1.4. Rôle de la proximité et de la connectivité des éléments

Le rôle des propriétés de proximité et de connectivité chez l’enfant est généralement étudié en évaluant s’il lui est possible de percevoir un objet comme une unité même si ses contours sont fragmentés (absence de connectivité) et si les fragments sont spatialement éloignés (faible proximité). Dans l’ensemble, la perception des contours de tels stimuli est difficile, et les capacités à réaliser ce traitement se développent jusqu’à l’adolescence.

Les recherches sur le comptage d’objets chez l’enfant, montrent que l’augmentation de la proximité entre certains objets à dénombrer, entraîne l’augmentation des erreurs chez les enfants de moins de 5 ans (Fuson, 1988, cité par Towse & Hitch, 1996). Cet effet montre que ces jeunes sujets sont sensibles à la proximité pour grouper les éléments, et l’impact de ce principe gestaltiste a été répliqué chez des enfants de 7 et 8 ans par Towse et Hitch (1996). Les travaux de Hadad et Kimchi cités plus haut (Expérience 2) montrent l’effet bénéfique de la proximité sur la recherche de stimuli visuels surtout vers 5 ans. Burack, Enns, Iarocci et Randolph (2000) ont comparé l’effet de proximité sur le groupement chez des enfants de 6, 8, 10 ans et de jeunes adultes. Les stimuli de l’expérience étaient un ensemble de points (noirs et blancs) alignés et présentés de manière soit oblique (cibles) soit verticale (distracteurs). La distance entre ces points était soit de 0.30° (short-range) soit 0.75° (long-range). La tâche des participants consistait à chercher la cible parmi un ensemble de distracteurs (1, 7 ou 17) dans des situations short-range ou long-range. Les résultats montrent que dans la situation de grande proximité entre les points (short-range), tous les participants obtiennent de meilleures performances, et ceci indépendamment du nombre de distracteurs ce qui témoigne d’un traitement automatique. En revanche, dans la condition long-range, les enfants de 6 ans sont sérieusement plus ralentis que ceux de 8, 10 ans et les jeunes adultes. À 8, 10 ans, les enfants obtiennent des performances identiques à celles des adultes. La différence de performance entre enfants de 6 ans les autres groupes a conduit les auteurs à formuler l’hypothèse de rythmes différents pour ces deux types de groupements. Le groupement short-range implique un traitement qui s’effectuerait de manière pré-attentionnelle alors que le groupement long-range implique un traitement plus complexe faisant intervenir l’attention et ceci plus particulièrement chez les jeunes enfants. La capacité à réaliser certains groupements automatiques recquiert donc une certaine maturité (Burack Enns, Iarocci & Randolph., 2000).

Dans une recherche récente, Gerhardstein, Kovacs, Ditre et Feher (2004) ont utilisé des stimuli de Gabor (Gabor-based stimuli) déconnectés pour étudier la détection des contours malgré la fragmentation chez des enfants de 3 mois. La figure présentée est fermée ou ouverte. L’expérience comporte une phase d’entraînement et une phase test d’une durée de 15 minutes chacune. Les stimuli présentés en phase test sont soit les mêmes que ceux de la phase d’entraînement (condition de base), soit différents au niveau des contours et de la densité. Les mesures ont porté sur le nombre de coups de pieds donnés par l’enfant par minute. Les résultats ne montrent pas de capacité des enfants à détecter la continuité des contours et la fermeture à cet âge. La prise en compte de la propriété de fermeture à 3 mois si les contours de l’objet sont représentés par des points déconnectés. Les auteurs attribuent cette incapacité à une immaturité des aires visuelles de bas niveau (V1) et de haut niveau (partie latérale du cortex occipital), s structures impliquées dans le codage des contours (Gerhardstein, Kovacs, Ditre, & Feher, 2004). Cette aptitude connaît un développement considérable entre 5 et 14 ans. L’utilisation d’une tâche d’intégration de contours avec les stimuli de Gabor a permis à Kovacs (2000) de montrer des différences de performances dans l’intégration de contours entre ces deux âges, selon la complexité de la scène visuelle. Les sujets de 13 et 14 ans parviennent à détecter les contours même dans les situations difficiles. En revanche, les enfants de 5 et 6 ans échouent. Une diminution de la difficulté de la tâche, avec possibilité de détecter le contour en s’appuyant sur la grande densité des stimuli de Gabor, s’accompagne cependant d’une amélioration des performances des enfants de 5 – 6-ans. En somme, ces résultats montrent que les enfants éprouvent ici des difficultés à déterminer les contours lorsque la densité des éléments qui le constituent est faible : les enfants sont perturbés par la distance qui sépare les éléments. L’intégration des éléments en un contour semble s’effectuer très lentement chez ces enfants. Des travaux en neuroanatomie relient l’amélioration progressive des performances des enfants dans cette tâche au développement des couches 2 et 3 au niveau du cortex visuel primaire et des connexions entre les aires V1 et V2 qui arrivent à maturité à l’adolescence (Kaldy, & Kovacs 2003 ; Quinn, & al., 2004). Mais quel est l’impact de ce processus d’intégration lorsque l’unité est constituée de deux configurations?

Dans la synthèse proposée dans le chapitre « traitement d’un tout et de ses parties », nous avons vu que la rapidité de prise en compte des relations spatiales entre des composantes permet de repèrer la présence d’une forme complète qui attirerait l’attention. Pour ce qui est du développement, nous venons d’exposer le débat encore ouvert à propos des difficultés de l’enfant de moins de 6 mois à s’appuyer sur ces caractéristiques des scènes pour percevoir des objets complets et cohérents, en particulier lorsque l’environnement est statique. En effet, l’utilisation des lois gestaltistes de bonne continuité, de similarité, de proximité et même de fermeture ne sont vraiment opérationnelles qu’après 6 mois (Kellman, 1996 ; Spelke, 1985, Spelke, & al., 1993).

Un autre aspect du traitement de la totalité est appelé traitement global. Il s’oppose directement au traitement local d’un objet analysable en niveaux de complexités hiérarchisés, mais comme la forme de l’objet au niveau global existe généralement grâce aux inter-relations, il est difficile d’en parler indépendamment de l’impact de propriétés configurales. C’était le sens de cette première partie du chapitre 2, qui se voulait cependant peu exhaustive.

Certains concepts et expressions sont utilisés aussi bien pour les recherches sur le traitement configural et sur le traitement global / local des objets : c’est le cas par exemple des concepts de segmentation et d’intégration (Tada & Stiles, 1996) évoqués pour caractériser ces deux modes de traitement chez l’enfant. Tout comme chez l’adulte, les travaux effectués chez l’enfant s’intéressent aussi à l’étude de l’effet de l’avantage du niveau global sur le niveau local.