C. Du lien entre la petite et la grande unité.

Ainsi, comment sortir de la contradiction opposant immanence et non-immanence, homogénéité et hétérogénéité ou discontinuité, de l’œuvre ? En déplaçant la notion d’œuvre hors de la tension dualiste entre fragment et totalité, forme et contenu, signifiant et signifié. En travaillant sur le lien, la cohésion de la partie et du tout, créée par le discours, lequel réunit à tout instant la petite et la grande unité parce qu’il est du côté de l’énonciation et non de l’énoncé.

En effet, dans le prolongement de l’exposé sur le rythme, produit dans le premier chapitre de cette étude, il faut rappeler à nouveau une dimension première de l’écrit, qui est son oralité : ce qui fait œuvre, c’est la parole dans le texte. On entend ici par parole le lien prosodique et sémantique qui unit tous les fragments du texte et crée le continu de la signifi ance . Cette notion appelle un constat qui pourrait sembler simpliste mais qui est de bons sens : le silence, le blanc qui sépare les pages ou les paragraphes, font partie de cette parole, de la même manière qu’en musique les silences assurent aussi la cohérence rythmique de l’ensemble. Ainsi, même quand on observe une écriture visuellement en fragment, même quand le texte semble se répartir en unités formelles distinctes, cernées de blanc, même quand la typographie entre en lice, qui dégage certains mots, certaines citations, certains exergues et les met en relief, on ne peut pour autant conclure à l’hétérogénéité de l’œuvre puisque sa parole se trame continuellement entre attraction et répulsion des mots, des phrases et des silences entre eux.

On a vu également que cette force du texte, ce processus de signifiance s’opérait de nouveau à chaque lecture. La parole de l’œuvre advient à chaque écoute particulière que produit le lecteur dans sa confrontation avec elle. Par conséquent, loin d’être hermétique et close sur elle-même, l’œuvre est précisément une force capable de nous parler encore, même après des siècles : les multiples possibilités du rythme sont la condition d’une actualisation à chaque lecture, ce qui assure le lien en apparence contradictoire entre immanence et non-immanence du texte poétique.