2) Les leçons empiriques

Au niveau empirique, après avoir vérifié la pertinence des deux facteurs interdépendance et fondamentaux lors des récentes crises financières, nous nous sommes concentrés sur deux tâches : La première était de proposer une nouvelle méthodologie économétrique qui permet d’identifier la contagion dans le cadre d’une crise financière régionale caractérisée par une forte interdépendance. Cette nouvelle méthodologie nous a permis de résoudre certains problèmes d’ordre technique figurant dans les travaux antérieurs. La deuxième tâche consistait à combler un vide, celui lié à l’absence des travaux qui mettent en œuvre empiriquement un modèle avec clause de sortie intégrant la contagion provoquée par des attaques spéculatives auto-réalisatrices.

Notre premier essai empirique nous a permis de vérifier la significativité statistique de la présence de l’effet des fondamentaux ainsi que de l’interdépendance commerciale et financière, dans les récentes crises financières des années quatre-vingt-dix. Lors de ces épisodes, nos estimations nous ont permis de montrer que les pays émergents contaminés avaient une dégradation dans leurs fondamentaux. A priori ce résultat corrobore les explications théoriques du rôle des fondamentaux dans le processus du déclenchement d’une crise, aussi bien dans le cadre des modèles de première génération que des modèles de deuxième génération. Cependant, en nous basant sur le consensus des experts qui régnait à la veille des crises des années quatre-vingt-dix, sur la stabilité des économies des pays émergents, il nous paraît plus judicieux d’expliquer les épisodes de crises observés comme le produit d’une dégradation préalable des fondamentaux en tant que condition nécessaire à l’apparition d’attaques spéculatives auto-réalisatrices. La rapidité avec laquelle la crise s’est propagée d’un pays à l’autre milite en faveur d’un processus de contagion liée à des prophéties auto-réalisatrices. Nos estimations nous ont montré également le caractère régional des crises financières récentes notamment les crises mexicaine et asiatique. En effet, des liens commerciaux et financiers essentiellement régionaux ont fortement joué dans la transmission de ces deux crises financières. S’il est vrai que ce constat prône plutôt en faveur d’une propagation de ces crises par des mécanismes d’interdépendance, il n’exclut cependant pas la possibilité d’une contagion.

Notre deuxième essai empirique nous a permis d’étendre la littérature empirique qui traite du débat interdépendance/contagion. Ce travail était l’occasion de présenter les méthodes économétriques d’identification de la contagion des crises financières entre des économies fortement interdépendantes et de discuter les limites et les problèmes techniques des travaux antérieurs. Il en ressort que la subjectivité dans la définition de la période de crise est une limite très importante dans les tests économétriques proposés comme le test de corrélation (Rigobon, 2003) et le test de causalité (Sander et Kleimer, 2003). Un examen attentif de ces travaux montre que la distinction entre la dynamique de long terme et celle de court terme est indispensable pour rendre compte des interdépendances entre les marchés financiers. Cette conclusion s’applique même aux travaux qui ont proposé des tests issus des estimations avec l’intégralité de l’échantillon (Favero et Giavazzi, 2002). Notre méthodologie originale basée sur l’ECM non linéaire nous a permis ainsi de résoudre ces problèmes. En effet, nous avons estimé sur l’intégralité de la période un modèle d’interdépendance de long terme, puis testé la non-linéarite des chocs structurels dans un modèle ECM afin d’identifier la contagion. Nous avons montré dès lors, la non linéarité des mécanismes de propagation des chocs sur les marchés des spreads de la Malaisie et des Philippines lors de l’épisode de la crise asiatique. La crise initiée à partir de la Thaïlande et de l’Indonésie, s’est propagée vers la Malaisie et les Philippines, via un processus de contagion. Nos résultats n’ont pas pu détecter, en revanche, une propagation contagieuse vers la Corée. Ce résultat montre la cohérence avec une explication qui intègre une condition nécessaire de l’état des fondamentaux dans le processus de la contagion véhiculée par des croyances auto-réalisatrices, vu la grande différence entre l’économie coréenne et celles de la Malaisie et des Philippines à la veille de la crise asiatique. La conclusion relative à la Corée montre toutefois la nécessité d’aller plus loin en adoptant une méthode économétrique qui ne tienne pas compte seulement des interdépendances. Il paraît également nécessaire d’appréhender empiriquement le rôle des fondamentaux sur la dynamique des anticipations au sein du processus de contagion

C’est précisément la raison d’être de notre troisième essai. Celui-ci qui nous a permis d’identifier empiriquement la contagion à travers les anticipations auto-réalisatrices. En nous inspirant de l’estimation empirique d’un modèle avec clause de sortie par le MSR, effectuée par Jeanne et Masson (2000), nous relions la variable tache solaire à un événement publiquement observable comme la réalisation d’une crise dans un autre pays. Cette méthodologie nous a permis d’une part de combler le vide lié à l’absence de travaux qui étudient empiriquement la contagion dans le cadre des modèles avec clause de sortie. D’autre part, elle nous a permis de vérifier empiriquement l’explication par l’imbrication de la contagion et des fondamentaux dans les récentes crises financières. Nos résultats empiriques relatifs au cas coréen, ont montré que la crise de change coréenne était principalement auto-réalisatrice. La significativité des variables macroéconomiques explicatives, a montré également que les mouvements des croyances du marché des changes vers l’équilibre de crise, peuvent être expliqués par une bifurcation dans les fondamentaux. Cependant, l’intégration de l’indice de crise thaïlandais dans la probabilité de transition entre les équilibres du marché coréen, a contribué à l’amélioration de la qualité statistique de notre spécification économétrique. Il en résulte l’évidence d’une contamination de la Corée par la crise thaïlandaise. Cette propagation a été réalisée à travers un processus de contagion véhiculée par une dégradation sous-jacente des fondamentaux.

En résumé, les leçons empiriques de ce travail de thèse montrent que la crise financière asiatique a été déclenchée à travers divers mécanismes qui ont favorisé la réalisation de la contagion. En effet, nous avons pu conclure que les pays asiatiques étaient caractérisés par une forte interdépendance commerciale et financière qui avait assuré une transmission constante des chocs via des canaux permanents. Ces pays étaient caractérisés également par une faiblesse sous-jacente de leurs fondamentaux. En termes de politique économique, ces conclusions militent pour la mise en place des mesures préventives de long terme. En outre, nous avons conclu que la crise asiatique était aussi contagieuse. En effet, les chocs étaient largement transmis via des canaux temporaires qui existaient seulement pendant la crise. Dans ce cas, les autorités ont alors intérêt à adopter des mesures curatives de court terme. Ces dernières sont plus transitoires. Elles sont appliquées uniquement pendant les périodes de crise. A l’issue des conclusions de ce travail de thèse, nous pouvons ainsi recommander un ensemble de mesures de court terme et de long terme :

Parmi l’ensemble des améliorations souhaitables, 4 directions principales peuvent être discernées ;

De nombreuses extensions semblent possibles à partir de ces quelques pistes. Cependant, dans notre thèse, nous avons, même, pu étudier la contagion en tenant compte de tous les autres déterminants des crises financières internationales contemporaines. Dès lors, nous avons pu identifier la contagion et comprendre ses mécanismes lors de l’épisode de la crise asiatique.