1.1.3. Liens financiers

Vu l’importante de l’intégration financière qu’a connu le monde durant la dernière décennie, les liens financiers peuvent être aussi un autre canal de propagation des crises. En effet, une crise qui éclate dans un ou plusieurs pays peut inciter les investisseurs à rééquilibrer leurs portefeuilles dans un souci de gestion du risque ou de la liquidité. En fait, les investisseurs qui ont pris des positions sur un marché financier, cherchent généralement à compenser l’augmentation de leur exposition au risque. Cette compensation se fait par la vente des actifs dont le rendement est très variable et corrélé positivement au rendement des actifs du pays en crise. Ces investisseurs peuvent aussi être amenés à céder des actifs liquides pour d’autres motifs. Par exemple, lorsque la perte de valeur des actifs d’un pays en crise oblige un investisseur à mobiliser immédiatement des liquidités pour répondre à des appels de marge. Certains pays risquent donc de subir une hémorragie de capitaux sans rapport avec leurs données économiques fondamentales, pour la simple raison que leurs actifs sont jugés plus risqués à cause d’une crise survenue dans le reste du monde, ou tout simplement parce qu’ils sont plus liquides (FMI,1999).

En s’inspirant des travaux qui ont cherché à expliquer l’influence des facteurs risque et liquidité sur le comportement des investisseurs (Goldfajn et Valdes, 1997 ; Edison et alii, 1998), certains travaux ont essayé, par ailleurs, de se focaliser sur le mécanisme des liens financiers afin d’expliquer la propagation de la crise (Kaminsky et Reinhart, 2000 ; Pritsker, 2000 ; Allen et Gale, 1998).

Forbes et Rigobon (2000) ont distingué entre choc global de liquidité qui affecte simultanément les fondamentaux de plusieurs pays (ce choc est compatible avec l’effet de mousson discuté ci-dessus) et choc de liquidité qui incite les investisseurs à rééquilibrer leurs portefeuilles. Contrairement au premier, le second est endogène. Valdès (1997) est le premier qui a traité ce type de choc endogène. Il a développé un modèle dans lequel une crise dans un pays peut réduire la liquidité chez les participants au marché financier, ce qui les force à recomposer leurs portefeuilles. Ceux-ci vendent désormais des actifs dans d’autres pays afin de continuer à opérer dans le marché ou de satisfaire des appels de marges. Dans ce même contexte, Valdès a essayé d’expliquer la contagion entre les pays d’Amérique latine. Pour ce faire, il a étudié le comportement des investisseurs qui ont besoin de liquidité et qui opèrent sur des marchés présentant des problèmes de liquidités. Il a démontré ainsi que la probabilité de la réalisation d’une crise dans un pays est négativement affectée par le degré de liquidité d’autres pays.

Toutefois, d’après Kodres et Prisker (2001), ce facteur de choc de liquidité ne donne pas une explication complète de la contagion. En effet, dans ce cas, les participants au marché financier font appel à leurs actifs les plus liquides dans les marchés développés et non dans les marchés émergents. Ainsi, il est plus logique que les investisseurs rééquilibrent leurs portefeuilles, dans le cas du déclenchement d’une crise, par le motif du risque. Il est évident, tout de même, que ce facteur risque n’est plausible que si nous sommes en présence des investisseurs qui cherchent l’optimum à travers une diversification de leurs portefeuilles (Kyle et Xiong, 2000 ; Kodres et Pritsker, 2001). Schinasi et Smith (1999) ont présenté un modèle de contagion relié aux imperfections du marché. Ils ont tenté d’expliquer pourquoi une crise dans un marché peut être associée à des ventes massives dans d’autres marchés indépendants. Ils ont conclu que cette contagion peut être très bien expliquée par le comportement des investisseurs qui cherchent l’optimum en vendant les actifs les plus risqués.

Cependant, ce facteur risque qui influence fortement le comportement des investisseurs internationaux, joue aussi un rôle important dans le comportement des créditeurs communs (Kaminsky et Reinhart, 2000 ; Van Rijckeghem et Weder 2003), à travers la même logique. Les pays sont, également, interdépendants s’ils empruntent auprès des mêmes créditeurs. En effet, un pays avec un haut degré d’interdépendance avec un créditeur majeur qui souffre des conséquences d’une crise dans un autre pays, se trouve face à une forte chance d’être contaminé (Kumar et Persaud, 2001). Par analogie au comportement des investisseurs internationaux, lorsqu’une crise éclate, les principaux créanciers des pays en crise réexaminent leurs investissements et se désengagent financièrement d’autres pays pour rééquilibrer leurs portefeuilles.

Pesenti et Tille (2000) considèrent deux pays A et B. Une crise de change dans A réduit la capacité des emprunteurs domestiques à rembourser leurs emprunts aux banques extérieures. Face à cette large part des prêts non performants, ces banques étrangères reconstruisent leur capital par la révocation de quelques prêts dans d’autres pays. Les emprunteurs dans le pays B souffrent du freinage des crédits (crunch crédit) causé par l’impact de la crise de change dans le pays A sur leurs créditeurs. Cette révocation permet de comprendre qu’il puisse y avoir une transmission régionale de la crise, même si les banques révoquent leurs prêts indistinctement à l’égard de tous les pays débiteurs. On peut ajouter que le freinage des crédits s’avère plus aigu dans les pays qui dépendent plus des banques qui encourent des grandes pertes dues à la crise initiale. Malgré l’importance des prêts bancaires pour les pays d’Asie durant la dernière décennie, le canal de la transmission de la crise via l’interconnexion avec les mêmes prêteurs, et en particulier les banques commerciales étrangères, reste souvent ignoré dans la littérature de la contagion des crises financières internationales (Kaminsky et Reinhart, 2000).

Cependant, le mécanisme des liens financiers semble avoir eu une certaine influence lors des crises asiatique et russe (FMI, 1999). En effet, le rôle central joué par la fuite des capitaux durant la crise asiatique suggère que ces liens étaient spécialement importants (P. Pesenti et C. Tille 2000). D’après Masson (1999b), les facteurs risque et liquidité avaient joué un rôle assez plausible lors de la crise Russe (1998). En effet, à la veille de cette crise, les banques internationales ainsi que les investisseurs institutionnels avaient souffert des importantes pertes causées par leurs investissements dans la monnaie Russe.