2. Classification des formes de dyslexie développementale

2.1. Modèle théorique à l’origine de cette classification

La dyslexie a tout d’abord été étudiée auprès de patients pour qui l’apprentissage de la lecture n’a pas forcément posé de problème particulier mais qui, suite à un accident cérébral ou une pathologie dégénérative progressive, ont perdu tout ou partie de leurs compétences en lecture. Il s’agit alors d’une dyslexie acquise. L’analyse précise des erreurs de ces patients montre parfois que certains aspects de la lecture, épargnés chez les uns, présentent un déficit sélectif chez d’autres. Ces dissociations fonctionnelles ont permis d’emettre des hypothèses sur les processus cognitifs impliqués en lecture : certains patients parviennent par exemple encore à lire les mots, pour peu qu’ils soient réguliers, et produisent des erreurs consistant à régulariser les mots irréguliers (e.g., sept, lu [spt] ; d’autres, au contraire, ne peuvent lire que les mots qui leur étaient déjà particulièrement familiers, qu’ils soient réguliers ou non. Ces différences suggèrent l’existence de deux procédures de lecture : dans le premier type de cas, le patient pourrait décoder le mot mais n’aurait plus accès aux représentations orthographiques en mémoire (on parle alors de dyslexie de surface), dans le deuxième type de cas, le décodage systématique n’est plus possible mais le patient peut s’appuyer sur le stock de connaissances orthographiques de son lexique mental : on parle alors de dyslexie phonologique (Coltheart, Masterson, Byng, Prior, & Riddoch, 1983). Ces observations sont cohérentes avec la proposition d’un modèle dit ‘à double voie’ (Coltheart, 1978, 1981), qui soutient que les informations orthographiques et phonologiques sont des sources possibles distinctes d’activation dans l’identification des mots écrits. La procédure par adressage, rapide et automatique, permettrait un accès direct aux représentations orthographiques des mots à partir de l’information visuelle ; la procédure par assemblage, plus lente et impliquant un déplacement de l’attention, permettrait de mettre en correspondance les graphèmes et les phonèmes afin d’élaborer une représentation phonologique du mot écrit. Même si les développements récents de ce modèle prévoient une certaine coopération entre les deux procédures et la participation de processus non seulement ascendants mais aussi descendants (Colheart, Rastle, Perry, Langdon, & Ziegler, 2001), les deux voies de lecture sont fondamentalement décrites comme séparées, fonctionneraient en parallèle et pourraient faire l’objet de perturbations sélectives : la dyslexie acquise de type phonologique s’expliquerait par des perturbations de la procédure d’assemblage, la dyslexie de surface par une altération de la procédure d’adressage.

Pour ce qui est de la dyslexie développementale, la première attitude a consisté à s’appuyer sur ce modèle pour rendre compte de la variété des profils. Cela supposerait que les différentes composantes du système adulte s’installent très vite chez l’enfant, même si l’automatisation met du temps à s’établir pour permettre une lecture rapide et précise. Nous dirons par la suite les limites de cette approche, mais elle permet une première classification, basée sur le type d’échecs ou d’erreurs des jeunes patients.