B.2.2. La monnaie est une entité contrôlable

Pour ce qui est de la deuxième caractéristique, le fait d’écarter le taux d’intérêt comme variable décisive de la fonction de demande de monnaie, induit un effet de la monnaie sur le revenu plus direct que celui engendré par les variations du taux d’intérêt. Le rôle auxiliaire du taux d’intérêt dans la demande de monnaie est déduit après que Friedman et Schwartz (1963) estiment que la prise en compte du taux d’intérêt dans l’estimation de la fonction de demande de monnaie est sans valeur ajoutée pour l’appréciation de la stabilité des paramètres de cette fonction. Avec Schwartz, M. Friedman atteste que « les effets de la politique monétaire agissent davantage (…) sur les effets directs des variations du stock de monnaie sur la dépense, et plutôt moins à travers les effets indirects sur les taux d’intérêt, par conséquent sur l’investissement, et par-là sur le revenu » ; p126.

La variation de la demande de monnaie s’explique en grande partie par un effet revenu, assignant ainsi un rôle secondaire aux effets de substitution qu’engendrerait une variation du taux d’intérêt. Cette vérification est d’une importance majeure dans le choix des instruments de la politique monétaire. Elle accorde un rôle privilégié au contrôle par la quantité de la monnaie que par son prix, le taux d’intérêt, à qui on accorde le rôle de stabilisateur de l’économie 65 . Ceci fait de la quantité de monnaie offerte un instrument et une cible privilégiée de la politique monétaire contrairement au taux d’intérêt pour contrôler la demande de monnaie 66 .

Cette cible est d’autant plus privilégiée que les autorités monétaires ont un pouvoir de contrôle assez étroit sur la base monétaire 67 . Comme pour les monétaristes la création de monnaie de second rang est subordonnée à la « base monétaire », en contrôlant l’émission de la monnaie Banque Centrale, les autorités monétaires peuvent donc contrôler l’ensemble de la création de monnaie. L’offre de monnaie est alors complètement exogène répondant ainsi au contrôle de la Banque Centrale. Cette offre, dans sa fixation, doit être compatible avec la stabilité des prix, compte tenu de l’évolution prévisible des déterminants de la demande d’encaisses (en particulier le PIB nominal, qui détermine le volume des transactions au niveau anticipé des prix). Dans ce cas la Banque Centrale, en fonction du niveau d’activité déterminé dans la sphère réelle, fait des projections du niveau des prix qu’elle souhaite réaliser et injecte la quantité de monnaie compatible avec le niveau désiré. Ce qui fait incontestablement le point commun entre ces deux conséquences est la portée de long terme que doit avoir la politique monétaire et non plus le rôle de réajustement de court terme.

Tout écart entre les encaisses désirées et celles prévalant entraîne à terme une augmentation de l’inflation. Pour aboutir à l’ancrage nominal, il était donc question de (i) construire ou définir un agrégat statistiquement observable et le prendre comme cible intermédiaire, (ii) déterminer la croissance optimale de cet agrégat, (iii) agir sur la base monétaire par des interventions sur le marché qui font varier les taux à court terme, et enfin (iv) exploiter la stabilité de la demande de monnaie pour ramener la valeur observée à celle ciblée à travers cette manipulation de l’instrument. C’est la formulation purement monétariste du ciblage intermédiaire d’agrégat de monnaie.

Notes
65.

Lorsque la demande de monnaie est stable, une offre de monnaie croissant à un taux constant engendre automatiquement des mouvements correcteurs de taux d’intérêt sur la conjoncture. En période de croissance économique, l’accroissement de la demande de monnaie qui en découle provoque une hausse stabilisatrice des taux d’intérêt qui rétablit les conditions d’équilibre sur le marché financier d’abord puis au niveau de toute l’activité (Peytrignet ; 1999).

66.

En plus selon Schmidt (1999), dans le but de contrôler la demande de monnaie, choisir le taux d’intérêt comme objectif opérationnel n’est pas très efficace car les taux d’intérêt à court terme, bien que facilement manipulables par la Banque Centrale, n’affichent pas de lien étroit avec l’objectif final. Les taux longs, bien qu’affichant un lien plus net, sont beaucoup moins manipulables par la Banque Centrale surtout en présence de globalisation des marchés de capitaux. Enfin, les taux d’intérêt réels et la structure par terme des taux d’intérêt, qui sont plus efficaces dans les mécanismes de transmission de la politique monétaire, ne peuvent être mesurés correctement ou alors ne présentent pas de relation stable avec l’objectif final.

67.

Outre le degré élevé de sa contrôlabilité, le choix de la base monétaire comme cible intermédiaire se justifie aussi par sa faible sensibilité au taux d’intérêt. En effet, comme expliqué dans Peytrignet (1999), l’agrégat monétaire idéal devrait être le moins sensible à la variation des taux d’intérêt. Plus un agrégat y est sensible, plus la Banque Centrale est contrainte soit de réviser constamment sa cible, soit de tolérer des déviations par rapport à la cible. Si la sensibilité est avérée, l’agrégat ciblé risque de fournir des signaux faussés.