4.1. L’hypothèse phonologique

Les connaissances phonologiques ont un rôle central en lecture. Il est aujourd’hui admis que, même chez l’adulte bon lecteur, la reconnaissance de mot n’implique pas seulement l’activation de connaissances orthographiques et sémantiques, mais aussi des connaissances phonologiques (pour une revue, voir Berent & Perfetti, 1995 ; Frost, 1998). De plus, nombre de travaux montrent que la capacité à manipuler des unités phonologiques à l’oral, de manière implicite (capacité épi-phonologiques) ou explicite (métaphonologie), constitue un pré-requis pour l’apprentissage de la lecture (Gombert, 2003 ; pour une revue, voir Ecalle & Magnan, 2002) : il existe une forte corrélation entre la réussite de cet apprentissage et les capacités métaphonologiques (Bruck & Treiman, 1990). Aussi, il n’est pas étonnant que l’un des troubles les plus fréquemment associés à la dyslexie concerne la phonologie. L’hypothèse phonologique postule que le déficit concerne uniquement les sons du langage : il s’agirait d’un trouble linguistique, portant sur les catégories abstraites de sous-unités du langage (pour une revue, voir Rosen, 2003). Pour cela, l’argument le plus fort est que les difficultés des dyslexiques à discriminer les phonèmes ne s’accompagnent pas forcément d’un déficit pour le traitement de stimuli analogues non-verbaux (Mody, Studdert-Kennedy, & Brady, 1997 ; Nittrouer, 1999 ; Rosen, & Manganari, 2001). De même, la réduction de certaines manifestations électrophysiologiques accompagnant la perception d’un changement dans une série de syllabes, observée chez des adolescents dyslexiques, n’est pas observée pour de stimuli non-linguistiques (Schulte-Körne, Deimel, Bartling, & Remschmidt, 1998). Serniclaes, Sprenger-Charolles, Carré et Démonet (2001) ont même montré que les anomalies des enfants dyslexiques pour situer les frontières catégorielles dans un continuum acoustique diffèrent si le matériel est présenté aux enfants comme d’origine verbale ou non.

Selon cette hypothèse, chez les dyslexiques, les représentations des sons de la langue seraient imprécises, (Sprenger-Charolles, Colé, Lacert, & Serniclaes, 2000), les catégories phonémiques pertinentes pour la langue n’ayant pas pour eux de statut particulier (Serniclaes, Van Heghe, Mousty, Carré, Sprenger-Charolles, 2004) et il semble aussi que les connaissances sur les phonèmes soit insuffisamment organisées (Bedoin, 2003 ; Krifi, Bedoin, & Mérigot, 2003). Les dysfonctionnements phonologiques constitueraient le déficit cognitif le plus largement représenté dans la population des dyslexiques et pourraient exister indépendamment des déficits mis en avant par les théories magnocellulaire et cérébelleuse (Ramus, & al., 2003). Ils se manifestent à différents niveaux et peuvent perturber la manipulation délibérée d’unités infra-lexicales, la mémoire auditivo-verbale ou la boucle phonologique en mémoire de travail.

Cette hypothèse est cohérente avec le constat d’anomalies corticales morphologiques dans la région périsylvienne gauche et de particularités des activations cérébrales lors de tâches phonologiques chez les dyslexiques, notamment une hypoactivité des régions temporales postérieures (Robichon, & Habib, 1998) et temporales inférieures gauches (Georgiewa, & al., 1999). Chez l’enfant dyslexique, Temple & al. (2001) ont montré, en IRMf, des configurations atypiques de l’activité cérébrale comparables à celles des adultes dyslexiques, avec notamment un déficit des réponses temporo-pariétales gauches lors du traitement phonologique de lettres écrites. Dans une simple tâche d’appariement de lettres, ces auteurs montrent aussi que les activations cérébrales des enfants dyslexiques sont plus faibles que chez les enfants contrôles dans le cortex extra-strié, ce qui témoigne aussi d’une anomalie des traitements alphabétiques, détectée sur des unités extrêmement simples. De même, Koenig, Kosslyn et Wolff (1991) ont montré que les enfants dyslexiques présentent un déficit de génération d’image mentale visuelle seulement lorsque l’image à construire est celle d’une lettre. Ce traitement inapproprié des lettres, dans leur dimension linguistique, nous paraît particulièrement intéressant étant donné que, dans nos expériences, nous étudions la spécialisation hémisphérique associée au traitement global/local selon la catégorie (linguistique ou non) de l’information présentée à chaque niveau. Les enfants dyslexiques souffrant d’un déficit phonologique pourraient présenter des asymétries hémisphériques anormales pour les traitements des lettres hiérarchisées, étant donnés les rapports étroits du contenu avec le langage et la phonologie.