Chapitre 2 : Les déterminants des crises financières récentes des pays émergents

Introduction

Le travail de Masson (1999a) présenté dans le chapitre précèdent, a mis d’une part l’accent sur la complémentarité de la contagion auto-réalisatrice 42 et les fondamentaux et a montré d’autre part la présence des autres mécanismes de propagation des crises financières comme la contamination à travers une dévaluation concurrentielle ou un choc commun (monsoonal effect). Forbes et Rigobon (2001) ajoutent à ces deux derniers vecteurs le canal des liens financiers (Kaminsky et Reinhart, 2000) et définissent un processus d’interdépendance qui permet la transmission de la crise dans le cadre d’une contagion régionale. Cette interdépendance peut, en effet, transmettre des chocs locaux (exemple : choc dans un pays originaire de crise) ou globaux (exemple : choc mondial) à travers des liens commerciaux ou financiers. Ce type de transmission n’est donc pas considéré dans la plupart des travaux comme une contagion au sens stricte du terme (Dornbusch et alii, 2000). Elle est parfois qualifiée par la « contagion fondamentale » (fundamentals-based contagion, Kaminsky et Reinhart, 2000).

A l’instar de plusieurs travaux antérieurs, nous essayons, dans ce chapitre, de vérifier empiriquement l’importance de ce type de transmission, notamment pour les crises récentes (mexicaine 94, asiatique 97 et russe 98) qui tendent à être régionale plus que globale à l’exception de la crise russe (Glick et Rose 1999), vu la forte intégration financière et commerciale qui caractérise les pays affectés.

L’hypothèse que nous voulons tester, dans ce second chapitre est que nous pouvons gagner en pouvoir explicatif en combinant – plutôt qu’en opposant comme on le fait le plus souvent – les deux schémas d’interprétation des crises financières récentes basés soit sur les fondamentaux c’est-à-dire sur une explication qui privilégie la fragilité préexistante des économies affectées, soit sur la contamination à travers des mécanismesvariés de contagion fondamentale. Notre intuition est que ces deux catégories de facteurs sont complémentaires et non alternatives. Notre contribution vise à étayer empiriquement cette intuition 43 .

Pour ce faire,nous avons estimé et comparé entre elles trois spécifications économétriques résumant les différentes explications possibles de l’origine des crises. Chacune de ces spécifications considère comme variable endogène, un indice résumant le degré et l’intensité de la crise. Afin d’assurer la robustesse de nos conclusions, plusieurs indices synthétiques des crises sont utilisés. Néanmoins, nous n’avons pas utilisé une variable dépendante binaire dans nos estimations à la manière de Frankel et Rose (1996), parce que notre objectif n’est pas de prévoir la crise, mais plutôt de l’expliquer à partir de l’effet direct des variables explicatives.

En nous basant sur des tests statistiques des modèles emboîtés classiques et des comparaisons des simulations des modèles avec les valeurs réelles, nous avons pu dégager la spécification qui résume le mieux la réalité observée. Nous montrons que quelque soit l’indice utilisé pour définir la crise, nous retenons le modèle avec imbrication des facteurs relatifs aux fondamentaux et ceux relatifs aux mécanismes de propagation. Nous établissons ainsi la supériorité d’une analyse en terme d’imbrication de ces deux types de facteurs dans l’explication des récentes crises financières des pays émergents, ce qui montre l’importance des mécanismes d’interdépendance. A ce jour, des éléments de preuve de cette supériorité ont pu être obtenus à travers des études dans le contexte particulier de tel ou tel facteur (Fondamentaux versus contagion fondamentale). Notre contribution fournit cette preuve pour les deux facteurs et pour l’ensemble des crises financières majeures de ces 10 dernières années et les principaux pays affectés par ces crises.

La suite de ce chapitre est organisée comme suit : la section 2 présente les différents canaux de la contagion fondamentale discutés dans la littérature. Dans cette section, nous passons également en revue des principales études empiriques. La section 2 explicite la méthodologie, discute les données et présente l’ensemble des résultats trouvés.

Notes
42.

Nous revenons à ce point, avec plus de détails, dans les deux chapitres suivants.

43.

Nous reprenons dans ce chapitre les résultats de Ayadi, Khallouli et Sandretto (2006). Cependant, nous n’allons pas discuter ici la question de l’imbrication entre les facteurs endogènes liés aux fondamentaux des économies affectées et des facteurs exogènes liés à la contagion qui comprend également la contagion pure. Afin d’expliciter cette dernière, Ayadi, Khallouli et Sandretto (2006) ont poussé les interprétations de la significativité des liens financiers à travers un créancier commun. Il ont, en effet, considéré que la forte présence d’un créancier commun la veille d’une crise, autorise de conclure de la présence de la contagion pure en se basant sur les hypothèses de Goldestein et Pausner (2004) à savoir l’effet du risque dans une situation de diversification, et les avancés intuitives de Masson (1999b) et Kumar et Persaud (2001). Toutefois, dans ce chapitre, nous considérons la présence du créancier commun comme étant la preuve d’une forte interdépendance financière qui génère la propagation de la crise.