1.2.1. Attaques spéculatives auto-réalisatrices et équilibres multiples

Dans ce qui suit, nous présentons une explication formelle inspirée de celle de Grauwe (1999), dans laquelle les spéculateurs provoquent la dévaluation indépendamment des fondamentaux. Nous montrons dès lors la réalisation d’une situation d’équilibres multiples qui mène à des attaques spéculatives auto-réalisatrices.

A l’égard de Grauwe (1999), nous supposons que la parité de pouvoir d’achat (PPA) ainsi que la théorie quantitative de la monnaie sont vérifiées à long terme. Nous pouvons ainsi écrire le modèle comme suit :

Dans cette présentation, S définit le taux de change bilatéral fixe à l’incertain entre notre économie et le reste du monde. P et P* définissent respectivement les niveaux généraux du prix intérieur et celui relatif au reste du monde. M et M* sont les montants de la masse monétaire à l’équilibre respectivement de notre économie et de celui du reste du monde. Les variables k, m et m* sont des proportionnalités supposées constantes. Nous allons utiliser ces proportionnalités pour des raisons de simplification. Il est évident que m dépend du niveau de la production et de la vitesse de circulation de la monnaie, qui déterminent la théorie quantitative de la monnaie.

L’équation (14) définit la relation de PPA absolue. Les équations (15) et (16) sont des relations déduites de la théorie quantitative de la monnaie vérifiée dans notre économie et dans le reste du monde. En effet, cette théorie montre que les variations du niveau général des prix dans une économie sont déterminées proportionnellement à celles de la masse monétaire.

En substituant les deux équations (14) et (15) dans l’équation (16), nous aurons :

Cette équation montre que le taux de change est une fonction positive de la masse monétaire. En d’autres termes, si la masse monétaire M augmente, le taux de change S augmentera (la monnaie se dépréciera) alors dans la même proportion. Cette relation n’est vérifiable, bien sûr, que dans le cas où tous les autres variables resteraient constantes. Il faut noter aussi que nous déduisons de l’équation (17) la relation suivante : si la Banque Centrale veut assurer la fixité du taux de change, elle doit égaliser le taux de croissance de son offre de monnaie avec celui du reste du monde. Ainsi, la fonction S = f (M) peut être représenté graphiquement comme une fonction linéaire.

Soit le graphique (2) qui représente le modèle d’équilibre (représenté par l’équation 17) du marché des changes :

Chapitre 1 - Graphique 2 : Multiplicité des équilibres
Chapitre 1 - Graphique 2 : Multiplicité des équilibres

Nous supposons qu’une autorité monétaire opte pour un taux de change fixe S 2 . Elle doit désormais offrir en contre-partie un montant M 2 de monnaie afin d’assurer une politique monétaire cohérente qui reflète la bonne crédibilité du régime. Dans ce cas, l’économie est en équilibre sans aucun problème de manque de confiance. Toutefois, Grauwe (1999) a considéré que cette conclusion est fallacieuse. En fait, dans un régime de change fixe, il existe une infinité de combinaison (S, M) qui peut assurer la viabilité du régime (par exemple les couples (S 1 , M 1 ) et (S 2 , M 2 ), d’où la multiplicité des équilibres).

Dans ce cadre et sous l’hypothèse de prévisions parfaites, les investisseurs sont conscients de la possibilité de toutes ces combinaisons des équilibres. Alors, ils effectuent une attaque offensive (précoce) en cédant leurs avoirs en monnaie nationale à un taux S 2 dans l’espoir que si l’attaque est importante, l’autorité optera pour une autre combinaison d’équilibre (S 3 , M 3 ), ce qui leur permettra de se procurer des gains substantiels. Dans ce cas, la Banque Centrale doit faire des arbitrages entre les coûts de la défense contre ces attaques spéculatives (la défense par une hausse du taux d’intérêt engendre des coûts économiques importants en terme de chômage par exemple) et les avantages (la défense de la parité permet d’aboutir à des objectifs à long terme comme le maintien de la crédibilité du régime). A la suite de cet arbitrage, si les coûts de défense sont supérieurs aux coûts de réalignement, le gouvernement sera incité à céder aux investisseurs et à procéder à une dévaluation dans une seconde période, ce qui valide ex post l’attaque réalisée par les investisseurs dans la première période. L’attaque dans ce sens est qualifiée d’auto-réalisatrice puisque sachant la fonction de réaction des autorités monétaires, les spéculateurs peuvent se coordonner et prendre l’initiative d’une attaque sans aucune référence aux fondamentaux. La coordination des spéculateurs sur un équilibre ou un autre, est ainsi véhiculée par une variable exogène de type tache solaire (sunspot) (Jeanne 1996).

Le comportement optimisateur de l’autorité monétaire dans son arbitrage entre le coût de la défense du régime de change et le coût de la sortie, a amené les travaux dans la littérature relative aux modèles des attaques spéculatives à revoir la définition des fondamentaux qui déterminent l’occurrence d’une crise de change. D’après l’expression de Jeanne (1996), les fondamentaux deviennent « élargis » et sortent du cadre des politiques monétaire et budgétaire. Dès lors, même les attaques spéculatives auto-réalisatrices ne sont plus déconnectées des fondamentaux, puisqu’elles ne peuvent apparaître que lorsque ceux-ci sont suffisamment dégradés comme l’exemple cité ci-dessus de la hausse du chômage suite à une défense de la parité (Jeanne, 1996). Dès lors, les fondamentaux sont alors définis comme les variables macroéconomiques qui influencent le cours de la politique monétaire anticipé par le marché des changes selon l’expression de Jeanne (1996). Une telle définition suppose nécessairement une endogénéisation des fondamentaux. A cet égard, une nouvelle approche avec « clause de sortie » vient étendre la modélisation avec les attaques spéculatives afin de bien comprendre quelles sont les conditions économiques qui permettent d’expliquer le comportement de l’autorité monétaire dans le cadre d’une situation de multiplicité d’équilibres.