Introduction générale

Depuis l’effondrement du système de Bretton Woods, la fréquence des crises financières s’est notablement accrue. Au cours de la dernière décennie, ces turbulences financières ont affecté avec une brutalité particulière, les pays d’Asie du Sud-Est et d’Amérique latine. En outre, les crises financières des années quatre vingt-dix semblent différer de celles qui les ont précédées en ce que la fragilité du secteur bancaire apparaît comme l’un des premiers symptômes et non plus – comme c’était le cas précédemment – comme le résultat ultime d’autres désordres (Kaminsky et Reinhart 1996). Outre ces deux faits stylisés, la rapidité de la propagation de ces turbulences financières d’un pays à l’autre, a fait renaître le débat sur la nature des crises financières des années quatre-vingt-dix par rapport aux crises antérieures. Le résultat a été en fait, un profond travail de réflexion sur la question aussi bien par la les autorités et institutions financières nationales et internationales que par les milieux académiques.

Les crises financières sont très protéiformes. Elles frappent différents marchés et institutions. Elles se manifestent comme une crise de change 1 , une crise bancaire, une crise boursière ou une crise de la dette souveraine. Ces différentes crises et en particulier la crise de change, provoquent généralement une fuite des capitaux (Jeanne, 2003) 2 . Cet auteur trouve que la concomitance d’une crise de change et d’une fuite des capitaux, est le seul dénominateur commun des crises financières de la dernière décennie. Un trait commun aux crises financières des pays émergents dans les années 90 est en effet une augmentation importante des entrées de capitaux à court terme pendant la période qui précède la crise, suivie par une inversion brutale de ces flux qui a quasiment toujours été l’élément déclencheur de la crise. Ainsi, les apports de capitaux privés aux pays émergents qui avaient atteint 140 milliards de dollars en 1996 par exemple, sont tombés à 40 milliards de dollars en 1997 et se sont totalement taris l’année suivante 3 . Les prêts bancaires consentis aux pays d’Asie, les plus durement touchés par la crise (le Corée, l’Indonésie, la Malaisie, les Philippine et la Thaïlande), se sont contractés violemment, passant de 49 milliards de dollars au cours du premier semestre de 1997 à -39 milliards pendant le 3e trimestre 1997 et -96 milliards pendant le 4e trimestre. Les prêts bancaires à ces pays qui avaient augmenté en 1996 de l’équivalent de 5,5 % de leur PIB ont diminué en 1997 aux environs de 10 % du PIB. La responsabilité principale des désordres financiers récents est ainsi attribuée à l’extrême volatilité des mouvements internationaux de capitaux et, au-delà, au comportement des investisseurs internationaux (Obstfeld, 1994 ; Jeanne, 1997 ; Masson, 1999a). Dès lors se pose la question des facteurs qui influencent le comportement des investisseurs internationaux et en particulier les problèmes de coordination des agents sur les marchés financiers et notamment sur les marchés des changes.

Au cœur des crises financières de la dernière décennie, la crise asiatique a été marquée par une grande agitation ayant affecté le comportement des investisseurs internationaux, ainsi que par un brusque revirement deleurs anticipations et attitudes. Il en a résulté un enchaînement assez spectaculaire de crashs quia commencé par l’effondrement du baht thaïlandais le 2 juillet 1997. L’Indonésie (août 1997), les Philippines (août 1997), la Malaisie (août 1997) et Singapour (septembre 1997) ont ensuite été affectés successivement par la crise. Au début du mois d’octobre de la même année, des pressions spéculatives ont ébranlé Taiwan,menaçant alors de se propager vers Hong-Kong et la Corée du sud. Effectivement, Hong-Kong était en crise à la fin du mois d’octobre 1997 et le won coréen se dépréciait de plus de 25 % en novembre 1997. Cette propagation semble être dûe principalement au comportement des investisseurs qui, suite à la dévaluation du bath, prennent brusquement conscience des risques auxquels ils sont exposés et retirent indistinctement les capitaux qu’ils ont placés dans les pays émergents. La crise thaïlandaise a exercé ainsi un effet de dominos sur les pays de la région (Le Page, 2003). Dans la littérature, ce phénomène est assimilé à un processus qualifié de contagion. Suite aux travaux de Paul Masson (1999a), la contagion est définie par la transmission de la crise d’un pays à un autre via des mécanismes complexes qui ne dépendent pas des caractéristiques fondamentales des économies affectées. Elle s’opère à travers la perte de confiance des investisseurs internationaux et non pas à travers des liens réels et financiers entres les pays (Rigobon, 2003).

Le champ de recherche sur la question de la contagion des crises financières internationales peut être qualifié d’embryonnaire puisque cela concerne un phénomène récent qui ne s’est présenté qu’avec les crises des années quatre-vingt-dix. C’est dans ce cadre que s’inscrit cette thèse. Son objet est l’étude du phénomène de contagion des crises financières internationales contemporaines. A l’instar des travaux récents sur la question, nous essayons d’identifier empiriquement la contagion. Nous désignons par la contagion seulement celle qui est définie ci-dessus par Paul Masson 4 . Cependant, les faits stylisés des crises financières des années quatre-vingt-dix et plus particulièrement la crise asiatique, montrent la diversité des facteurs déclencheurs des crises financières dans les pays émergents : d’un coté, il y a des facteurs exogènes qui mettent l’accent sur le rôle joué par des mécanismes de contagion ou de transmission complexes et variés. D’un autre coté, il y a des facteurs endogènes qui privilégient la fragilité préexistante des économies affectées (les fondamentaux) 5 . En effet, au-delà des faits stylisés, le développement théorique récent de la modélisation des crises financières, montre également le rôle des fondamentaux même lorsqu’ils ne font pas de la crise l’issue unique et inévitable (Cartapanis, 2004). Dès lors, nous n’allons pas opposer l’explication par la contagion aux autres explications possibles comme les fondamentaux et la transmission via les liens commerciaux et financiers. Les travaux de cette thèse traitent de la contagion dans un cadre plus complet qui tient compte de tous les facteurs déclencheurs d’une crise financière. En effet, l’identification de la contagion, tout en tenant compte de la forte interconnexion des économies étudiées ou de l’effet des fondamentaux, est indispensable pour la fiabilité des résultats empiriques. Elle est également un préalable indispensable qui aide à mettre en place les thérapeutiques adéquates pour prévenir ou contenir les crises.

Notre thèse s’articule par conséquent autour d’un ensemble de questions directrices : Comment pouvons-nous identifier la contagion des crises financières internationales ? Quels en sont les mécanismes ? Quels déterminants des crises financières faut-il prendre en compte afin d’en mieux comprendre la logique ?

Ces questions seront étudiées à travers deux axes. Nous intégrons, en fait, à l’analyse de la contagion deux facteurs : l’interdépendance et les fondamentaux. Nous traitons dans un premier temps, de débat interdépendance/contagion. Nous étudions dans un second temps, la question de l’imbrication entre la contagion et les fondamentaux. Ces deux axes sont en effet dictés par le développement théorique des modèles de contagion. Cette dernière est souvent modélisée théoriquement à partir des modèles macroéconomiques avec équilibres multiples qui traitent les problèmes de coordination 6 des investisseurs internationaux sur les marchés financiers et plus particulièrement les marchés des changes (Masson, 1999a). Ces modèles étudient les causes derrière le défaut de coordination provenant de croyances auto-réalisatrices 7 pessimistes (selon l’expression de Cornand, 2005) qui engendrent le passage de l’économie du bon équilibre (sans attaques spéculatives 8 ) vers le mauvais équilibre (avec attaques spéculatives) 9 . Malgré les progrès accomplis dans ce domaine par le développement des modèles avec clause de sortie (Jeanne, 1997), ces modèles d’équilibres multiples n’arrivent pas jusqu’à nos jours à combler un vide de la théorie lié à l’indétermination de la variable « tache solaire » (sunspot). Cette dernière est un phénomène aléatoire purement exogène par définition, qui explique, même partiellement, la coordination 10 des anticipations des investisseurs vers le mauvais équilibre. Dès lors, l’approche en terme de tache solaire s’apparente à un « cache misère ». Ce type d’explication est en fait un aveu camouflé d’ignorance. Afin d’expliquer le changement des croyances des investisseurs, Masson (1999a) introduit dans un modèle avec clause de sortie un événement publiquement observable à savoir la réalisation d’une crise dans un autre pays. Il montre ainsi qu’une crise dans un pays peut coordonner et polariser les anticipations des investisseurs vers le mauvais équilibre dans une autre économie. Par ailleurs, il inclut également dans son modèle des causes liées aux fondamentaux. D’une part, la coordination des investisseurs ne peut se réaliser sans que le pays présente une certaine vulnérabilité sous-jacente caractérisant une zone intermédiaire des fondamentaux conformément à l’idée de Jeanne. D’autre part, la crise peut être transmise via des liens commerciaux ou des chocs communs (par exemple un changement dans la politique monétaire des Etats-Unis) qui sont des vecteurs d’interdépendance entre les économies. L’objet de notre premier chapitre sera alors de caractériser théoriquement la contagion et de souligner également l’importance des facteurs « interdépendance » et « fondamentaux » dans la modélisation des crises. La vérification empirique de la pertinence de ces deux facteurs dans les crises financières internationales des années quatre-vingt-dix, sera l’objet de notre deuxième chapitre.

Le premier axe de notre recherche est ainsi l’identification de la contagion dans un système interdépendant. Dans le cas de la crise asiatique, il n’était pas surprenant que la crise thaïlandaise se soit propagée vers d’autres pays. Situés géographiquement dans la même région, les pays affectés partageaient de nombreuses similarités structurelles et entretiennent d’importants liens commerciaux et financiers. Ces économies étaient donc fortement intriquées, aussi biendurant la période de stabilité, que durant les périodes de crise. Ce phénomène de propagation n’est donc généralement pas considéré dans les travaux récents comme une contagion. Le plus souvent, cette propagation est plutôt considérée comme le résultat d’interdépendances (Kaminsky et Reinhart, 2000 ; Forbes et Rigobon, 2002). Ce concept d’interdépendance 11 a été développé par Forbes et Rigobon (2001) dans les théories dites non contingentes aux crises. Ces théories supposent que les mécanismes de transmission, après un choc initial, ne différent pas de ceux avant la crise,au motif queles chocs sont propagés via des liens réels et financiers stables entre les pays, tels que les liens commerciaux bilatéraux ou les liensavec un marché tiers (Gerlach et Smets, 1995 ; Corsetti et alii, 1999) 12 et les liens financiers avec un créancier commun (Kaminsky et Reinhart, 2000 ; Van Rijckeghem et Weder 2003). L’interdépendance engendrée ainsi par ces liens réels et financiers, produit alors une détérioration permanente des fondamentaux des pays affectés durant même la période de stabilité. Un autre canal de propagation proposé aussi par ces théories non contingentes aux crises, est celui des chocs agrégés non observables,dit chocs communs (Masson, 1999a). Ce genre de chocs peut être représenté par un changement de la demande globale, des chocs exogènes de liquidité, un changement du taux d’intérêt étranger ou des sentiments des investisseurs ainsi que de leur degré d’aversion au risque.

Toutefois, l’aspect le plus surprenant dans le cas de la crise asiatique est la rapidité de la contamination. L’effondrement paroxystique des pays de l’Asie de l’Est dans une courte période de quelques mois, a fait renaître le débat interdépendance/contagion. C’est ainsi que la thèse de la panique caractérisant la réaction des investisseurs internationaux suite à une crise dans un autre pays, a pris chez les spécialistes en la matière, plus de relief quela thèse d’une transmission via des liens réels, même dans le cas d’une forte connexion commerciale ou financière. En effet, une crise touchant un pays peut mener dans son sillage les acteurs (spéculateurs) à se retirer de plusieurs marchés financiers, sans tenir compte de leurs situations économiques. Il convient dès lors de s’interroger sur la possibilité d’identifier empiriquement ce phénomène de contagion dans un contexte régional où les économies sont caractérisées par un fort degré d’interdépendance.

Forbes et Rigobon (2001) soulignent l’influence du mécanisme des équilibres multiples de Masson afin d’expliquer comment les chocs peuvent être transmis entre les marchés internationaux. Ce type de mécanisme est au cœur des théories contingentes aux crises 13 . Les auteurs supposent alors, que ce comportement des investisseurs induit un changement dans les canaux de transmission durant la période de crise et donc une accentuation des liens entre les marchés financiers. Cette hypothèse est fondamentale pour les travaux empiriques afin d’identifier la contagion. En effet, le saut de l’économie entre les équilibres est caractérisé par une non-linéarité dans les canaux de transmission internationaux. Cette non-linéarité est engendrée par la génération de nouveaux canaux temporaires durant la période de crise, outre les canaux permanentsqui caractérisent l’interdépendance entre les économies.Cependant, on a toujours cherché dans les travaux empiriques à expliciter ces deux équilibres asymétriques en testant la stabilité des mécanismes de propagation afin d’identifier une éventuelle contagion.

Plusieurs méthodologies ont été alors utilisées comme le test de significativité statistique de l’augmentation du degré des liens financiers avant et après la crise (Baig et Goldfajn, 1998 ; Forbes et Rigobon, 2002 ; Rigobon 2003), ou encore l’examen de la dynamique des différents sens de causalité entre les marchés financiers avant et après la crise (Masih et Masih, 1999 ; Sander et Kleimeir, 2003 ; Au Yong et alii, 2004). Cependant, ces travaux présentent une limite très importante liée à la définition des périodes de crises. Une telle définition influence directement la fiabilité des résultats. Gravello et alii (2005) reproche la subjectivité du choix des points de changement structurels qui définissent le début et la fin de la période de crise dans ces travaux. Billio et Pelizzon (2003) discutent le biais engendré par la taille de la période de crise. En effet, Dungey et Zhumabekova (2001) montrent que la puissance du test est amenuisée par la faiblesse de la taille de la période de crise. Favero et Giavazzi (2000, 2002) et Caporale et alii (2005) proposent dès lors des méthodologies fondées sur une estimation comprenant la totalité de l’échantillon, en testant la non-linéarité des chocs structurels. Bonfiglioli et Favero (2005) soulignent par ailleurs la nécessité de distinguer entre la dynamique de long terme et celle de court terme dans ce cas. L’objectif de cette thèse est ainsi d’étendre la littérature relative à la contagion en présentant une nouvelle procédure pour tester la stabilité des mécanismes de propagation internationale des chocs afin d’identifier la contagion dans un contexte régional tout en discriminant entre la dynamique d’interdépendance de long terme et de court terme.

Le deuxième axe de notre recherche est l’identification de la contagion tout en intégrant le rôle des fondamentaux. En effet, Allegret et Sandretto (2000) soulignent une des principales leçons tirée de l’expérience des crises des années 1994-98 : la tourmente financière s’explique par une imbrication entre des facteurs exogènes (la contagion) et des facteurs endogènes (les fondamentaux). Cette leçon a fait renaître un débat ancien 14  : les crises des années quatre-vingt-dix sont-elles principalement déterminées par des causes endogènes ou exogènes aux économies affectées? Afin de répondre à cette question, nous n’allons pas opposer ces deux catégories de facteurs, mais nous allons les considérer plutôt comme étant complémentaires et non alternatives. Cette idée n’est pas nouvelle. Dès 1996, Sachs, Tornell et Velasco l’avaient déjà défendue à propos de la crise mexicaine de 1994 en montrant empiriquement qu’un certain degré de vulnérabilité était une condition indispensable pour comprendre l’effet Tequila, notamment une surévaluation du taux de change réel et une croissance excessive des crédits bancaires (lending boom), l’un et l’autre associés à un bas niveau de réserves. Tornell (1999) généralise ces résultats pour les deux crises mexicaine et asiatique. Il en résulte que l’éruption ou la propagation des crises financières prend toujours appui sur certaines faiblesses intrinsèques des économies affectées. Toute économie quelle qu’elle soit, fût-elle la plus puissante du monde, présente toujours quelques faiblesses pour peu qu’on l’étudieattentivement (Allegret et Sandretto, 2000).

Dès lors, les développements théoriques récents notamment les modèles avec clause de sortie, ont donné à cette intuition une certaine consistance. On doit à Olivier Jeanne 15 la mise en forme théorique la plus accomplie de cette thèse. Hormis l’éventualité de fondamentaux soit très favorables, soit franchement défavorables, il existerait une zone intermédiaire critique caractérisée par des équilibres multiples au sein de laquelle une attaque spéculative peut intervenir, que l’on peut qualifier d’auto-réalisatrice dans la mesure où elle résulte non pas d’une modification des fondamentaux, mais d’un changement de comportement des opérateurs. L’attaque spéculative, même si elle est difficilement prévisible, n’est pourtant pas totalement aléatoire puisqu’elle résulte d’une fragilité antérieure de l’économie, c’est-à-dire de son entrée dans la zone à risque, induite par une dégradation antérieure de ses fondamentaux. En se basant sur ce raisonnement, une crise est réputée être contagieuse non pas parce qu’elle serait indépendante des fondamentaux du pays, mais parce que les vulnérabilités sous-jacentes de celui-ci n’ont pas été perçues (ou perçues comme telles) par les agents. La crise joue alors le rôle de ‘wake-up call’ et de processeur d’information en conduisant les opérateurs à réinterpréter différemment l’information dont ils disposaient antérieurement (Goldestein, 1998) 16 . L’imbrication entre la contagion et les fondamentaux s’opère donc à travers les croyances des investisseurs. Les modèles avec clause de sortie fournissent dès lors un cadre théorique consistant pour étudier la question de cette imbrication dans les crises financières internationales et plus particulièrement dans les crises de change. Cette thèse tente alors de répondre au questionnement suivant :

Le changement des anticipations des investisseurs, véhiculé par la bifurcation des fondamentaux, est-il relié à un évènement publiquement observable comme la réalisation d’une crise dans un autre pays?

Dès lors, pouvons-nous vérifier empiriquement une contagion imbriquée avec l’effet des fondamentaux dans le changement des croyances des investisseurs internationaux?

Bien que la première question soit traitée par certains travaux théoriques, la deuxième question reste jusqu’à nos jours non débattue vu les difficultés empiriques qui en découlent. En effet, le pionnier dans ce domaine est Masson (1999a) qui montre, à partir d’un modèle avec clause de sortie, qu’une crise dans un pays peut coordonner et polariser les anticipations des investisseurs sous une condition nécessaire sur la fragilité antérieure de l’économie.Chang et Majnonie (2002) montrent qu’une crise dans un autre pays mène les investisseurs à mettre à jour rationnellement leurs croyances à propos des fondamentaux dans d’autres pays. Goldestein et Pauzner (2004) précisent cette idée en montrant comment l’état des fondamentaux peut constituer une connaissance commune (common knowledge) jouant un rôle catalyseur dans le comportement stratégique des investisseurs. C’est le cas notamment avec l’augmentation de laprime du risque engendrée par la réalisation d’une crise dans un autre pays. Ces travaux, bien qu’ils aboutissent à des résultats théoriques intéressants concernant l’imbrication entre la contagion et les fondamentaux, ne permettent cependant pas de vérifier empiriquement leurs modèles théoriques sur lesquels ils se fondent dans le cadre des récentes crises financières.

Plus généralement, les travaux empiriques sur la contagion comportent encore aujourd’hui certaines limites. Ces travaux identifient en effet la contagion sans intégrer les fondamentaux (les travaux de notre premier axe), ou ils vérifient la complémentarité entre la contagion et les fondamentaux mais en se plaçant du point de vue du pays en crise en omettant les croyances des investisseurs sur le marché des changes (Eichengreen et alii, 1996 ; Sachs, Tornell et Velasco, 1996 ; Cerra et Saxena, 2002). Ces travaux testent la présence de la contagion d’une manière ad hoc sans un fondement basé sur un modèle théorique. C’est la raison pour laquelle, nous nous efforçons, dans cette thèse, d’identifier la contagion en estimant empiriquement un modèle avec clause de sortie qui permet d’expliquer le changement des anticipations des investisseurs par l’imbrication entre la contagion et les fondamentaux.

Enfin, les résultats de notre recherche ont des implications importantes en terme de politiques économiques. Ils revêtent un intérêt crucial dans les décisions des autorités monétaires. Ils conditionnent en effet la définition des mesures à mettre en place afin d’éviter la contagion et réduire la vulnérabilité aux chocs externes. Si les crises sont largement transmises via des canaux temporaires qui existent seulement pendant la crise, comme c’est le cas de la contagion, les autorités ont alors intérêt à adopter des stratégies d’insularisation de court terme, comme par exemple l’application des contrôles de capitaux. A l’inverse, si les crises sont transmises constamment via des canaux permanents qui existent aussi bien durant la période de tranquillité et durant la période de crises, ces stratégies de court terme risquent de ne pas suffire pour prévenir durablement les crises. Il convient dès lors, de privilégier des solutions globales ou, à tout le moins, s’appuyant sur le renforcement de la coordination internationale, notamment pour réduire les fluctuations excessives des taux de change et des taux d’intérêt. Par ailleurs, si les crises sont produites par des causes endogènes (fondamentaux), alors la charge de la prévention et de la résolution des crises incombe aux pays émergents eux-mêmes, auxquels échoit la tâche de conduire la nécessaire « remise en ordre », le « nettoyage intérieur », le “Good Housekeeping”, de leur économie (renforcement du contrôle prudentiel, meilleure gestion macroéconomique, etc.), afin d’éliminer ces causes de vulnérabilité.

Notes
1.

Une crise financière peut être une crise de change qui est définie par Kaminsky et alii (1998) comme étant une situation dans laquelle une attaque, réussie ou non, sur la monnaie, mène à une dépréciation aiguë, un déclin dans les réserves internationales ou une combinaison des deux cas précédents quel que soit le régime de change. Cf. Jeanne (2003) pour une discussion des définitions des autres crises bancaire et de la dette souveraine et cf. Boucher (2004) pour une définition de la crise boursière.

2.

Jeanne (2003) considère également que la fuite des capitaux pourrait être en soi une crise de la balance des paiements.

3.

BRI (1999).

4.

Par souci de clarté, nous réserverons les expressions « contagion » et « contamination » à la seule contagion pure (au sens de P. Masson)et le mot « transmission » pour désigner une contagion clairement liéeaux mécanismes d’interdépendances via les liens commerciaux et financiers. Le terme « propagation » sera employé de manière générique couvrant l’une ou l’autre de ces deux logiques.

5.

Une analyse critique des approches basées exclusivement sur les causes endogènes ou exogènes est donnée par Sandretto (2000) et Allegret et Sandretto (2000).

6.

Pour une revue exhaustive des travaux théorique qui étudient la crise de coordination, voir Cornand (2005).

7.

Azariadis et Guesnerie (1982) définissent une prophétie auto-réalisatrice dans un contexte temporel tel qu’une prévision influence les faits d’aujourd’hui et détermine les conditions de sa propre réalisation.

8.

« Une attaque spéculative est une vente massive de monnaie domestique sur le marché des changes, qui traduit une perte de confiance dans la capacité de la banque centrale domestique à échanger chaque unité de monnaie nationale contre son équivalent en monnaie étrangère au taux de change fixe prévalant grâce à son montant de réserves »selon la définition de Cornand (2005).

9.

Ces modèles dits de deuxième génération dans la littérature des crises de change.

10.

Nous utilisons dans ce contexte le terme « coordination » afin de désigner seulement un phénomène de polarisation des croyances du marché vers un seul équilibre.

11.

Le concept d’interdépendance est qualifié aussi dans certains travaux par la contagion fondamentale(Kaminsky et Reinhart, 2000).

12.

Cf. Glick et Rose (1999) et Van Rijckeghem et Weder (2001) pour une étude empirique du rôle des liens commerciaux.

13.

Les théories contingentes aux crises comportent deux autres mécanismes : le mécanisme des chocs endogènes de liquidité et le mécanisme d’économie politique. Cf. Forbes et Rigobon (2001), pour en savoir davantage sur ces différents mécanismes.

14.

Cf. notamment T. Veblen (1904).

15.

Jeanne (1997).

16.

Nous reviendrons sur ce point avec plus de détails dans le chapitre 1.