisé pour participer au traitement de l’information au niveau global et au niveau local.

Le rôle de cette troisième source n’a de sens que si elle peut effectuer des choix. Or, il ne serait pas question de choix si les seuls mécanismes spécialisés participant au traitement de l’information à chaque niveau étaient seulement ceux proposés dans la source n°2. L’idée d’un processus attentionnel de régulation intervenant de façon descendante dans de tels traitements visuels implique que les mécanismes spécialisés, susceptibles de participer à l’analyse de l’information, ne soient pas seulement ceux qui se distinguent par leur compétence pour un certain niveau d’analyse. C’est ici qu’intervient l’idée selon laquelle des mécanismes spécialisés pour le traitement de certains contenus d’information (certaines catégories d’objets) pourraient aussi jouer un rôle.

Cette idée est sous-jacente à la proposition émise par Fink et ses collègues (1997b) pour interpréter la découverte d’un phénomène assez inattendu, manifesté à travers des données en imagerie cérébrale : l’analyse de l’information locale ne s’accompagne pas systématiquement d’une dominance de l’HG et celle de l’information globale d’une dominance de l’HD, comme cela pourrait être le cas dans un système qui n’engagerait, pour chaque niveau d’analyse, que les mécanismes spécialisés pour leur compétence à traiter un certain niveau (à cet égard, les mécanismes sensoriels, mais aussi attentionnels, spécialisés pour le niveau local sont censés être essentiellement sous-tendus par des structures cérébrales de l’HG, alors que ceux qui sont spécialisés pour le niveau global sont censés dépendre de régions cérébrales de l’HD). Rappelons que ces auteurs montrent en effet que la configuration des latéralisations hémisphériques classiquement associées aux niveaux global et local n’est vérifiée que pour le traitement de lettres hiérarchisées, mais qu’elle s’inverse pour le traitement de dessins d’objets hiérarchisés. Aussi, des mécanismes dont la latéralisation dépend certainement de la spécialisation pour certaines catégories d’objets pourraient intervenir.

L’intérêt de l’explication proposée par Fink et ses collègues est de décrire une règle, qui serait suivie par un processus de haut niveau (i.e., source n°3), visant à optimiser l’analyse de l’information et déterminant pour cela l’engagement de divers mécanismes latéralisés, non seulement pour leur compétence relative à certains niveaux d’analyse mais aussi relative à certains contenus. Leur interprétation est fermement engagée puisqu’elle énonce que la catégorie (et non le niveau de complexité dans la hiérarchie) est un déterminant majeur des influences de haut niveau sur l’implication de structures latéralisées, et son impact sur la distribution des ressources est si fort qu’il peut renverser la dominance hémisphérique classique pour les niveaux. C’est ce qui expliquerait que, dans leurs expériences, la focalisation au niveau local de dessins d’objets hiérarchisés s’accompagne d’activations cérébrales latéralisées dans l’HD (à cause de mécanismes spécialisés dans la reconnaissance d’objets) et que la focalisation au niveau local de lettres hiérarchisées corresponde à l’activation de régions cérébrales analogues de l’HG, spécialisé pour le domaine verbal.

Rappelons que, selon eux, en suivant cette règle, le processus de régulation de haut niveau permettrait d’optimiser l’analyse de l’information locale, en mobilisant pour cela des mécanismes spécialisés pour la catégorie à traiter. Favoriser ainsi le traitement de ce niveau serait une bonne stratégie, puisque l’information locale serait, la plupart du temps, plus difficile à extraire à cause d’une moindre saillance.

Le renversement de la latéralisation des activations en fonction des catégories au niveau global ne serait, selon eux, qu’une conséquence indirecte des choix effectués par le processus de haut niveau : les mécanismes les plus disponibles pour prendre en charge le niveau global seraient ceux sous-tendus par l’hémisphère non engagé dans l’analyse au niveau local. C’est pourquoi le niveau global des dessins d’objets hiérarchisés s’accompagnerait d’activations cérébrales essentiellement latéralisées dans l’HG, des mécanismes sous-tendus par l’HD étant déjà mobilisés pour l’analyse de leurs détails. Cette dernière explication est plus indirecte. Elle nous paraît donc moins convaincante que celle proposée pour les phénomènes de dominance hémisphérique associés au niveau local, et les tentatives de réplication de cet aspect des résultats n’ont d’ailleurs pas été très concluantes (Bedson & Turnbull, 2002). C’est pourquoi, dans ce cadre, le premier objectif de l’ensemble des 8 premières expériences relatées dans cette thèse était de tenter de répliquer le phénomène observé par Fink et ses collègues, avec une technique et des situations différentes de celles de ces auteurs, en espérant surtout obtenir des indices d’une modulation exercée par les catégories sur la dominance hémisphérique pour le traitement du niveau local. Nous attendions pour ce niveau d’analyse une véritable inversion des dominances hémisphériques selon les catégories, et une modulation plus modeste pour le niveau global.

Il nous paraissait important de tenter de répliquer ces effets, et de tester plus directement l’hypothèse sous-jacente de Fink et ses collègues concernant le haut niveau dont relèverait le processus responsable de ces modulations. Peu de travaux ont tenté de telles réplications, malgré l’intérêt que nous semblent avoir ces effets. Ils permettent en effet d’envisager les traitements d’objets visuels complexes dans une perspective plus large, prenant en compte des aspects plus variés du fonctionnement cognitif, et permettant de se rapprocher de conditions plus écologiques des traitements visuels. Les lettres hiérarchisées restent un outils pertinent pour comprendre certains mécanismes visuels, permettant certainement aussi des interprétations assez directes par rapports aux activités de lecture, mais d’autres objets visuels contenant des informations organisées à différents niveaux de complexité s’offrent à nous dans l’environnement et relèvent d’autres domaines que celui des connaissances linguistiques. Il nous semblait donc important de connaître les contraintes imposées par le domaine de connaissance de ces objets complexes, pour étendre la compréhension du fonctionnement du système visuel dans différents domaines, et permettre aussi une utilisation plus raisonnée de différents types de matériels (lettres, figures géométriques, dessins d’objets hiérarchisés,…) dans d’éventuels contextes de dépistage, de diagnostic ou de rééducation.

L’intérêt de l’utilisation de techniques d’imagerie cérébrales, telles que celles mise en œuvre par Fink et ses collègues (1996, 1997b) est de fournir des indications précises sur la localisation des régions cérébrales dont les activations sont latéralisées différemment selon les conditions. Cela permet notamment aux auteurs de parler d’une modulation de la dominance hémisphérique exercée sur des mécanismes relativement précoces des traitements visuels, impliquant les aires extra-striées. La technique de recueil de données comportementales pour le traitement de stimuli unilatéraux présentés en champ visuel divisé ne permet pas de telles précisions. Il se trouve que cette technique est également peu propice à l’observation de phénomènes de dominance hémisphérique (Blanca & Alarcon, 2001 ; Boles & Karner, 1996 ; Han, & al., 2002 ; Martin, 1979 ; Yovel, Yovel, & Levy, 2001), sans doute parce que l’hémisphère controlatéral au stimulus présenté dans un seul champ tenterait spontanément de traiter les deux niveaux, y compris celui pour lequel il n’est pas très performant, afin de compenser les difficultés de l’autre hémisphère à prendre en charge ce niveau immédiatement (Van Kleeck, 1989). Il nous semble cependant que les limites de la technique de présentation rapide de stimuli unilatéraux peuvent, d’une certaine manière, devenir une force, car si les résultats sont répliqués au-delà des contraintes fixées par cette technique, la généralisation des effets observés paraîtra d’autant plus convaincante.

Outre le recueil de données comportementales, et non d’activations cérébrales, nos expériences ont tenté de répliqué les effets dans des conditions présentant plusieurs différences avec celles retenues par Fink et ses collègues (1996, 1997b). Les demandes de la tâche en terme d’attention sélective sont différentes. Hormis l’Expérience 4, les Expériences conduites utilisent toutes le paradigme d’attention divisée. Ce choix était guidé par le souhait de se donner quelques chances d’observer des effets d’asymétrie hémisphérique, plus fréquemment observés avec ce paradigme qu’avec celui qui requiert une focalisation de l’attention. Avec ce dernier, les mécanismes de contrôle de l’un et l’autre hémisphères risquent en effet de se donner une priorité pour le même niveau d’analyse (celui qui est pertinent), ce qui peut masquer les dominances hémisphériques correspondant aux mécanismes engagés de façon plus spontanée dans les épreuves d’attention divisée (Hübner, 1997 ; Yovel, Yovel, & Levy, 2001). Pour optimiser les chances d’observer des indices d’asymétrie hémisphérique dans les épreuves d’attention divisée, il faut aussi qu’il existe une certaine variabilité au niveau des distracteurs, ce qui est le cas dans nos expériences, afin que des traitements attentionnels soient impliqués. Si les informations situées à l’autre niveau que celui de la cible n’introduisent aucun conflit, soit en étant toujours les mêmes (Shedden, Marsman, Paul, & Nelson, 2003), soit en ne présentant aucune similarité avec la cible (ce qui n’est pas le cas de nos stimuli) et donc aucun conflit (Hübner, Volberg, & Studert, sous presse), le risque est qu’un traitement très superficiel suffise, sans impliquer les mécanismes d’intégration de l’identité des informations et de leur niveau respectif. Or, ce sont ces mécanismes de binding qui seraient particulièrement latéralisés (Hübner & Volberg, 2005, 2007) et il était important que le choix des distracteurs dans nos expériences leur soit favorable, étant donné notre questionnement sur le rôle des catégories, mais aussi des niveaux, dans la détermination de l’implication de mécanismes cognitifs latéralisés. Notons que d’importants effets liés au contexte des modes de traitement (global ou local) utilisés avant chaque item expérimental soient relevés dans chacune des expériences (1a, 1b, 1c, 1a, 2b, 2c et 3) est considéré, par certains auteurs, comme indiquant que le niveau des cibles a vraiment fait l’objet d’un traitement. Ces effets sont donc très rassurants quant à l’implication de mécanismes attentionnels prenant en compte les niveaux dans nos épreuves d’attention divisée (Shedden, Marsman, Paul, & Nelson, 2003).

D’autres choix distinguent nos épreuves de celle de Fink et ses collègues (1997b) et concernent cette fois le matériel. Nous nous sommes tout d’abord efforcé de construire un matériel dont les degrés de difficulté de traitement aux niveaux local et global sont les plus équilibrés possibles, ce qui n’était pas le cas dans les stimuli de l’autre équipe. D’autre part, les dessins de nos objets ne représentent pas les mêmes choses et, surtout, nous n’avons pas mêlé les dessins d’objets à des figures géométriques : pour ces dernières, certains auteurs ont par exemple observé seulement une absence de dominance hémisphérique (Blanca & Alarcon, 2002 ; Polich & Aguilar, 1990) et nous espérions que le choix de dessins de véritables objets donne plus de chances d’impliquer clairement des mécanismes spécialisés de l’HD.

A partir de cet ensemble de choix méthodologiques, les résultats de nos expériences témoignent d’une certaine modulation exercée par les catégories sur les dominances hémisphériques pour les traitements global et local de stimuli hiérarchisés (Kéïta & Bedoin, 2003). Sans revenir sur le détail de ces données, rappelons simplement qu’une interaction significative Champ X Niveau X Catégorie témoigne de cette modulation, sur les temps de réponse sans les Expériences 1a et 1b, sur les taux d’erreurs dans les Expériences 2a et 2b. Les indices d’une inversion de la dominance hémisphérique gauche pour le traitement local en cas de dessins hiérarchisés sont présents dans les Expériences 1a et 1b. Les effets sont encore plus nets dans les épreuves qui évitent que le traitement des items expérimentaux ne soit complexifié par la nécessité de sélectionner une nouvelle réponse et de programmer une réponse motrice différente des précédentes (Expériences 2a et 2b). Nous attendions des effets moins nets au niveau global, et c’est effectivement le cas, bien qu’une atténuation de l’avantage de l’HD pour le traitement global des dessins indique tout de même une incidence du contenu des stimuli également à ce niveau. Ces indices de modulation de la dominance hémisphérique par les catégories sont aussi répliqués dans l’Expérience 3 avec, là aussi, une interaction significative des facteurs niveau, champ et catégorie, dans une situation globalement plus facile puisque la moitié des stimuli expérimentaux ne nécessite pas de changement de niveau : cela montre que les effets de modulation en question ne sont pas seulement restreints à des conditions expérimentales très particulières. Dans le cas d’une tâche d’attention focalisée à des niveaux distincts selon le bloc (Expérience 4), nous avons encore répliqué cette interaction, ce qui étend la portée de ces effets. Cet ensemble de résultats contribue à accréditer la thèse selon laquelle le traitement des informations situées aux différents niveaux de complexité d’un stimulus visuel n’est pas seulement déterminé par l’implication de mécanismes latéralisés selon leur compétence pour le traitement de certains niveaux, mais aussi pour leur compétence à identifier les objets de certaines catégories.

Afin de pousser le raisonnement un peu plus loin, il nous importait de tester si cette modulation de la dominance hémisphérique pour le traitement des niveaux par les catégories était exercée par un processus de haut niveau, qui dirige en amont l’implication de ces mécanismes latéralisés. Notre hypothèse était que, dans un tel cas, ce processus devait se baser sur la certitude des participants quant à la catégorie à traiter dans les prochains stimuli, et ne pas être tributaire de la perception de cette nature pour chaque stimulus. Dans ce cas, un mélange de lettres et de dessins d’objets hiérarchisés ne devait pas permettre la réalisation d’un tel processus, à cause de l’incertitude introduite à propos des catégories. C’est ce que nous avons vérifié avec l’Expérience 1c, qui mêle lettres et dessins d’objets hiérarchisés. Dans cette expérience, la dominance hémisphérique n’est déterminée que par les mécanismes latéralisés selon leur compétence pour les niveaux, et non pour les catégories. L’Expérience 2c le confirme, et ceci de manière plus ferme encore, avec non seulement une disparition de l’interaction Catégorie X Niveau X Champs (comme dans l’Expérience 1c), mais aussi une interaction significative Niveau X Champ, montrant que les niveaux sont bien ici le seul critère à influer sur la dominance hémisphérique.

De plus, cette expérience a permis de montrer que la disparition de la modulation exercée par les catégories sur le traitement des niveaux venait bien de l’impossibilité de connaître la catégorie du stimulus à l’avance, en écartant les deux interprétations alternatives qui étaient en revanche possibles pour les résultats de l’Expérience 1c. En effet, dans l’Expériences 2c, le traitement des stimuli expérimentaux n’implique plus de changement de catégorie, ni de changement de réponse, ce qui rend l’épreuve globalement moins difficile et supprime surtout l’avantage général de l’HG (qui était vraisemblablement dû, dans l’Expérience 1c, à la difficulté du traitement, ainsi qu’à des mécanismes spécialisés dans la sélection de réponse et la re-programmation motrice). Dans l’Expérience 2c, l’avantage pour le niveau local observé dans l’Expérience 1c disparaît aussi. C’est pourquoi, dans l’Expérience 2c, il n’est plus possible de dire que la disparition de la modulation du profil de dominance hémisphérique par les catégories soit dû à un masquage par l’avantage général de l’HG, ni par une facilité particulière du traitement local, qui aurait rendu inutile le processus de haut niveau visant à compenser la vulnérabilité de l’analyse de l’information à ce niveau de détails.

Ainsi, l’ensemble de ces résultats montre que, chez les jeunes adultes, la catégorie influe sur l’asymétrie hémisphérique associée à la discrimination de cibles à chaque niveau d’un stimulus hiérarchisé. Au-delà du simple effet lié à la différence de familiarité entre les deux catégories manipulées, le fait que les lettres, en tant que stimuli alphabétiques, soient plus directement liées au langage que les dessins d’objets ne semble donc pas anodin concernant les effets de dominance hémisphérique observés dans ces expériences. En résumé, le traitement des niveaux ne serait donc pas seulement déterminé par des mécanismes de bas niveau, latéralisés pour leur compétence à traiter des fréquences d’une certaine hauteur, ni même seulement par des mécanismes latéralisés selon leur compétence pour un certain niveau d’analyse, mais aussi par des mécanismes latéralisés pour leur aptitude à prendre en charge la reconnaissance d’objets d’une certaine catégorie, ceci sous l’influence d’un processus attentionnel de haut niveau, dont nous commençons à mieux comprendre les mécanismes.

L’autre point important dans nos hypothèses concernait les effets de changement de niveau (switch) d’un item à l’autre, ces derniers occupant une place privilégiée dans les travaux actuels à propos des modulations que peut exercer l’attention sur le traitement des niveaux global et local.

Nous avons non seulement répliqué l’effet négatif classique d’un tel changement de niveau dans l’Expérience 3, ce qui concorde avec d’autres données de la littérature montrant sa robustesse (Hübner, 2000 ; Kim, Ivry, & Robertson, 1999 ; Lamb, Pond, & Zahir, 2000 ; Lamn & Yund, 1996 ; Robertson, 1996 ; Ward, 1982), mais nous avons aussi montré qu’il s’agit d’un effet graduel, dont l’impact peut être modulé par la force de l’engagement préalable dans un autre mode de traitement. Il apparaît en effet, dans toutes nos expériences d’attention divisée, une influence significative du nombre de répétitions de traitement à un même niveau avant un switch entre niveaux, d’un item à l’autre. Comme dans l’expérience de Wilkinson et ses collègues (2001), la différence entre 2 et 4 répétitions avant un changement de niveau suffit à produire cet effet. De plus, cette influence existe aussi bien lorsque le changement de niveau s’accompagne d’un changement de réponse que lorsqu’il est le seul aspect pour lequel une alternance s’impose. Il était important de le vérifier étant données les interactions observées, dans un autre contexte expérimental, entre le changement de réponse et le changement de tâche (Hübner & Druey, 2006).

Il semble donc bien que les ajustements attentionnels souffrent d’une certaine inertie, puisqu’ils restent conformés selon le mode de traitement préalable. Il est possible qu’une plus grande quantité de ressources reste attachée aux mécanismes impliqués dans le mode de traitement qui vient d’être réalisé. Rappelons que, d’après les interprétations actuelles, l’effet du changement de niveau s’explique sans doute en partie par un poids plus fort accordé à l’implication de canaux de traitement spécialisés dans le traitement de certaines fréquences spatiales (Han, He, & Woods, 2000 ; Robertson, 1996). Ce mécanisme n’explique cependant pas tout, puisque l’effet de changement de niveau se produit même quand le traitement de chaque niveau doit se réaliser à partir des mêmes fréquences spatiales (Lamb & Yund, 1996, 2000). Aussi, selon Hübner (2000), ces effets attestent également l’implication de traitements de plus haut niveau, et témoigneraient d’une forme d’amorçage relativement « abstrait », dans lequel les niveaux seraient représentés comme des catégories, un peu comme cela est décrit dans les recherches sur les changements entre tâches (Hübner, Futterer, & Steinhause, 2001 ; Lamb, Pond, & Zahir, 2000 ; Rogers & Monsell, 1995). Les relations spatiales hiérarchiques entre les multiples informations présentes dans les stimuli hiérarchisés constituent un aspect de la structure de l’objet qui pourrait être conceptualisé. Cet aspect laisserait une trace qui se maintiendrait d’un stimulus à l’autre, ce qui se traduirait par une orientation particulière de l’attention vers les mécanismes impliqués dans le niveau d’analyse en question (Large & McMullen, 2006).

Pour leur part, nos expériences ne permettent pas vraiment de discuter la nature de ce qui est maintenu d’un item à l’autre, et nous avons plutôt tenté de mieux comprendre le processus de changement de niveau quant à son organisation, en faisant l’hypothèse qu’il est composé d’opérations pouvant être étudiées séparément. Cette perspective est assez nouvelle pour l’étude du processus de changement de niveau mais elle est par contre déjà utilisée dans les recherches sur les changements de tâches (Rushworth, Passingham, & Nobre, 2005), notamment avec une distinction entre le passage lui-même et un mécanisme chargé de résoudre l’interférence entre les tâches en inhibant l’attention portée à ce qui est devenu non pertinent (Rubenstein, Meyer, & Evans, 2001 ; Sylvester et al., 2003). Dans son ensemble, le processus de changement de niveau a plus fréquemment été associé à l’implication de régions de l’HG : des lésions du lobule pariétal inférieur gauche empêcheraient les phénomènes normaux de changement de niveaux, apparemment à cause d’un déficit du maintien de la trace du traitement préalable (Rafal & Robertson, 1995) et des activations cérébrales gauches dans le cortex pariétal médian et l’aire motrice supplémentaire sont associées à l’augmentation du nombre de changements de niveau dans une tâche (Fink et al., 1997a). Notre hypothèse était que, au-delà de l’implication de ces structures associées à l’ensemble du processus de changement de niveau, des régions cérébrales latéralisées dans l’HD pourraient plus particulièrement sous-tendre l’opération qui précède le passage entre les niveaux et que nous avons qualifiée de désélection. Basé sur un mécanisme d’inhibition, ce mécanisme pourrait être étudié assez directement à travers sa sensibilité à l’augmentation de la difficulté du désengagement nécessaire par rapport au mode de traitement préalable, difficulté que nous faisons varier avec le facteur nombre de répétitions avant un changement de niveau. Wilkinson et ses collègues (2001) avaient déjà montré, en imagerie cérébrale, que le changement de niveau opéré dans des conditions rendant la désélection particulièrement difficile s’accompagne de l’activation non plus seulement gauche, mais bilatérale, du cortex pariétal inférieur. Nous avons observé dans plusieurs expériences relatées dans notre thèse, des indices quant à une meilleure efficacité de structures cérébrales de l’HD dans cette opération de désélection. En effet, l’augmentation du nombre de répétitions avant un changement de niveau affecte davantage les performances pour des stimuli présentés en CVD qu’en CVG et dans la condition pour laquelle la désélection est censée être la plus difficile (après 4 répétitions de traitement à un autre niveau), un avantage de l’HD se dessine (Expérience 1a), parfois significativement (Expériences 2a, 2b, et 3), alors que le changement de niveau lui-même, pris dans son ensemble, fait plutôt l’objet d’une dominance de l’HG (Expérience 3). La dominance hémisphérique droite pour ce mécanisme spécifique de désélection mériterait d’être vérifiée avec d’autres expériences et aussi d’autres méthodes (notamment, en imagerie cérébrale). Si elle devait se confirmer, elle conduirait à encourager une approche componentielle du processus de changement de niveau, ce qui est peut-être intéressant étant donné que celui-ci reste encore largement assez mal compris.