4.4. L’hypothèse auditive

Une autre hypothèse d’explication de la dyslexie est centrée sur un déficit perceptif, cette fois auditif, et impliquerait l’anomalie de cellules analogues à celles de la voie visuelle magnocellulaire, et situées dans le noyau géniculé médian (Galaburda, Menard, & Rosen, 1994) : elle serait à l’origine de difficultés de traitement temporel des sons rapides. Or, la reconnaissance des phonèmes, et en particulier des consonnes, nécessite une analyse extrêmement précise du signal sur de très courtes durées (souvent moins de 40 ms) et les dyslexiques pourraient avoir pour cela des difficultés. La discrimination de stimuli auditifs s’accompagne, à très bas niveau, d’un phénomène électrophysiologique, la Mismatch Negativity (MMN), permettant de repérer si le système auditif central détecte un changement dans un continuum de stimuli auditifs de manière pré-attentionnelle (Kujala & al., 2000). L’absence de cette manifestation électrophysiologique involontaire chez des dyslexiques est rapprochée de données comportementales attestant leur difficulté à discriminer et identifier des stimuli auditifs se succédant rapidement (McGivern, Berka, Languis, & Chapman, 1991 ; Reed, 1989). Tallal a mis en évidence un déficit du traitement de tels stimuli, chez certains enfants dyslexiques, pour qui il serait difficile d’entendre des distinctions acoustiques parmi les sons brefs successifs de la parole et, par suite, de développer une conscience phonémique et un code phonologique suffisamment précis pour l’apprentissage de la lecture. Si la durée des stimuli est artificiellement allongée, ce déficit disparaît, d’où l’idée de Tallal et Piercy (1975) d’entraîner intensivement les jeunes dyslexiques à traiter des stimuli verbaux artificiellement étirés, pour améliorer leur discrimination de phonèmes et les amener à réussir la même tâche sur des stimuli progressivement moins modifiés. Ces travaux, appuyés sur l’idée de plasticité cérébrale, ont soulevé des polémiques, les critiques portent sur la population de cette étude, non exclusivement constituée d’enfants dyslexiques purs, mais aussi sur le rôle de l’allongement des stimuli dans l’efficacité de l’entraînement : le bénéfice apporté par les exercices intensifs sur des stimuli temporellement étirés ne diffère pas de celui obtenu avec des stimuli naturels (Rey, Martino, Esperrer, & Habib, 2001).

Certes, l’absence d’activité frontale gauche normalement relevée lors du traitement de stimuli acoustiques non-verbaux à changements rapides suggère que la difficulté des enfants dyslexiques dépasse le cadre du matériel linguistique ( Temple et al., 2001). D’autres résultats maintiennent cependant l’opposition entre cette théorie du déficit auditif et la théorie du déficit phonologique, la difficulté des enfants dyslexiques pour traiter les phonèmes ne s’accompagnant pas toujours d’un déficit pour le traitement de stimuli analogues non verbaux (Mody, Studdert-Kennedy, & Brady, 1997  ; Rosen, & Manganari, 2001). Sans remettre totalement en question l’existence d’un trouble du traitement temporel rapide de l’information auditive, il semble que la composante verbale du stimulus soit déterminante.

Un modèle intéressant consiste à rapprocher le déficit magnocellulaire en vision et le déficit auditif, pour les considérer comme la double expression d’un même trouble général du traitement temporel de toute information rapide. La théorie magnocellulaire générale propose que le dysfonctionnement général de la voie magnocellulaire a une influence sur toutes les modalités sensorielles et a même des prolongements vers le cortex pariétal postérieur et le cervelet (Stein & Walsh, 1997).