Développement de la sensibilité au contexte des modes de traitement préalables

Comme le jeune adulte, l’enfant présente des difficultés à passer d’un niveau d’analyse à l’autre selon l’ampleur du nmbre de répétitions avant ce changement, c’est-à-dire selon la force de son investissement dans le mode de traitement préalable, devenu inapproprié. Nous n’avions pas à ce sujet d’hypothèse particulière, mais il semblait toutefois important de vérifier l’effet du facteur nombre de répétitions avant un changement de niveau chez des enfants d’âge scolaire ne présentant aucun trouble neurologique avéré.

En effet, il se trouve que dans certaines pathologies, un déficit particulier a été évoqué à propos de la capacité à passer d’un mode de traitement à l’autre, et la mise au point d’épreuves telles que l’Expérience 5, suffisamment facile pour être réalisée par des enfants de 6 ans, pourrait présenter un intérêt pour de futures recherches à propos d’un tel déficit, dans la mesure où cette expérience propose un moyen original d’étudier la capacité à effectuer le processus de changement de niveau. Nous pensons en particulier au cas des enfants atteints du syndrome de Williams. Cette pathologie s’accompagne de troubles de la cognition spatiale, notamment dans le domaine visuo-constructif, pouvant être mis en relation avec une altération au niveau de la voie dorsale. Bien que l’hypothèse la plus fréquemment avancée pour rendre compte des difficultés de ces enfants dans ce domaine évoque un déficit du traitement global, qui expliquerait pourquoi ils se centrent si fortement sur es détails des informations, il semble que cette déficience ne soit pas très systématique et ne reflète en tout cas pas une anomalie du système perceptif de bas niveau (pour une revue, voir Fayasse & Thibaut, 2003). Il semble plutôt que ces enfants aient des difficultés à changer l’organisation spatiale d’un objet (Pani, Mervis, & Robinson, 1999), par exemple lorsque, dans une tâche de cubes, ils doivent passer d’une analyse locale à une analyse globale pour reproduire une configuration, ou lorsqu’ils doivent abandonner l’examen de la forme des détails pour effectuer un jugement sur l’organisation de leurs relations spatiales (Deruelle, Mancini, Livet, Cassé-Perrot, & de Schonen, 1999). Fayasse et Thibaut (2003) défendent en particulier l’hypothèse d’une difficulté de désengagement local chez ces personnes et montrent que leurs difficultés à traiter l’information au niveau global s’accentue si leur attention est fortement attirée par des détails dotés d’une saillance perceptive particulièrement forte (Fayasse & Thibaut, 2002). Un test complémentaire de cette hypothèse, qui postule que le déficit du traitement global n’apparaît que si la saillance des éléments locaux est comparativement très élevée, pourrait consister à vérifier si ces enfants sont aussi anormalement perturbés par l’augmentation du nombre de répétitions avant un changement de niveau, uniquement lorsque celui-ci se fait du niveau local au niveau global.

Dans l’Expérience 5, conduite chez des enfants entre 6 et 10 ans, les participants de toutes les tranches d’âge présentent tous un retard dans leurs réponses lorsqu’un changement de niveau est précédé de 4 répétitions, plutôt que de 2 répétitions, à un autre niveau d’analyse. Cet effet ne varie pas selon le champ visuel de présentation et la dominance de l’HD dont nous avons parlé dans le Chapitre I pour l’opération de désélection ne semble concerner que les adultes. Surtout, cet effet négatif du nombre de répétitions avant un changement de niveau ne varie pas selon le sens du passage chez les enfants, et l’épreuve pourrait donc constituer un outil intéressant pour étudier si des patients se caractérisent, par exemple, par une asymétrie de cet effet en fonction du sens de l’alternance entre les niveaux global et local.