2.2.2. Capacité à articuler les informations issues des deux niveaux

Le débat s’est ensuite déplacé sur la possibilité pour l’enfant d’articuler les deux niveaux d’information.

Les expériences de Prather et Bacon (1986) ont apporté des résultats attestant de compétences plus élevées que celles jusqu’alors relatées à ce propos chez de très jeunes enfants, en proposant des situations expérimentales mieux adaptées au jeune public. Alors qu’il était admis que les enfants de l’école maternelle ne parvenaient pas à décrire à la fois l’aspect global et les parties d’un stimulus, ces auteurs ont montré qu’ils en sont parfois capables dès 3 ans, pour peu que les images soient assez simples. Il leur est donc possible de percevoir des aspects de niveaux différents dans un stimulus visuel complexe, si les demandes de l’épreuve ne sont pas trop élevées en termes de vocabulaire et de capacités métacognitives. La simplicité des stimuli utilisés par Prather et Bacon variait au niveau local selon que les éléments utilisés relevaient d’une même catégorie de base, d’une catégorie plus large ou de plusieurs catégories ; elle variait aussi au niveau global selon que tous les attributs nécessaires à la définition de l’objet étaient présents ou non. Par exemple, un stimulus simple aux deux niveaux était un triangle constitué de plusieurs carottes ; un stimulus complexe aux deux niveaux pouvait être un bonhomme représenté à l’aide de plusieurs exemplaires de la grande catégorie des fruits (une pomme pour la tête, une poire pour le corps, deux bananes pour les jambes, des grappes de groseilles pour les bras), sans que des éléments importants comme les traits du visage soient représentés. Avec ces stimuli, l’un et l’autre niveaux sont représentés par des objets familiers, identifiables. Avec les stimuli les plus simples aux deux niveaux, les enfants de 3 ans fournissent déjà des descriptions manifestant une compétence à percevoir à la fois un tout et ce à partir de quoi il est constitué, attestant de capacités de segmentation et d’intégration articulées. Ils le font d’autant plus qu’on les incite à le faire, mais décrivent déjà spontanément de cette manière 40% de ces stimuli hiérarchisés simples à 3 ans, et la proportion augmente à 4 et 5 ans. Les performances relevées ici témoignent d’une capacité à percevoir à la fois le tout et ses parties dans une même tâche. Comprenant ainsi la relation entre le tout et ses parties, l’enfant de 3 ans peut déjà combiner les deux niveaux d’analyse et donner un sens complet et cohérent aux objets complexes.

Les travaux de Tada et Stiles-Davis, (1989) aboutissent au même type de conclusion, mais à partir d’épreuves de copie de dessins très simple en présence du modèle : une figure composée de plusieurs segments, constituant une forme ouverte ou fermée. La différence de nature des erreurs des enfants selon cette dernière caractéristique (les traits dessinés par les enfants sont tordus dans les figures fermées, alors que des traits surnuméraires caractérisent la reproduction des figures ouvertes) témoigne d’une capacité à porter l’attention non seulement sur les petits segments qu’ils reproduisent, mais aussi à la qualité de la forme générale (ouverte ou fermée) qui détermine la façon dont ils s’y prennent pour dessiner. Les deux niveaux d’analyse sont donc combinés et il apparaît que ces enfants peuvent donc s’intéresser à la relation entre le tout et ses parties, et ceci à 3 ans comme à 5 ans. D’autres recherches ont ensuite confirmé cette capacité précoce de l’enfant à réaliser une analyse spatiale visuelle, c’est-à-dire à prêter attention aux parties constituant un ensemble, ainsi qu’à la totalité formée, et à la relation entre les deux. Ces conclusions sont encore parfois tirées d’expériences demandant aux enfants de reproduire ou de reconstruire une forme à partir d’un modèle (Tada & Stiles, 1996). Ces tâches de construction décrivent des stratégies de reproductions différentes au fil du développement, avec toujours une extraction des traits, surtout de petits segments au début, mais une combinaison de ceux-ci selon des règles de plus en plus sophistiquées, permettant progressivement de dessiner et combiner des éléments de plus en plus grands et de moins en moins nombreux.

En utilisant cette fois, en complément, une tâche de choix forcé pour laquelle les demandes sont moindres au niveau moteur, Feeney et Stiles (1996) se concentrent davantage sur les analyses perceptives des enfants de 3 ans et demi à 5 ans. Devant un dessin représentant une forme géométrique ouverte (e.g., une croix, une sorte d’étoile à plusieurs branches…), l’enfant doit choisir entre trois ensembles de petits éléments celui qui ressemble le plus à la cible. L’un des ensembles proposés contient chacun des segments séparés (e.g., quatre petits traits, pour la croix), un autre contient le plus faible nombre de détails combinables pour permettre de reconstruire le modèle (e.g., deux grands segments) et le troisième ensemble est un intermédiaire (e.g., un grand segment et deux petits). Dans une deuxième expérience, les modèles proposés sont plus complexes et constituent parfois des figures fermées. Dans ces deux expériences, l’analyse des données montre que le développement de l’analyse des formes décrit précédemment à partir d’épreuves de construction est confirmé à partir d’une tâche plus purement perceptive. Par exemple, pour une croix, une première étape consiste à considérer qu’il s’agit de 4 petits traits indépendants qui se joignent en un point central, et la relation entre les parties à travers une intersection n’est perçue que plus tard, avec souvent une étape intermédiaire où l’enfant segmente l’objet en un grand trait (par exemple vertical) auquel il peut joindre ensuite deux petits segments latéraux. Au-delà de l’évolution de ces stratégies, les performances des enfants attestent, dès 3 ans et demi, leurs capacités à porter attention aux parties comme au tout, ainsi qu’à la relation entre les deux. La conformité des résultats entre les tâches impliquant construction et planification motrice et celles qui restent plus purement perceptives encourage à utiliser ces différents types de situations expérimentales pour comprendre le développement des capacités d’analyse visuelles des enfants.