Apport et structuration de la thèse

L’objectif de cette thèse, comme nous l’avons déjà signalé, est d’étudier la contagion des crises financières internationales au cours des années quatre-vingt-dix. Nous nous intéressons plus particulièrement à l’identification empirique de l’effet de la réalisation d’une crise dans un pays sur la réaction des investisseurs internationaux dans les marchés financiers des autres pays, en tenant compte des autres facteurs de déclenchement de la crise comme l’interdépendance des économies et les fondamentaux.

L’apport de notre recherche est triple.

  1. Il est tout d’abord théorique. Dans cette thèse nous nous efforçons en effet de combler le déficit explicatif que constitue la notion de tache solaire dans les modèles d’attaques spéculatives, en nous affranchissant de cette notion. Simultanément notre thèse tend à montrer que la contagion n’exclut pas le rôle de l’interdépendance et des fondamentaux dans les crises financières internationales. Ces deux facteurs sont vérifiés empiriquement dans le cadre d’un ensemble de crises financières récentes.
  2. Nous proposons dans cette thèse une nouvelle procédure qui consiste à identifier la contagion en testant la non-linéarité des mécanismes de propagation des chocs estimés à travers un modèle d’interdépendance de long terme. Par comparaison avec les travaux antérieurs ayant trait au débat interdépendance/contagion, cette nouvelle approche met l’accent sur l’utilisation de l’interdépendance de long terme dans l’identification de la contagion. Elle nous permet aussi de résoudre des problèmes techniques liés à la définition des périodes de crise.
  3. Nous identifions la contagion tout en vérifiant sa complémentarité avec les fondamentaux en estimant un modèle avec clause de sortie. Nous montrons qu’une crise réalisée ailleurs constitue une cause explicite du changement des anticipations des agents Notre essai empirique montre aussi la réalisation d’une crise auto-réalisatrice en Corée. Nous confirmons dès lors le résultat de Ratti et Seo (2003), en utilisant une méthodologie différente de celle employée par ces auteurs. A notre connaissance, l’article de Ratti et Seo est la seule tentative de vérification empirique du caractère auto-réalisateur de la crise coréenne.

Dans un premier chapitre, nous retraçons l’évolution de la théorie des crises financières internationales et notamment des crises de change en présentant les différents mécanismes qui engendrent les attaques spéculatives. La contagion constitue l’un de ces mécanismes. Dans ce chapitre, nous présentons les modèles traditionnels de crises de change et financières et nous évoquons les problèmes qui en découlent en termes d’indétermination liée aux facteurs qui coordonnent les croyances des investisseurs internationaux vers le mauvais équilibre avec attaques spéculatives. Nous synthétisons ensuite les travaux théoriques qui ont tenté de pallier cette indétermination. Nous accordons une attention toute particulière au modèle de Jeanne (1997) qui a apporté, à l’aide d’une modélisation avec clause de sortie, des solutions par la bifurcation des fondamentaux sans pour autant pouvoir résoudre complètement le problème de l’exogéneité de la variable « tache solaire ». Cependant, ce modèle est le point de départ de nouvelles pistes de recherches que nous présenterons en passant en revue les travaux les plus récents. Cette présentation de la littérature nous conduit à nous interroger sur la concomitance entre la contagion et le phénomène d’interdépendance, conjointement au jeu des fondamentaux.

Le deuxième chapitre propose une vérification empirique préalable de la pertinence des facteurs d’interdépendance et des fondamentaux précédemment évoqués, avant de proposer deux essais empiriques pour l’identification de la contagion (chapitre 3 & 4). Dans ce chapitre, nous étudions les différents mécanismes possibles d’interdépendance. Nous distinguons trois canaux : (i) les chocs communs, (ii) les liens commerciaux et (iii) les liens financiers. La vérification empirique de ces différents canaux lors des crises financières récentes, a inspiré une littérature abondante. Il nous faut toutefois constater que ces travaux tendent à opposer les facteurs d’interdépendance aux fondamentaux dans l’explication des crises financières récentes. Par contre, nous considérons que ces deux catégories de facteurs sont complémentaires et non alternatives. Nous proposons ainsi une étude empirique qui vise d’une part à étayer cette intuition et d’autre part à montrer la significativité de l’interdépendance et des fondamentaux dans les crises financières des années quatre-vingt-dix. Ce résultat vient accréditer notre intuition de la nécessité d’intégrer les facteurs interdépendance et les fondamentaux dans l’étude de la contagion des crises financières récentes.

Le troisième chapitre propose une étude empirique sur l’identification de la contagion dans le contexte d’une crise financière dont la transmission se réalise entre des économies fortement interdépendantes comme ce fut le cas de la crise asiatique de 1997. Après avoir discuté les différentes définitions empiriques de la contagion, nous adoptons celle de Forbes et Rigobon (2002) qui caractérise la contagion par la non stabilité des canaux de transmission des chocs après la crise. En effet, cette définition suppose a priori l’existence des canaux de transmission, même avant la crise, qui reflètent la forte interdépendance entre les économies étudiées. Nous testons la présence de contagion durant la crise financière asiatique en utilisant deux méthodologies. Nous utilisons dans un premiers temps le test de Rigobon (2003). Ce test est appliqué dans un cadre commun aux marchés boursiers et aux dettes souveraines (spreads) dont l’évolution permet de saisir la perception du risque par les investisseurs internationaux. Nous proposons dans un second temps une nouvelle procédure qui consiste à tester la non-linéarité des mécanismes de propagation des chocs estimés à travers un modèle d’interdépendance de long terme. Nous appliquons cette méthodologie aux marchés des dettes souveraines seulement, puisque les marchés boursiers ne vérifient pas une condition nécessaire de co-intégration. Nos résultats montrent la contamination de la Malaisie et des Philippines par le phénomène de contagion.

Enfin, le quatrième chapitre propose une méthodologie qui permet d’identifier la contagion en montrant son imbrication avec une certaine dégradation sous-jacente des fondamentaux. L’idée principale est de considérer que cette imbrication ne se réalise que dans le cadre d’une crise auto-réalisatrice. Nous nous inspirons du travail de Jeanne et Masson (2000) et nous proposons une vérification empirique d’un modèle avec clause de sortie à travers le modèle avec changement de régime de Markov (MSR). Nous étendons ce dernier en modélisant les probabilités de transition entre les états en fonction d’un indice de crise dans un autre pays ailleurs. La supériorité statistique de cette dernière spécification montre la présence d’une contagion imbriquée avec une certaine bifurcation des fondamentaux. L’application de cette méthodologie à la crise de change coréenne montre que celle-ci est une crise auto-réalisatrice. Les attaques spéculatives dans ce cas sont expliquées aussi bien par la bifurcation de fondamentaux que par la réalisation de la crise thaïlandaise.