B.2.1. L’horizon de ciblage

L’horizon de ciblage ou encore « l’horizon ex ante » 229 tel que défini dans Castelnuovo et al (2003) est la période que la Banque Centrale estime nécessaire pour essayer de réaliser sa cible ou de la rétablir après qu’un choc soit survenu. Soikelli (2002) précise encore que l’horizon de ciblage s’applique au délai ou l’on espère que la cible d’inflation se réalisé. Bien que l’horizon de ciblage renvoie souvent à une période délimité dans le temps et exprimée de manière explicite, la notion d’espérance est prédominante dans la définition qu’on lui attribue en raison de l’incertitude qui peut entacher la transmission escomptée de la politique monétaire.

Face au décalage dans la transmission et à l’incertitude quant au délai que mettraient les actions de la politique monétaire pour attendre la cible, la Banque Centrale se doit d’estimer le mieux possible son horizon de ciblage. Pour le cas des pays industrialisés, où le niveau de l’inflation est relativement faible comparé à celui des pays émergents, le taux d’inflation affiché se situe au environ de l’objectif de long terme. Dans ce cas, l’horizon de ciblage reflète le décalage de transmission de la politique qui est de l’ordre de 18 à 24 mois en moyenne comme présenté dans le tableau (6). Cet horizon peut s’étendre jusqu’à trois ans avec la BNS qui estime cette période comme étant le délai nécessaire à la transmission des impulsions venant de sa politique monétaire.

Lorsqu’il est délimité dans le temps et défini de manière explicite, l’horizon de ciblage correspond souvent à l’horizon couvert par les publications officielles des prévisions de la Banque Centrale compte tenu des informations à sa disposition sur l’évolution future des prix. Toutefois, on doit mentionner par ailleurs qu’une récente tendance en faveur de la notion de « moyen terme » au lieu d’un horizon de ciblage explicite est à noter à travers les Banques Centrales. La notion de moyen terme est adoptée par la BCE, la Banque d’Australie et plus récemment par la Réserve banque de la Nouvelle-Zélande comme reporté dans le tableau (6).

Deuxième partie - tableau 6. Horizon de ciblage et horizon d’engagement
Deuxième partie - tableau 6. Horizon de ciblage et horizon d’engagement

Pour bien rendre compte de la nécessaire coordination entre l’horizon de ciblage et le décalage dans la transmission de la politique monétaire nous considérons 230 le cas d’une Banque Centrale qui ne peut commencer à affecter l’inflation qu’après une période d’une année. C’est le temps minimum nécessaire à la politique monétaire pour transmettre ces impulsions aux prix. Sur la base de ses prévisions d’inflation, la Banque Centrale constate que si le taux d’intérêt demeure inchangé, l’inflation sera au-dessus de la cible la première année de la période de prévision et en-dessous de la cible l’année suivante de la période de prévision. Compte tenu du décalage que présente la politique monétaire, même si la Banque Centrale entreprend maintenant une modification du taux d’intérêt pour faire baisser l’inflation la première année, elle ne peut y arriver. Elle peut seulement envisager de réduire son taux d’intérêt maintenant pour espérer que l’inflation rejoigne la cible au courant de l’année suivante. Si maintenant cette même Banque Centrale considère que sa politique monétaire commence à affecter les prix après un décalage de seulement six mois, dans ce cas la Banque Centrale, et toujours en fonction de ses prévisions d’inflation, peut envisager une augmentation de son taux d’intérêt actionnée maintenant pour faire baisser l’inflation la première année. Seulement, en augmentant son taux d’intérêt, la Banque Centrale risque d’alimenter la hausse de l’inflation la deuxième année qui selon les prévisions était déjà au-dessus de la cible. Une telle augmentation du taux d’intérêt pourrait faire en sorte que l’inflation soit davantage au-dessus de la prévision au début de la deuxième année de prévision. Dans ce cas, la Banque Centrale doit utiliser son taux d’intérêt pour gérer le sentier de l’inflation relativement à la cible d’inflation, en partant du moment projeté dans le futur à partir duquel les actions de la politique monétaire décidées actuellement commencent à affecter l’inflation. Ceci étant, comme le précise Allen (1999), il faut que la Banque Centrale prenne compte de l’effet dynamique et non pas statique de sa politique monétaire sur l’inflation en considérant aussi bien l’incertitude stratégique et l’incertitude structurelle. En effet ce que la Banque Centrale doit prévoir c’est le sentier que prendra l’inflation suite à la modification de son taux d’intérêt et non pas l’évolution ponctuelle de celle ci suite à cette même modification. C’est toute la dimension forward looking qui est reflétée à ce niveau. Elle caractérise fortement la politique de focalisation directe sur l’objectif d’inflation au point d’en faire une caractéristique indéniable comme nous le verrons dans le chapitre suivant.

Outre le fait que la Banque Centrale ne peut pas affecter l’inflation avant le temps nécessaire à la transmission de la politique monétaire, le choix d’un horizon de ciblage relativement lointain est justifié en raison des complications qu’occasionnerait l’adoption d’un horizon à plus court terme.

Mishkin (2000) identifie principalement trois problèmes qui peuvent survenir lorsque l’horizon de ciblage est de court terme. Le premier problème a trait aux ratages de la cible d’inflation qui peuvent devenir fréquents lorsque le ciblage est à court terme. De tels manquements à la cible annoncée risquent d’affecter voir d’affaiblir la crédibilité de la Banque Centrale lorsqu’ils deviennent répétitifs. Le deuxième problème réside dans une plus grande volatilité de l’instrument de la politique monétaire. En effet, lorsque l’horizon de ciblage est relativement court, il peut s’en suivre une instabilité de l’instrument de la politique monétaire à force de vouloir réaliser la cible à court terme 231 . Enfin, le troisième problème inhérent à un horizon de ciblage court, et qui peut être la conséquence du précédent, consiste en une plus grande fluctuation de la production qui peut finir par faire sombrer l’économie dans la récession. D’ailleurs, la prise en compte de l’objectif de stabilisation du revenu dans la fonction de perte de la Banque Centrale implique une extension de l’horizon de ciblage. En effet, comme nous le démontrerons dans le troisième chapitre 232 dans le cadre du régime de ciblage d’inflation flexible et selon Svensson (1996), la Banque Centrale ne peut réaliser la cible d’inflation que si la prévision de l’écart de production est nulle. Dans le cas contraire, c’est-à-dire lorsque des déviations de la production sont à prévoir, la prévision de l’inflation est autorisée à s’écarter de la cible proportionnellement à ce même écart 233 . Pour atteindre sa cible, la Banque Centrale doit alors adopter unedémarche progressive en ajustant graduellement sa prévision d’inflation par rapport à la cible. Bien entendu, plus la Banque Centrale se préoccupe de la stabilisation du revenu, plus ce temps d’ajustement est long 234 . En terme de fixation d’horizon de ciblage, les enseignements de Svensson (1996) nous montrent que si l’on veut que l’inflation retourne le plus rapidement vers la cible, il faut accorder moins de poids à la stabilisation de la production dans la fonction de perte de la Banque Centrale. En d’autres termes, une réalisation plus rapide de la cible qui respecte un horizon de ciblage plus court ne peut se produire qu’au détriment d’une forte volatilité de la production. Ceci explique en grande partie le penchant porté par les Banques Centrales à adopter des horizons de ciblage de moyen terme.

Le cas de la Nouvelle-Zélande à cet égard renvoie explicitement vers le problème du choix de l’horizon de ciblage tel que largement décrit dans Mishkin et Posen (1997) et repris dans Mishkin (2000, 2001). En effet, la Banque de Réserve de la Nouvelle-Zélande a fixé son horizon de ciblage à une année au début de son instauration du régime de ciblage d’inflation en 1990. Or, cet horizon de ciblage relativement court jumelé à une bande de fluctuation relativement étroite a conduit à un problème de contrôle relatif à la difficulté de maintenir l’inflation au sein de la bande cible et surtout à un problème d’instabilité de l’instrument marqué par une forte fluctuation du taux d’intérêt et du taux de change. Après prés de quatre années consécutives de bons résultats en matières d’inflation, la Nouvelle-Zélande a connu vers la moitié de l’année 1995 un pic d’inflation de l’ordre de 4.6%. Un taux largement en dessus de la borne supérieure de sa fourchette cible. Lorsque les pressions inflationnistes ont commencé à se faire sentir, la Banque de Réserve a entrepris une politique restrictive exceptionnelle en faisant grimper le taux d’intérêt jusqu'à près de 10%, de crainte que le taux d’inflation ne dépasse la borne de 2%, pour l’année suivante (Mishkin 2001). Il en est résulté une forte fluctuation du taux d’intérêt et surtout du taux de change. Dans le cas d’une petite économie relativement ouverte sur l’extérieur telle que la Nouvelle-Zélande, les fortes fluctuations du taux de change ainsi que son appréciation étaient fortement pénalisantes pour l’activité économique. Après cet épisode d’échec à réaliser une cible d’inflation annuelle qui a duré deux années consécutives, la banque de Réserve de la Nouvelle-Zélande s’est convaincue des difficultés à réaliser une cible à l’horizon d’une année. Ainsi le 10 décembre de l’année 1996, la Banque de Réserve, et en accord avec le gouvernement, a commencé par réviser sa fourchette de ciblage en portant à 3% la borne supérieure et par élargir ensuite l’horizon de ciblage porté à 18-24 mois. Cet horizon de ciblage a perduré jusqu'à novembre 2002, après quoi, la Nouvelle-Zélande a délaissé sa définition explicite et a fini par adopter la notion de « moyen terme » pour qualifier son horizon de ciblage (voir tableau 6).

En vue de ces différentes lacunes que pourrait occasionner un horizon de court terme, un consensus semble se dessiner pour les pays industriels pour la fixation d’un horizon de ciblage qui serait en accord avec le délai de transmission de la politique monétaire au minimum. Ainsi, la cible de l’année en cours serait arrêtée deux années à l’avance et coexisterait avec celle de l’année à venir, définie elle aussi deux ans à l’avance. Se doter d’un horizon large présente l’avantage de donner aux Banques Centrales plus de flexibilité pour répondre aux chocs et par là stabiliser le produit et aider à rétablir les anticipations d’inflation (Carare et al ; 2002). Mais en reconnaissant de plus en plus l’avènement de chocs qui par natures sont imprévisibles et qui finissent par affecter le délai de transmission de la politique monétaire, les Banques Centrales adoptent davantage la notion de moyen terme au détriment d’un délai explicite pour qualifier leur horizon de ciblage. Ceci est d’autant plus justifié que la Banque Centrale est forcée de poursuivre une politique de ciblage gradualiste face à des chocs qui affectent sa production afin d’éviter une volatilité élevée de son taux d’intérêt et de son produit de manière inutile et surtout nuisible pour l’ensemble de l’économie. Ainsi, l’étude menée par Batinini et Nelson (2000), portant sur une estimation quantitative de l’horizon optimal pour le ciblage d’inflation, conforte le choix des Banques Centrales porté sur le moyen terme. Les deux auteurs ont tenté de mesurer l’horizon optimal que doit s’accorder la Banque Centrale pour réaliser sa cible. Cette estimation prend en compte l’avènement probable de chocs qu peuvent faire éloigner temporairement l’inflation de sa cible. Il en ressort que, si la Banque Centrale souhaite opérer de manière optimale, elle ne soit pas tenter de neutraliser les chocs inflationnistes immédiatement. Au contraire, elle doit y répondre graduellement. Il en découle que l’horizon nécessaire pour réaliser la cible peut dépasser l’horizon souvent retenu de 18-24 mois pour se situer sur le moyen terme.

Notes
229.

Ce terme « Ex ante Horizon » est employé par Castelnuovo et al (2003).

230.

Cet exemple est inspiré de Allen (1999), qui bien qu’il soit relativement simplifié met bien en avant la corrélation entre horizon de ciblage et délai d’action de la politique monétaire.

231.

L’instabilité de l’instrument est inévitable à chaque fois que la Banque Centrale cherche inlassablement la réalisation d’une cible portant sur le court terme. Bien que la formulation soit complètement différente, l’instabilité de l’instrument engendrée par le ciblage d’inflation à court terme rappelle l’instabilité de l’instrument suite au ciblage d’agrégat de monnaie à court terme. A ce niveau l’exemple, le plus frappant est celui des Etats-Unis au début des années 1980 comme nous l’avons déjà abordé dans le premier chapitre.

232.

Plus précisément au niveau du paragraphe B.2.2 de la deuxième section du troisième chapitre.

233.

Ce résultat est reflété par l’équation (5’) dans le troisième chapitre, section II.

234.

Ce résultat est reflété par les équations (8’) et (9’) du troisième chapitre, section II.