2.2.4.1. Etudes sur le développement du filtrage attentionnel

Le filtrage constitue l’un des aspects de l’attention sélective (pour une revue, voir Siéroff, 1990, 1992). Il est souvent étudié en lien avec la notion de fenêtre attentionnelle. On parle de filtrage lorsqu’un sous-ensemble d’objets ou d’attributs perceptifs présents est sélectionné pour être traité plus profondément. Il s’accompagne d’une inhibition de l’information non pertinente (Broadbent, 1958 ; Eriksen & Ericksen, 1974). La théorie de la sélection tardive de Treisman et Gelade (1980) propose cependant que le filtre n’est pas ‘absolu’ et joue surtout un rôle de modérateur, n’excluant pas tout traitement de l’information non sélectionnée. Selon LaBerge (1995), les signaux nerveux correspondant à l’objet sur lequel l’attention est focalisée bénéficieraient d’un rehaussement les faisant émerger du bruit ambiant : ce rehaussement correspondrait à la ‘fenêtre attentionnelle’ et s’exprimerait sur des régions spatiales ou sur des objets. Le couplage entre le rehaussement attentionnel exercé sur l’information attendue et l’inhibition sur les éléments susceptibles d’entrer en compétition avec la cible augmente l’efficacité du traitement du signal.

Beaucoup de données font état des difficultés des jeunes enfants à sélectionner correctement l’information, mais cette compétence se développe pendant l’enfance. Le développement de différents aspects du filtrage a été envisagé.

Enns et Girgus (1985) expliquent les faibles performances de filtrage chez les enfants par une difficulté à modifier la taille de la fenêtre attentionnelle. Ils ont testé cette idée avec une expérience où des enfants (5 à 19 ans) doivent décider si deux parenthèses ou deux flèches sont les mêmes. La distance les séparant varie de 0.5° à 16° : l’augmentation de cette distance gêne surtout les enfants les plus jeunes, ce qui témoignerait d’une difficulté à ajuster la taille de la fenêtre, étant donné que ces enfants n’ont par ailleurs aucun problème d’acuité visuelle. Une autre expérience souligne la progression des enfants entre 4 et 9 ans, puis jusqu’à l’âge adulte, dans la maîtrise de l’ajustement d’une fenêtre attentionnelle. Pasto et Burack (1997) ont en effet proposé à des enfants de 4, 5, 7 et 9 ans, ainsi qu’à de jeunes adultes, une tâche de discrimination de cible (cercle ‘O’ ou signe plus ‘+’), laquelle est présentée parmi 4 types de distracteurs (#, @, *, ∆). Dans certains essais, la cible est présentée à l’intérieur d’un cadre. Les distracteurs sont soit absents, soit proches (0.95° d’angle visuel), soit éloignés (5.7°) de la cible, à sa gauche et à sa droite. Les résultats montrent que les enfants de 4 ans sont perturbés par la présence des distracteurs quelle que soit leur proximité, alors que ceux de 5, 7 et 9 ans le sont uniquement lorsqu’ils sont proches : les enfants de 5, 7 et 9 ans peuvent donc inhiber des distracteurs situés à 5.7°, mais pas à 0.95° de la cible et les adultes parviennent à les inhiber quelle que soit la distance. Une difficulté d’ajustement de la fenêtre attentionnelle chez les enfants de 4 ans dans cette expérience est confirmée par l’amélioration de leurs performances lorsque la cible apparaît dans la fenêtre. Ces résultats témoignent d’un développement du processus d’ajustement de la fenêtre attentionnelle et montrent pour cela un changement considérable entre 4 et 5 ans, ainsi qu’une amélioration plus tardive entre 9 ans et l’âge adulte pour le filtrage des distracteurs les plus proches.

Les résultats d’autres expériences permettent de préciser que les jeunes enfants ont surtout des difficultés à focaliser l’attention volontairement, de manière endogène (Enns & Trick, in press), alors qu’elle est correctement ajustée (aussi bien à 5 ans qu’à l’âge adulte) lorsqu’un indice préalable l’attire automatiquement (Akhtar & Enns, 1989).

D’autres soutiennent enfin que les difficultés d’attention sélective des jeunes enfants sont surtout attribuables à l’immaturité de leurs capacités d’inhibition (Williams, Ponesse, Schachar, Logan, & Tannock, 1999). L’enfance est connue comme une période de développement des capacités de contrôle attentionnel en termes de fonctions exécutives de haut niveau, permettant d’inhiber des stratégies (Brodeur, 2004), des comportements ou des réponses, comme le montre l’amélioration dans les tâches de ‘go no-go’ entre 9 et 12 ans (Booth & al., 2003), associée à l’apparition d’activations cérébrales non plus seulement dans les régions frontales et pariétale, mais aussi, comme chez l’adulte, dans une boucle fronto-sous-corticale (Durston, Thomas, Yang, Ulug, Zimmerman, & Casey, 2002). Mais c’est aussi une période d’amélioration progressive de l’inhibition des informations perceptives non pertinentes, même s’il s’agit là d’opérations d’inhibition relevant de systèmes en partie différents (Camus, 2003). Tipper, Bourque, Anderson et Brehaut (1989) ont montré que des enfants de 8 ans sont encore plus sensibles à l’effet Stroop que les adultes, et leur traitement de la couleur du mot n’est pas influencé par le fait que la couleur dans laquelle il est écrit soit celle du nom de l’item précédent (qui doit avoir été inhibé). Dans cette situation, les adultes tirent un bénéfice de cette préalable inhibition, mais ce n’est pas le cas des enfants de 8 ans qui auraient donc effectué une inhibition insuffisante. Enns et Cameron (1987) et Akhtar et Enns (1989) ont confirmé l’amélioration des capacités d’inhibition d’informations visuelles non pertinentes entre 4 et 7 ans et ils insistent sur la différence entre deux composantes des déficits de filtrage chez l’enfant : la difficulté à ajuster la taille de la fenêtre attentionnelle et la difficulté à ignorer l’information non pertinente, en particulier lorsqu’elle présente une similitude avec la cible. De même, dans une tâche de jugement d’orientation d’une flèche centrale, Ridderinkhof, van der Molen, Band et Bashore (1997) montrent l’amélioration des capacités à s’affranchir de la perturbation produite par d’autres flèches orientées différemment et placées de part et d’autre de la cible, entre 5 et 12 ans. Etant donné que les distracteurs sont ici incompatibles avec la cible, aussi bien au niveau perceptif que sur le plan de la réponse à produire, les auteurs suggèrent que l’amélioration de l’inhibition dans ce genre de tâche concerne sans doute autant l’inhibition d’une partie de l’information perceptive que l’inhibition d’une réponse inadéquate pour gérer un conflit à l’étape tardive de sélection de la réponse.