3. La contagion dans les modèles avec clause de sortie

Dans les pages qui précèdent, nous avons abordé la question de la difficulté de l’explication de la coordination des acteurs dans le contexte de multiplicité des équilibres. Nous avons présenté ainsi les principaux travaux qui ont tenté d’expliciter les mécanismes de la coordination. Nous avons distingué deux approches : La première a discuté le comportement mimétique des acteurs dans un environnement dicté par l’asymétrie et l’imperfection d’information. La deuxième approche relie la variable « tache solaire » (une variable exogène, non pertinente par définition qui coordonne implicitement les anticipations des acteurs) au comportement dynamique des fondamentaux. Ce dernier est publiquement observable, ce qui permet d’expliciter partiellement cette variable tache solaire. Nous avons ainsi accordé une attention particulière au modèle de bifurcation de Jeanne (1997). En effet, des fondamentaux qui ne sont ni mauvais, ni bons, peuvent être l’évènement observé par tous les participants du marché, qui les incite à coordonner et attaquer suite à une bifurcation. Dés lors, nous assistons à un saut entre les équilibres lié au changement du comportement des opérateurs, ce qui caractérise la crise auto-réalisatrice.

L’explication partielle de la tache solaire par la bifurcation laisse encore une indétermination dans la littérature sur les crises de change. La nécessité de relier cette variable à un événement publiquement observable, a poussé les travaux en la matière vers la question de la contagion. Les modèles avec clause de sortie fournissent un cadre naturel dans lequel nous pouvons réfléchir sur la question de la contagion (Jeanne, 2000). En effet, plusieurs travaux sur la contagion adoptent cette approche avec clause de sortie. Le pionnier était Masson (1998, 1999a) qui suppose que la contagion peut être considérée comme la conséquence d’une situation d’équilibres multiples.

Par analogie à la littérature des crises bancaires (Diamon et Dybvig 1983), Masson (1998, 1999a) s’affranchit, lui aussi, des explications de type « tache solaire ». Si cette dernière qui coordonne les anticipations du marché, est corrélée entre un ensemble de pays, on peut assister à l’occurrence de plusieurs crises en même temps dans des différents pays indépendamment de leurs caractéristiques fondamentales – sachant bien évidemment que les fondamentaux de ces pays sont dans une zone d’équilibres multiples. En effet, la contribution du travail de Masson (1999a) était de considérer qu’une crise dans un pays voisin (constituant une variable exogène, publiquement observable) peut coordonner aussi les anticipations des acteurs en les polarisant vers le mauvais équilibre avec attaques spéculatives. La crise auto-réalisatrice tend alors à devenir systémique (Jeanne, 2000). Masson a qualifié ce phénomène de « contagion pure ». Cette qualification est liée au fait que c’est une contagion qui n’est pas expliquée ni par des interdépendances avec le pays originaire de la crise, ni par des problèmes de fondamentaux du pays contaminé. En fait, la contagion est définie par Masson comme un phénomène incluant des changements dans les anticipations du marché, qui n’est pas expliqué par la bifurcation dans les fondamentaux macroéconomiques. Néanmoins, ces derniers doivent être dans une zone critique afin de s’assurer de la multiplicité des équilibres.

Le modèle de Masson (1999a) est considéré dans la littérature comme une extension des travaux de la deuxième génération avec les modèles de type « tache solaire » qui sont caractérisés par la possibilité de plusieurs équilibres et des attaques spéculatives auto-réalisatrices. En fait, les modèles de ce type seulement sont capables de produire la vraie contagion ou contagion (Masson, 1998). Cependant, une meilleure implication des modèles de type « tache solaire » ne se fait que si nous exigeons une certaine frange de fondamentaux (Jeanne, 1997). Dés lors, le modèle de Masson (1999a) ne permet pas de prévoir le « timing » du saut entre les équilibres, mais il présente une possibilité de prédiction concernant la vulnérabilité à la contagion.