2.2.1. Capacité à porter l’attention sur l’un ou l’autre niveau

Les capacités du jeune enfant à porter son attention sur l’un ou l’autre niveau ont fait l’objet de plusieurs études dans la deuxième partie des années « 70 ». Une aptitude précoce à intégrer l’information venant de plusieurs détails ou dimensions et à les percevoir comme combinés a ainsi été décrite, notamment lorsque l’enfant de moins de 6 ans doit catégoriser des objets (Smith, 1979 ; Smith & Kemler, 1977). Il fait par ailleurs aussi preuve d’une compétence à segmenter un stimulus, en particulier lorsque la tâche le conduit à se baser sur des différences de détails dans des tâches de discrimination (Murray & Lee, 1977). Le type de tâche semble donc déterminant pour que l’enfant mobilise plutôt l’une ou l’autre compétence.

Selon l’hypothèse de la séparabilité croissante (separability hypothesis) soutenue par Shepp (1978), les enfants de moins de 8 ans auraient une tendance générale à percevoir de manière intégrée des dimensions au contraire perçues comme séparées dans un objet chez l’adulte, ce qui les amènerait à classer les objets en catégories sur la base de leur similitude générale (malgré une similitude imparfaite pour chaque attribut), plutôt qu’en s’appuyant sur la ressemblance parfaite des objets sur une dimension comme le font les adultes. Pour reprendre un exemple utilisé par Smith (1979), devant un petit carré blanc, un grand carré gris et un petit carré noir, l’enfant classera ensemble le petit carré blanc et le grand carré gris : bien qu’ils ne partagent parfaitement aucune dimension, il les considère comme globalement plus similaires et c’est cela qui compte pour ses catégorisations. L’adulte rapprochera plutôt les deux carrés de petite taille, l’un blanc l’autre noir, car l’identité sur une dimension est pour lui ce qui prime. De telles observations ont conduit à considérer qu’entre l’enfance et l’âge adulte, une tendance à traiter les dimensions de manière indépendante sera amenée à se développer.

Il n’en demeure pas moins que la nature des dimensions manipulées, ainsi que leur saillance, déterminent fortement le mode de traitement plus ou moins distinctif ou intégratif opéré sur les traits, ceci dès 4 ans (Odom & Cook, 1984 ; Ward & Vela, 1986). Si l’information visuelle est à disposition suffisamment longtemps, Whiteside, Elkind et Golbeck (1976) ont aussi montré que l’attention d’enfants de moins de 6 ans peut se porter sur l’aspect global comme sur l’aspect local. Enfin, des chercheurs comme Smith (1979), qui testaient les critères de classification des enfants en leur demandant de compléter des groupes d’objets, ont insisté pour ne pas considérer le mode de regroupement opéré par les enfants comme moins organisé que celui des adultes, comme les travaux de Piaget l’exprimaient en qualifiant leurs classifications d’ « illogiques » et de non structurées. La catégorisation d’objets réalisée par les enfants n’est ni plus pauvre, ni plus soumise au hasard que celle des adultes, elle est seulement qualitativement différente et les rapprochements qu’ils opèrent entre les objets montrent qu’ils portent leur attention sur des relations entre différents attributs. Si leur mode de classification peut être qualifié de global ou d’holistique, ce n’est pas dans le sens de l’indifférentiation, puisqu’ils sont guidés par une évaluation de différentes ressemblances partielles sur des dimensions conçues comme distinctes (Kemler, 1983).