1.2.3 Autres travaux avec clause de sortie : apports et limites

Plusieurs autres travaux ont essayé de démontrer l’idée d’Obstfeld en s’inspirant également de l’approche avec clause de sortie. Cependant, ils ont utilisé plusieurs variables fondamentales outre les dettes publiques utilisées dans l’opération d’arbitrage réalisée par le gouvernement. Dans ces travaux, on a introduit par exemple le niveau de production, le taux d’inflation et le taux de chômage. Ozkan et Sutherland (1995) ont présenté un modèle dans lequel la fonction objectif du gouvernement dépend positivement de certains bénéfices dérivés du maintien du taux de change (tel que l’augmentation de la crédibilité en matière de maîtrise de l’inflation) et négativement de la déviation de la production de son niveau visé (puisque l’augmentation du taux d’intérêt étranger provoque l’ascension du taux d’intérêt domestique et la baisse du niveau de production). Ainsi, ils ont suggéré que seul le taux de change peut être le moyen utilisé par le gouvernement pour contrebalancer la perte dans la production. Ils ont supposé aussi que le secteur privé soit conscient du comportement optimisateur du gouvernement et semble donc capable d’anticiper l’effondrement du régime en se basant sur le différentiel du taux d’intérêt, d’où une interaction entre les anticipations du secteur privé et le problème d’optimisation de l’autorité. Cependant, Jeanne (2000) et Masson et Jeanne (2000) construisent des modèles avec clause de sortie où ils utilisent le taux de chômage comme la variable fondamentale qui influence la tentation du gouvernement de sortir du régime de change. Andersen (1998) utilise, quand à lui, le taux d’inflation afin de mesurer les coûts du maintien.

On a utilisé également dans la littérature, des variables macroéconomiques qui interviennent même indirectement dans la fonction objectif du gouvernement comme par exemple le taux de change réel et la structure de la dette publique. Cole et Kehoe (1996) présentent un modèle de crise de dette, interprété également comme un modèle de crise de change dans lequel les fondamentaux qui déterminent la crise incluent le niveau et la structure de la maturité de la dette. Si les investisseurs internationaux ne retournent pas leurs prêts à court terme au gouvernement, ce dernier a, alors, le choix entre deux options coûteuses : réduire les dépenses publiques ou abandonner la parité. Les incitations à la dévaluation dépendent aussi bien de la maturité de la dette que sa taille.

En plus de ces variables macroéconomiques qualifiées de « fondamentaux durs » (Jeanne 2000), qui sont observables et mesurables, les fondamentaux inclut également des variables qualifiées de « douce » comme la réputation des décideurs politiques et le degré de coopération dans les règles du jeu des participants au marché des changes. Ces nouvelles variables sont non observables mais elles font partie des déterminants fondamentaux de la stabilité de la monnaie de la même manière que le chômage ou la balance commerciale. D’autant plus, les gouvernements cherchent souvent à adopter des stratégies qui permettent d’améliorer la réputation de la dureté des autorités monétaires dans le maintien de la parité (Jeanne, 2000), ce qui montre l’importance d’une telle variable dans la fonction objectif du gouvernement. La réputation du décideur politique, a été intégrée dans un modèle avec clause de sortie par Drazen et Masson (1994) afin qu’ils puissent expliquer la non stabilité du lien entre le chômage et la crédibilité de l’ancrage fixe. Pour ce faire, ils ont supposé l’hypothèse d’une asymétrie d’information entre le marché de change et le gouvernement ; les spéculateurs sur le marché de change ne savent pas le degré de réticence du gouvernement vis-à-vis de la dévaluation. Ils montrent alors que l’augmentation du taux de chômage ne diminue pas la crédibilité mais, au contraire, cela peut la renforcer par un effet réputation : ne pas dévaluer signale au marché que les autorités monétaires ne dévaluent pas facilement. Drazen et Masson (1994) confirment également empiriquement ce point sur le franc français lors de la crise SME.

Bensaid et Jeanne (1997, 2000) discutent la question du cercle vicieux qui mène à une sorte de guerre d’usure entre les autorités monétaires et les spéculateurs. Ils utilisent un modèle avec clause de sortie dans lequel le maintien de la parité, est très coûteux pour le gouvernement. Les spéculateurs conscients sont incités ainsi à attaquer jusqu’à ce qu’ils obligent l’autorité monétaire, même si elle est « dure », à abandonner l’ancrage. D’après ces auteurs, ce scénario était clairement observable lors de la crise du SME de 1992-93.

Nous pouvons noter que tous ces travaux à « la Obstfeld » (en utilisant l’approche avec clause de sortie) montrent leur efficacité dans l’explication de la crise du SME en modélisant une situation de multiplicité des équilibres. En plus de cette réussite, ces travaux présentent un apport considérable par rapport aux travaux précédents. La première contribution est la reconsidération de la notion de « fondamentaux ». Cette dernière recouvre, dans les modèles avec clause de sortie, plus de variables macroéconomiques que dans les modèles basés sur les attaques spéculatives. Elle englobe toute variable qui influence la décision du décideur politique concernant la défense ou le maintien de la parité. Comme nous l’avons discuté ci-dessus, ces variables peuvent être observables (qualifiées par des variables « durs ») comme par exemple le chômage, ou non observables comme les croyances des spéculateurs (qualifiées par des variables « douces »).

La seconde contribution des modèles avec clause de sortie, est qu’ils ont fourni une nouvelle théorie des attaques auto-réalisatrices et des équilibres multiples. En effet, cette situation des équilibres multiples est engendrée par une endogénéisation des fondamentaux, ce qui fait que la causalité ne joue plus dans un seul sens - exclusivement des fondamentaux vers les anticipations du marché - mais elle fonctionne des deux sens. En ce sens, ce type de modèle repose moins sur les « tache solaire » (Cornand, 2005), puisque, les anticipations de dévaluation dépendent de la réaction du gouvernement qui dépend également du coût de réalignement en terme des fondamentaux. En d’autres termes, les fondamentaux peuvent causer l’occurrence d’une crise mais en un sens beaucoup plus faible que celui suggéré par les modèles d’attaques spéculatives. Certain auteurs acceptent également que même lorsque les fondamentaux demeurent identiques, la crise puisse se produire (Cornand, 2005).

Toutefois, ces travaux présentent néanmoins plusieurs limites et problèmes que nous résumons comme suit :