4. Discussion générale sur les Expériences 7 et 8.

Comparaison des performances d’enfants relevant de différents types de dyslexie et d’enfants contrôles

Le principe retenu pour la conduite des deux expériences de ce Chapitre III était de comparer les performances de groupes d’enfants distincts quant au type de dyslexie dont ils sont atteints (les uns avec, les autres sans trouble phonologique), afin de détecter la présence de deux anomalies cognitives que nos hypothèses présentaient comme devant être chacune spécifique à l’un ou l’autre type de pathologie. Le choix de ne pas se limiter à la méthode classique de distinction entre dyslexie phonologique et dyslexie de surface à partir des taux d’échecs en lecture de mots irréguliers et de pseudo-mots (Manis, Seidenberg, Doi, McBride-Chang, & Peterson, 1996) était en partie guidé par le souhait de ne pas écarter de l’étude des enfants qui auraient alors été qualifiés de dyslexiques mixtes. En effet, la démarche classique pose le problème d’aboutir à l’émergence d’un large groupe d’enfants dont le profil est qualifié de mixte et qui sont pourtant souvent rejetés des échantillons, dans les études portant sur les déficits cognitifs sous-jacents à la dyslexie. Par exemple, en se limitant à ces critères classiques, une étude conduite auprès de dyslexiques français montre que moins de 3% des patients relèvent de la dyslexie phonologique et 23% de la dyslexie de surface (Genard, Mousty, Content, Alegria, Leybaert, & Morais, 1998) : les dyslexiques mixtes seraient donc fort nombreux. Or, comme nous l’avons expliqué dans la partie théorique (paragraphe 4.4.5.2., Chapitre III), le profil comportemental qui leur correspond pourrait résulter tout aussi bien d’un déficit phonologique initial, que d’un trouble visuo-attentionnel, d’où une certaine ambiguïté (Bosse, Tainturier, & Valdois, 2006). Afin de mieux comprendre les déficits à l’origine des difficultés persistantes d’apprentissage de la lecture, il semble important à la fois de ne pas tenir ces enfants à l’écart des recherches, mais aussi d’échapper à cette ambiguïté.

C’est pourquoi il nous a semblé préférable de constituer des groupes qui s’opposent clairement sur la présence ou non d’un déficit phonologique. Il faut pour cela évaluer non seulement les erreurs en lecture, mais aussi en écriture sous dictée, et effectuer un bilan assez complet des compétences dans le domaine méta-phonologique. Poser ce critère à la base d’une étude permet de rechercher ensuite ce qui, en dehors du seul déficit phonologique objectivé au départ, distingue les deux groupes d’enfants du point de vue du fonctionnement cognitif. De multiples hypothèses sont alors possibles. Nous nous sommes quant à nous intéressé, d’une part, à une éventuelle anomalie de la mise en place de l’asymétrie hémisphérique pour le traitement d’un matériel alphabétique et, d’autre part, au déficit d’un mécanisme d’attention visuo-spatiale. Afin d’établir qu’un déficit cognitif, tel que la déficience d’un mécanisme visuo-attentionnel, entretient une relation causale avec la dyslexie, Valdois, Bosse et Tainturier (2004) insistent sur la nécessité de montrer que ce déficit se manifeste indépendamment de déficits phonologiques. De même, il est alors important de montrer que ce déficit attentionnel existe chez des enfants dyslexiques sans TDA/H, pour s’assurer qu’il n’est pas davantage lié à un Trouble Déficitaire de l’Attention avec ou sans Hyperactivité qu’à la dyslexie (Moores, & Andrade, 2000). Les critères fondant la constitution des groupes d’enfants que nous étudions pourraient permettre de remplir ces deux conditions. L’intérêt d’une démarche conduite de cette manière est de tenter de contribuer à comprendre les troubles cognitifs des enfants dyslexiques, puis de considérer ces troubles comme des indices susceptibles d’affiner le diagnostic du type de dyslexie, afin d’envisager ensuite l’orientation vers des pistes de rééducation adaptées.

Pour conduire notre étude, les deux groupes devaient par ailleurs être comparables et nous avons pris soin pour cela d’apparier les enfants deux à deux pour leur âge lexique, l’équilibre de l’âge chronologique moyen des deux groupes étant assuré de manière plus globale. Ces deux groupes semblent pouvoir faire l’objet de comparaisons quant à la configuration de leurs performances selon les facteurs manipulés, dans la mesure où ils ne présentent pas, entre eux, de différence globale de vitesse ni d’exactitude des réponses.

Le choix de composer également des groupes d’enfants normo-lecteurs appariés selon l’âge lexique ou selon l’âge chronologique est guidé par le souhait de montrer que les particularités repérées dans les groupes de dyslexiques constituent véritablement des anomalies par rapport à des enfants sans problème d’apprentissage de la lecture. Ces deux groupes permettent des comparaisons avec des enfants qui ont développé un niveau d’expertise équivalent malgré leur plus jeune âge (groupe contrôle en âge lexique) ou qui ont fréquenté l’école et bénéficié d’une familiarisation avec l’écrit pendant une même durée (groupe contrôle en âge chronologique). La pertinence de la comparaison des performances des enfants dyslexiques à celles d’enfants appariés en âge chronologique et en niveau de lecture est défendue en particulier par Sprenger-Charolles, Colé, Lacert et Serniclaes (2000). Ils estiment que cela permet d’interpréter la configuration des résultats d’un enfant dyslexique comme témoignant soit d’un simple retard de développement (lorsque cette configuration est atypique par rapport au groupe apparié en âge chronologique, mais similaire à celle d’enfants plus jeunes et de même niveau de lecture), soit comme le fruit d’un déficit particulier qui le fait dévier du mode de développement typique (lorsque cette configuration est atypique par rapport à celle des enfants plus jeunes appariés en âge lexique). A notre sens, en plus de ces comparaisons avec des groupes contrôles, la comparaison directe entre les deux types d’enfants dyslexiques présente l’intérêt de confronter les performances d’enfants appariés non seulement pour l’âge et le niveau de lecture, mais aussi pour les difficultés scolaires rencontrées et le désagrément que leur apportent vraisemblablement les situations impliquant un matériel alphabétique.

Etant donné le caractère rébarbatif que peut présenter le matériel alphabétique, il était envisageable que de moins bonnes performances se manifestent pour les lettres hiérarchisées que pour les dessins d’objets hiérarchisés chez les enfants dyslexiques. Ce n’est le cas dans aucune des deux expériences rapportées dans ce chapitre, l’effet du facteur catégorie n’étant significatif dans aucun groupe, que ce soit celui des enfants dyslexiques de l’un ou l’autre type ou les enfants normo-lecteurs appariés en âge lexique ou en âge chronologique. Ainsi, ni la familiarité de la catégorie Lettre, ni le faible attrait qu’elle est susceptible d’exercer sur les jeunes patients n’introduit de biais dans ces expériences et nous pouvons donc parler, par rapport à ces échantillons d’enfants, d’un certain équilibre entre les deux catégories de matériel présentées. Les particularités des enfants dyslexiques par rapport au traitement du matériel alphabétique sont plus subtiles.