Limites de la modulation exercée par les catégories sur la dominance hémisphérique pour traiter les niveaux global et local chez les enfants dyslexiques avec trouble phonologique

Les particularités des enfants dyslexiques avec trouble phonologique concernant la dominance hémisphérique pour les catégories se manifestent plus clairement, et de manière statistiquement significative, lorsque l’on s’intéresse à la modulation que ces catégories exercent sur la dominance hémisphérique pour le traitement des niveaux global et local. Cela apporte non seulement des arguments directement favorables à l’Hypothèse 4b, mais aussi, indirectement, des indications concordantes avec l’Hypothèse 4a.

A cet égard, le résultat le plus parlant est l’interaction significative Catégorie X Niveau X Champ X Dyslexie, significative sur les latences. Elle traduit le fait qu’une modulation est exercée par la catégorie des stimuli sur la dominance hémisphérique pour le traitement des niveaux dans le groupe d’enfants dyslexiques sans trouble phonologique, mais pas dans celui des dyslexiques présentant un important déficit phonologique. Conformément à l’Hypothèse 4b, dans le cas des enfants dyslexiques sans trouble phonologique, la dominance hémisphérique pour le niveau local n’est donc pas seulement déterminée par la latéralisation des dominances hémisphériques des mécanismes spécialisés pour certains niveaux d’analyse. En particulier, comme chez les sujets adultes bons lecteurs, et de façon encore plus nette que chez les enfants contrôles pour l’âge lexique ou même les enfants contrôles pour l’âge chronologique, le traitement du niveau local ne fait pas l’objet d’une dominance systématique de l’HG, et la dominance hémisphérique est, à ce niveau, plus directement déterminée par la catégorie du matériel : cela se traduit par une dominance de l’HG seulement pour les petites lettres et non pour les petits dessins d’objets. Les enfants dyslexiques sans trouble phonologique présentent donc sur ce point un profil très mature. La configuration des résultats étant similaire sur les taux d’erreurs, il n’y a pas d’échange rapidité-exactitude, ce qui renforce l’impact de ces données. Pour reprendre les termes de l’interprétation proposée par Fink et ses collègues (1997b), il semble que, dans le cas des enfants dyslexiques sans trouble phonologique, un processus de haut niveau se soit mis en place pour prédisposer les mécanismes sous-tendus par l’hémisphère le plus compétent pour chaque catégorie à s’engager massivement dans l’analyse locale, sans doute pour compenser la vulnérabilité potentielle du traitement à ce niveau.

De plus, chez ces enfants dyslexiques dépourvus de trouble phonologique, la configuration des asymétries hémisphériques pour le traitement du niveau global est conforme aux résultats publiés par ces Fink et ses collègues (1996, 1997b) à partir de l’observation de la latéralisation d’activations cérébrales : comme eux, nous observons une inversion de la dominance hémisphérique pour le traitement global selon la catégorie du matériel, avec une dominance de l’HD pour les grandes lettres (l’HD étant censé demeurer le plus disponible pour ce traitement, compte tenu de l’investissement de l’HG dans le traitement local des lettres) et une dominance de l’HG pour les grands dessins d’objets (l’HG étant censé rester plus disponible pour ce traitement, compte tenu de l’investissement de l’HD dans le traitement local des lettres). Ces différences au niveau global ne sont pas significatives et la prudence s’impose pour tirer des conclusions, mais comme pour les phénomènes observés au niveau local, le fait que ces différences aillent dans le même sens sur les pourcentages d’erreurs encourage tout de même à les prendre en considération. Nous avions aussi prédit, d’une manière générale (Hypothèse 1e), que la modulation de la dominance hémisphérique par la catégorie des stimuli pour le traitement global pourrait être moins marquée dans les données, puisqu’elle ne résulte qu’indirectement de l’engagement d’un processus visant essentiellement à optimiser le traitement au niveau des détails.

Alors que les enfants dyslexiques sans trouble phonologique présentent un profil normal, voire en avance, quant à la modulation exercée par les catégories sur la dominance hémisphérique pour le traitement des niveaux, les enfants dyslexiques présentant un trouble phonologique majeur sont à cet égard bien différents. Contrairement aux autres, ces derniers ne présentent pas d’indice de modulation de la dominance hémisphérique pour le traitement des niveaux selon la catégorie, l’interaction Catégorie X Niveau X Champ n’étant significative, dans ce groupe, sur aucune variable dépendante. Pour les temps de réponse, ils se distinguent à la fois des autres dyslexiques et des enfants contrôles, essentiellement par une absence de véritable dominance de l’HG pour traiter le niveau local, cette dominance étant même particulièrement faible pour les lettres hiérarchisées. De plus, sur les taux d’erreurs ils présentent cette fois une dominance hémisphérique gauche au niveau local mais elle se manifeste pour les dessins d’objets comme pour les lettres, alors qu’une dominance de l’HD pour les dessins au niveau local se dessine déjà chez les enfants appariés en âge lexique (mais pourtant plus jeunes) et est significative chez les enfants normo-lecteurs appariés en âge réel. A cet égard, l’interaction significative Catégorie X Niveau X Champ X Groupe les distingue clairement du profil des enfants dyslexiques sans trouble phonologique et de celui des enfants normo-lecteurs de leur âge.

La configuration des données des enfants dyslexiques avec trouble phonologique est donc atypique, même par rapport au groupe d’enfants normo-lecteurs plus jeunes en âge réel, et rien n’indique chez eux une quelconque prise en compte du contenu linguistique des stimuli alphabétiques pour moduler le traitement des niveaux. Cela s’explique peut-être par une faible spécialisation hémisphérique pour le traitement des catégories Lettre et Dessin d’objet, mais comme nous n’avons recueilli que de légers indices sur point dans l’Expérience 7, l’un des objectifs de l’Expérience 8 sera de tester à nouveau cet aspect.