3.1. Hypothèses sur le développement de l’asymétrie hémisphérique

3.1.1. Hypothèse de l’équipotentialité

À l’origine de cette hypothèse, Lenneberg (1967, cité par Stiles, 2000) soutient que les hémisphères cérébraux ne présentent aucune spécialisation à la naissance. Chacun d’eux détiendraient alors des possibilités fonctionnelles équivalentes pour toutes les fonctions cognitives, les spécialisations hémisphériques ne s’établissant qu’entre 2 et 12 ans. Avant 2 ans, la plasticité cérébrale serait maximale. En conséquence, une lésion survenant dans l’HG avant les deux premières années de vie aurait, par exemple, peu de conséquences sur l’acquisition du langage, l’équipotentialité des hémisphères permettant la récupération de cette fonction par l’HD. Dans cette logique, la qualité de toute récupération fonctionnelle cognitive dépendrait essentiellement de l’âge de l’enfant lors de la survenue de la lésion. Plus elle interviendrait tôt, plus rapide et complète serait la récupération de la fonction cognitive pour laquelle la région détériorée avait commencé à développer des compétences particulières.

Les arguments les plus anciens en faveur de cette hypothèse viennent de l’observation d’aphasies acquises chez l’enfant et de descriptions de cas d’enfants hémisphérectomisés. De nombreuses études de cas ont en effet rapporté des conséquences moins marquées en cas de lésions hémisphériques unilatérales chez les enfants que chez les adultes (pour une revue, voir Duvelleroy-Hommet, 1999). De plus, des cas d’aphasie après lésion droite précoce (avant 5 ans) confortent l’idée d’une équipotentialité des hémisphères chez les jeunes enfants (Krashen, 1973 ; Vargha-Khadem, Isaacs, Papaleloudi, Polkey & Wilson, 1991). Il faut néanmoins relativiser ces données sur les aphasies après lésion droite chez le jeune enfant, car à l’époque de ces observations, la latéralisation exclusive des lésions alors étudiées ne pouvait, pour des raisons techniques, être aussi fortement assurée qu’aujourd’hui (Paquier & Van Dongen, 1996).

Même si l’hypothèse d’équipotentialité reste intéressante et cohérente avec certaines données en imagerie cérébrale (TEP) confirmant l’inversion de l’asymétrie pour le langage en cas de lésions gauches précoces (Müller, Rothermel, Behem, Muzik, Chakraborty & Chugani, 1999), la version forte de cette théorie doit être relativisée. Aujourd’hui, il ne s’agit plus, en effet, d’affirmer que seul l’âge du patient, au moment de la lésion détermine la récupération fonctionnelle. L’influence de la localisation, ainsi que celle de l’étendue de la lésion, sont aussi déterminantes pour que la prise en charge d’une fonction soit opérée par l’hémisphère intact, ou bien par des régions voisines de la zone détériorée en restant dans l’hémisphère lésé. Pour ce qui est de l’importance de la localisation précise de la lésion, le travail de Liegeois et ses collègues (2004) montre par exemple que 4 cas sur 5 avec lésion gauche dans la région de l’aire de Broca présentent par la suite des activations cérébrales attestant une réorganisation périsylvienne des traitements langagiers au sein même de l’HG lésé, alors que seuls les cas de lésions éloignées de l’aire de Broca donnent lieu à une réorganisation des aires du langage dans l’hémisphère épargné (HD). D’une manière générale, la récupération d’une fonction par l’hémisphère non atteint dépend aussi de l’étendue de la lésion. Si celle-ci est petite, des régions voisines de la zone atteinte et situées dans le même hémisphère cérébral peuvent plus facilement se charger de la fonction cognitive normalement sous-tendue par la partie lésée ; des cas de spécialisation de l’hémisphère droit pour le langage suite à une lésion des structures cérébrales dans l’hémisphère gauche correspondent plutôt à des lésions étendues ou diffuses (Müller, & al. 1999). Enfin, il se trouve par exemple que les cas de lésions situées dans des régions sensorielles et motrices se prêtent moins à la récupération que des lésions touchant les aires associatives et plus particulièrement les zones langagières (Stiles, 2000). Ces différences observées en matière de récupération s’expliqueraient par le fait que les fonctions primaires atteignent très tôt leur maturation au cours du développement (Rosa & Lassonde, 2005).

La précocité de la lésion ne suffit donc pas à prédire le mode de réorganisation cérébrale intra- ou inter-hémisphérique, ce qui relativise l’hypothèse de l’équipotentialité.