2.1.1. Traitements global/local chez les bébés et fréquences spatiales

A partir de l’analyse des mouvements oculaires de nourrissons, les recherches de Fantz (1961, cité par Porporino, Shore, Iarocci, & Burack, 2004) révélaient déjà que ceux-ci fixent d’abord le contour d’un dessin, l’intérêt pour les détails intérieurs ne se produisant qu’ensuite. Les deux méthodes classiques permettant d’étudier l’attention perceptive du bébé (la méthode de Fantz et celle fondée sur l’habituation) ont, par la suite, apporté des arguments supplémentaires concernant la sensibilité des tout-petits à la forme globale d’objets contenant des informations également au niveau des détails.

Rappelons rapidement que la méthode fondée sur l’habituation se décline en deux phases : pendant la familiarisation, une configuration perceptive est présentée plusieurs fois au bébé et ses réponses (rythme de succion, durée de fixation du regard, rythme cardiaque ou respiratoire…) à ces stimulations décroissent généralement avec les répétitions, ce qui témoigne d’une habituation (et donc d’un apprentissage) et peut-être aussi d’une lassitude liée à un changement d’état de vigilance. Dans la deuxième phase, le bébé est soumis à une présentation supplémentaire de la configuration dont on a fait varier un aspect ou qui reste la même. L’augmentation des réponses du bébé à la survenue du stimulus modifié est une réaction à la nouveauté. Si cette réaction est plus forte pour la configuration modifiée, elle témoigne de deux capacités : l’enfant a perçu la similarité lors de la phase d’habituation (et n’a pas simplement subi une baisse de vigilance progressive) et il a perçu la différence concernant l’aspect modifié entre les stimuli de l’une et l’autre phases. La méthode de Fantz consiste plus simplement à observer si le bébé manifeste un choix préférentiel systématique entre deux configurations présentées simultanément. Pour cela, l’orientation du regard, celle de la tête, les mouvements des membres ou la torsion de la bouche sont par exemple mesurés.

Chez des enfants de 3 à 4 mois, un ensemble de travaux montre qu’une courte durée de familiarisation permet de discriminer un nouveau stimulus qui diffère des précédents au niveau global, alors qu’une familiarisation plus longue s’impose pour permettre une discrimination basée sur une différence au niveau local (Colombo, Mitchell, Coldren, & Freeseman, 1991 ; Freeseman, Colombo, & Coldren, 1993 ; Frick, Colombo, & Allen, 2000). Il est par ailleurs aussi question d’une préférence des nourrissons pour le traitement de la forme globale d’une image plutôt que pour ses détails. Courage et Adams (1990) ont mis en lien cette préférence avec celle que les bébés manifestent pour les stimuli visuels présentant de basses fréquences spatiales (alternance plus ou moins rapprochée de bandes blanches et noires). Avec la technique de la préférence visuelle, ils ont montré que des bébés de 1 mois préfèrent les stimuli dotés de basses fréquences spatiales. Même si cela a été discuté ou relativisé chez l’adulte, le contenu d’information en basses fréquences spatiales semble crucial pour le traitement global chez les tout-petits : Cassia, Simion, Milani et Umiltà (2002) ont notamment montré un effet de supériorité du niveau global chez des nouveaux-nés, à condition que le stimulus contienne beaucoup de fréquences spatiales basses.

La rapidité avec laquelle la sensibilité au contraste pour les hautes fréquences spatiales va se développer pendant l’enfance permet tout de même d’envisager que le développement précoce des capacités visuo-spatiales du jeune enfant sera surtout marqué par des progrès dans le traitement des détails. En effet, Adams et Courage (2002) ont mis au point un test qui évalue la sensibilité au contraste : il fournit des indications sur le développement de l’acuité visuelle et sur le contraste minimal pour que des objets de différentes tailles soient détectés, ce qui est lié aux fréquences spatiales. Ces auteurs confirment tout d’abord que la sensibilité au contraste est nettement plus faible pour de hautes fréquences spatiales que pour de basses fréquences spatiales à 1 mois. Surtout, ils décrivent une amélioration très nette de cette sensibilité au contraste pour les fréquences spatiales élevées entre 1 et 4 ans, alors que, pour les fréquences spatiales basses, les progrès sont faibles pendant cette période et plus nets seulement entre 7 et 9 ans. D’après ce test, la sensibilité au contraste ne diffère plus entre les fréquences spatiales hautes et basses à 9 ans, âge où elle atteint le même seuil que celui des adultes. En d’autres termes, la sensibilité au contraste pour les fréquences spatiales élevées, importante pour traiter les détails, est faible chez le jeune enfant, ce qui est cohérent avec ses difficultés et sa moindre préférence pour les détails. Toutefois, cette sensibilité au contraste pour de hautes fréquences spatiales s’améliore si vite qu’elle devient proche de celle de l’adulte dès 4 ans, alors qu’à cette période, la sensibilité au contraste en cas de basses fréquences spatiales, importantes pour traiter l’aspect global, n’a pas entamé sa principale phase de développement pour atteindre la maturité. Dans l’ensemble, à cause de ces contraintes visuelles de bas niveau, le traitement des détails devrait donc être difficile chez le tout-petit, mais la maturation particulièrement rapide de la sensibilité au contraste en présence de hautes fréquences spatiales permet aussi de s’attendre à des performances soudainement plus favorables aux détails pendant une période de l’enfance.