B.1. Règle de ciblage et règle instrument

Par définition, une règle de politique monétaire est un guide prescrit pour la conduite de la politique monétaire. Ainsi comme nous l’avons déjà mentionnée : deux règle sont identifiées :

  • Une règle instrument : c’est l’adhésion à une fonction de réaction prescrite. Elle consiste à faire varier l’instrument en réponse aux déviations de la cible.
  • Une règle de ciblage : c’est l’adhésion a la minimisation d’une certaine fonction de perte. La fonction de réaction dans ce cas est implicite.

Pour Svensson (1996), fixer l’instrument de sorte à ce que la prévision de l’inflation soit égale à la cible d’inflation est un exemple de règle de ciblage. Lorsque cette règle est appliquée par la Banque Centrale elle résulte en une fonction de réaction implicite endogène optimale qui exprime l’instrument comme fonction de l’information pertinente disponible. La Banque Centrale est estimée à partir du respect de la minimisation de sa fonction de perte et non pas par apport à la conformité à une certaine règle instruments. Ceci est foncièrement différent d’une règle instrument qui spécifie directement la fonction de réaction pour l’instrument comme fonction de l’inflation actuelle.

Il s’ensuit qu’un engagement de la part de la Banque Centrale vis à vis d’une règle de ciblage est plus efficace qu’un engagement vis à vis d’une règle instrument. En effet une règle de ciblage se focalise sur l’essentiel à savoir la réalisation de la cible. Elle accorde aussi plus de flexibilité dans la détermination de la fonction de réaction correspondante. Plus précisément, lorsqu’une nouvelle information a propos des relations structurelles tels qu’une modification des variables exogène (en l’occurrence une modification des éléments des équations (1 et 2) ou (1’ et 2’) du modèles structurels 295 ), une règle de ciblage implique une révision automatique de la fonction de réaction. Au contraire, engagement vis à vis d’une règle instrument explicite suppose une plus grande confiance dans le modèle structurel de l’économie et dans sa stabilité, ou alors une révision fréquente.

Dans le cadre de politiques de cible d’inflation, l’engagement de la Banque Centrale porte de fait sur un objectif, en l’occurrence la cible d’inflation : la Banque Centrale annonce qu’elle ajustera à chaque instant les instruments de manière à minimiser tout écart entre l’inflation future et la cible, elle ne stipule pas une fois pour toute comment ils devront être ajustés. Seule la fonction de perte de la Banque Centrale est prédéfinie, la fonction de réaction est endogène : elle résulte d’un processus d’optimisation continu et systématique à partir des équations du modèle. Elle prend donc en compte à chaque instant tous les déterminants connus de l’inflation future.

Les politiques de cible d’inflation évitent de ce fait les écueils auxquels se heurtent les « règles d’instruments » qui résultent d’un processus d’optimisation accompli une fois pour toutes à partir des modèles structurels qui prévalaient à un moment donner du temps. Toute modification des caractéristiques de l’économie aboutit dès lors à remettre en cause leurs performances et place les Banques Centrales devant un dilemme déplaisant : en continuant à suivre la règle, elles risquent de manquer systématiquement leurs objectifs, de sorte que leur engagement paraîtrait peu crédible et que les anticipations des agents pourraient devenir instables ; en ré-optimisant pour atteindre leurs objectifs, elles violent leur engagement et se comportent de manière discrétionnaire, avec les conséquences que ce comportement peut engendrer. Dans la pratique aucune Banque Centrale n’adhère, du moins ouvertement, à la poursuite d’une règle instrument explicite. Chaque Banque Centrale utilise beaucoup plus d’information que celle suggérée par la seule règle instrument. Plus précisément aucune Banque Centrale ne réagit à une certaine information prescrite dans un sens mécanique prescrit lui aussi. Par conséquent, et d’après Redebusch et Svensson (1998), le rôle de la règle instrument n’est pas d’engager la Banque Centrale. Elle sert plutôt, de base pour la comparaison des politiques monétaires et pour leurs évaluations à posteriori. Une telle règle ne peut d’ailleurs servir de base d’engagement car en définitive 296  :

  • La Banque Centrale fait appel à plus d’information dans la fixation de son instrument qu’à la simple déviation de l’inflation par rapport a la cible. ceci est valable même pour le cas des Etats-Unis bien que la règle de Taylor décrit bien la conduite de sa politique monétaire a posteriori,
  • Les fonctions de réactions sous cette forme, où l’instrument répond à la seule déviation de la cible, sont inefficaces car elles ne minimisent pas la fonction de perte de type (7) ou encore (4’) 297 . Les travaux de Redebusch & Svensson (1998) démontrent d’ailleurs, que la poursuite de telles règles dans le cadre de ciblage d’inflation sont sous optimale dans le sens ou elles occasionnent une plus grande volatilité de l’inflation.
  • La politique appropriée pour l’instrument est de répondre aux déterminants de l’inflation. C’est à dire aux indicateurs qui figurent dans la fonction de réaction implicite de type (11) ou (10’) 298 , plutôt qu’à la variable cible elle même.

Avec les politiques de cible d’inflation conformes à la règle de ciblage, ces problèmes disparaissent : la fonction de réaction est automatiquement révisée chaque fois que survient une modification dans les mécanismes de transmission de la politique monétaire ou dans la dynamique inflationniste sans que la règle soit pour autant remise en cause. Ainsi pour Svensson (1998) les politiques de cible d’inflation sont conforme à la « règle de ciblage » ou plutôt de « ciblage intermédiaire » la plus performante : elles résolvent en effet le problème du contrôle de l’inflation par la politique monétaire sans recourir à la définition de cibles intermédiaires distincts ou plutôt en prenant pour cible intermédiaire la prévision conditionnelle de l’inflation elle même sur un horizon correspondant aux délais d’action de la politique monétaire. Cette prévision conditionnelle est plus facile à contrôler que l’inflation elle même dans la mesure où elle dépend d’informations présentes et où sa variance 299 est plus faible que celle de l’inflation elle même. Elle est cependant par définition la variable la plus étroitement corrélée à l’inflation à un moment donné du temps : elle incorpore tous les déterminants de l’inflation qui sont connus au moment de sa construction et reflète donc automatiquement tout changement dans la dynamique inflationniste ou dans les mécanismes de transmission de la politique monétaire. En ce sens, les politiques de cible d’inflation constituent, selon les termes de Svensson des « règles de ciblage intermédiaire optimales » 300 et surclassent les politiques de cible d’agrégat monétaire ou de cible de produit nominal. 

Notes
295.

Se reporter respectivement à la page 229 et 235.

296.

Svensson (1998)

297.

Se reporter respectivement à la page 231 et 235

298.

Se reporter respectivement à la page 233 et 237

299.

Par définition la prévision conditionnelle de l’inflation en t+2 n’inclut pas les chocs qui surviendront entre t et t+1 ou entre t+1 et t+2.

300.

«Optimal intermediate targeting rules »; Svensson (1996) et Svensson (1998).