2.2.4. Evaluation empirique des modèles de bifurcation

Les travaux empiriques qui s’intéressent aux modèles avec clause de sortie, où on met l’accent sur la bifurcation des fondamentaux afin d’expliquer le changement dans les croyances du marché, ne sont pas nombreux dans la littérature des crises de change. Cela est dû à la difficulté de l’estimation des modèles structurels non linéaires avec équilibres multiples. Jeanne (1997) estime un modèle avec clause de sortie pour la crise française en utilisant des données mensuelles de 1991 à 1993. Pour ce faire, il procède par maximisation de la fonction de vraisemblance. Bien qu’il y avait des périodes associées à une faiblesse des fondamentaux – notamment un taux de chômage élevé – Jeanne (1997) trouve que le saut dans les croyances qui a été réalisé en septembre 1992, au premier trimestre de 1993 et en juillet 1993, est bien interprété comme une attaque spéculative auto-réalisatrice. Ce qui est très intéressant c’est qu’il trouve que les fondamentaux bifurquent vers le mois d’août 1992 juste avant la crise de septembre 1992.

Dans la lignée du travail de Jeanne (1997), tout récemment Ratti et Seo (2003) ainsi que Bratsiotis et Robinson (2004) tentent d’estimer un modèle structurel non linéaire avec équilibres multiples. Pour ce faire, Ratti et Seo (2003) utilisent des données coréennes relatives à la crise de change de 1997. L’estimation de leur modèle avec la méthode du maximum de vraisemblance fournit quelques évidences concernant la Corée qui s’est trouvée dans une zone d’équilibres multiples avec des spéculations auto-réalisatrices durant la période 1997 et 1998. En effet, leurs résultats suggèrent que la Corée a pu avoir été vulnérable aux équilibres multiples et aux spéculations auto-réalisatrices dès janvier 1997 durant les faillites bancaires. Ils montrent également que les fondamentaux de la Corée, sont entrés dans une zone d’équilibres multiples vers le mois d’octobre 1997 jusqu’à mars 1998. Cette situation réapparaît en mai et juin 1998 avant que les fondamentaux se stabilisent en juillet 1998. Ils concluent ainsi que leurs résultats confirment le rôle de la faiblesse des fondamentaux et des croyances auto-réalisatrices dans l’explication des crises de change.

Bratsiotis et Robinson (2004) considèrent un modèle de stabilisation de la dette sous un régime de change fixe, dans lequel une crise de change peut être due à une spéculation auto-réalisatrice suivant une bifurcation dans le comportement des fondamentaux. Ils construisent, dans un premier temps, un modèle théorique comme celui de Jeanne (1997) en modifiant les fondamentaux. Ils utilisent, en plus du taux de chômage, les dettes publiques. Dans un deuxième temps, ils exploitent le test paramétrique de Jeanne (1997) afin de tester la présence des croyances auto-réalisatrice durant la crise mexicaine 1994. Sur des données mensuelles pour la période de janvier 1993 à septembre 1995, leurs résultats suggèrent que des attaques spéculatives ont vu le jour dans la crise mexicaine. Ils trouvent aussi que la situation des équilibres multiples a été engendrée par la bifurcation dans les dettes publiques (tesebonos), le taux de change réel, le taux de chômage et le déficit de la balance commerciale.

Les conclusions ci-dessus ont été largement critiquées puisqu’elles sont présentées par défaut. En effet, dans ces travaux, on interprète l’excessive volatilité dans les anticipations de dévaluation comme l’évidence des équilibres multiples sans pour autant tester d’autres alternatives possibles. Pour Jeanne (2000), cette objection est très sérieuse parce que ces modèles avec des équilibres multiples peuvent être analogues à des modèles de fondamentaux avec apprentissage rationnel 31 .

Malgré ce développement intéressant dans la modélisation des crises de change, même les économistes qui supportent la thèse des spéculations auto-réalisatrices, expriment une certaine insatisfaction concernant l’état de la modélisation des équilibres multiples. En effet, il serait plus intéressant dans ces modèles de bifurcation, de relier la variable « tache solaire » qui coordonne les anticipations de tous les participants du marché pour sauter d’un équilibre à un autre, à un événement qui est publiquement observable. Quelques travaux ont été réalisés dans cette direction (Masson, 1999a ; Change et Majnoni, 2002 ; Botman et Jager, 2002). En s’inspirant des modèles avec clause de sortie, ces travaux ajoutent à la contribution de la bifurcation, une modélisation théorique du mécanisme de la contagion.

Notes
31.

Voir la section 2.1 de ce chapitre pour une description de ce type de modèle.